La commande du Grand Chef

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Le Tailleur du Grand Chef

Inspiré du conte « Les nouveaux vêtements de l’Empereur » d’Hans Christian Andersen.

 Notre histoire démarre en Majorique, à une époque qui ne vous dira rien, pas même aux plus vieux d’entre vous. En ce jour, le Conseil des Chefs de clan venait d’élire le nouveau Grand Chef, un homme brave et fort, qui avait déjà prouvé sa valeur à de nombreuses reprises sur les champs de bataille enneigés du continent. L’homme était le dirigeant en la ville de Jarl, où il était fort respecté de ses habitants.

 Cependant, le Grand Chef avait comme habitude de ne porter que des vêtements en peau de bête dont il ne prenait pas grand soin. Si c’était le cas pour d’autres Chefs de Clan à l’époque, car c’était la méthode la plus efficace pour lutter contre le froid du pays, on lui fit rapidement comprendre, à force de railleries et de plaisanteries, que son nouveau statut ne pouvait se permettre un tel laisser-aller.

 Aussi, de retour à sa cité bien-aimée, le nouveau Grand Chef fit venir ses tailleurs attitrés. Il leur ordonna de lui fabriquer de meilleurs vêtements avec lesquels il pourrait se pavaner devant les autres Chefs pour le prochain conseil. Hélas pour lui, ses employés, bien trop habitués à l’apparence assez barbare de leur maitre, ne purent le satisfaire entièrement. Aussi se vit-il paré de nouvelles peaux de bêtes, avec une capuche qui lui donnait des airs d’Elanstrophe , ces cervidés aux bois si grands qu’ils les empêchent de passer entre deux arbres trop rapprochés.

 S’il n’avait pas fait très attention à la tenue qu’il embarquait sur le départ, à son retour, le Chef de Clan était dans une rage folle. Il fit jeter ses tailleurs en prison pour l’avoir rendu si ridicule devant ses pairs. Il ne fallait pas être un génie pour comprendre que la dernière assemblée n’avait pas été de toute joie pour le dirigeant de la ville.

 L’homme, dans son château, cependant, était bien embêté. Voilà qu’il n’avait plus personne pour lui confectionner les vêtements qui changeraient les moqueries en ravissements. Il était bien trop grognon que pour revenir en arrière et libérer ses tailleurs. Il lui fallait donc en trouver un autre. Aussi, le lendemain, escorté de quelques soldats et de sa femme, qui s’y connaissait mieux que lui en tissu, il se balada dans Jarl en observant la devanture des boutiques, espérant y trouver son bonheur.

 Or, le hasard voulait justement qu’un jeune tailleur, qui finissait tout juste sa période d’apprentissage auprès d’un de ces hommes envoyés en prison, venait d’ouvrir son petit magasin. Il était encore bien modeste, et n’était d’ailleurs destiné qu’aux humbles et aux pauvres. Cependant, par fierté, le tailleur avait exposé un vêtement plus original, aux couleurs vives et éclatantes, bien trop léger pour les températures basses de la région. Il savait que personne ne risquerait de l’acheter, et il n’avait de toute manière pas les moyens ni le temps d’en produire de nouveaux du même acabit.

 En voyant le dit vêtement, le Grand Chef s’arrêta, l’air intéressé. Voilà qui ne ressemblait pas aux chiffons qu’il avait vus jusqu’ici et qui garnissaient le reste de la boutique. Il demanda confirmation à sa femme, qui lui répondit d’un hochement de tête, puis ils entrèrent.

 Notre jeune tailleur était alors en train de manger une tartine. Il faillit s’étouffer en avalant de travers quand il reconnut les clients qui venaient de pénétrer à l’intérieur pour voir son étoffe de plus près. Il avait déjà eu l’occasion de voir le Grand Chef, mais jamais d’aussi près. Après une quinte de toux qu’il ne put retenir, il s’inclina bien bas en présentant ses salutations au Chef de Jarl. Mais celui-ci ne lui répondit pas.

 Quand il se releva, ayant attendu en vain qu’on lui réponde, il vit que le Grand Chef examinait sa fameuse tenue aux belles couleurs. Il touchait l’étoffe d’un air faussement expert. Il demanda à ses soldats qu’ils le débarrassent de son lourd manteau de fourrure, et enleva ensuite ce qui ressemblait à une vieille chemise défraîchie. Il essaya alors d’enfiler la tenue d’exposition, et le tailleur se retint de l’en empêcher. Il savait à l’avance que le Grand Chef était bien trop large d’épaule pour sa conception, mais il avait aussi peur de se montrer impertinent. Et ce qui devait arriver arriva. Le vêtement se déchira de haut en bas avant qu’il ne puisse passer la tête. Il le retira alors avec fougue, de mauvaise humeur, avant de se tourner vers le jeune tailleur.

 — Pouvez-vous me faire un vêtement aussi luxueux que celui-ci, mais à ma taille ? demanda-t-il d’un ton brusque qui ne laissait pas beaucoup de choix de réponse.

 — Bien sûr, votre majesté, se précipita l’homme.

 — Tout bien réfléchi, je voudrais même qu’il soit encore plus luxueux ! enchérit le Grand Chef. Je suis le dirigeant de la Majorique tant que je suis à la tête du Conseil, je me dois donc d’être le plus beau ! Vous pourrez faire ça, pas vrai ?

 — B..Bien sûr ! balbutia le tailleur, qui se sentait comme pris au piège. Mais, si je puis me permettre, il me faudra alors quelques tissus de bonne qualité, que je ne puis hélas pas me procurer …

 — Cela va de soi ! répondit le Grand Chef comme si c’était une évidence. Vous vous installerez au château, dans ce cas. Vous pourrez y demander tout ce dont vous avez besoin, dépensez sans compter, je veux juste que le résultat soit à ma hauteur ! Sinon…

 Il fusilla le jeune tailleur du regard. Celui-ci déglutit. Il savait que son instructeur et ses collègues avaient été jetés en prison pour l’avoir déçu, et il n’avait pas envie de connaitre le même sort. Il acquiesça vivement en s’inclinant, et le Chef le congédia, lui demandant de se rendre au château dans l’après-midi pour qu’il s’installe à l’atelier. En sortant, un soldat lui marmonna un « Bonne chance » qui en disait long.

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