2- A l'autre bout
Six sonneries pendant lesquelles elle demeura figée, attendant que quelqu'un décroche, comme paralysée. Ses pupilles se balancèrent de la gauche vers la droite, de la droite vers la gauche, sans qu'aucun mouvement ni de la famille ni de l'homme avec son chien ne semble concerné par ce bruit soudain.
Le silence revint ensuite, pesant mais libérant Ninon de cet état de transe. Il n'y avait personne, personne que la mélodie technologique n'attira dans ses filets à l'instar d'une sirène moderne en mal d'amour et de reconnaissance.
Alors, le téléphone renouvela son chant désespéré.
Cette fois vaincue, Ninon soupira et tourna les talons. Sans vraiment réfléchir, elle se précipita d'une démarche maladroite, plongea sous le parasol avec un empressement insensé et saisit l'appareil, manquant de l'échapper. Et s'il arrêtait de sonner avant qu'elle ait eu le temps de décrocher ?
Son pouce se posa sur le symbole vert lumineux et, lentement, sa main approcha le combiné de son oreille. Le silence lui répondit tout d'abord et elle se dit qu'elle n'avait pas été assez vite, que finalement le propriétaire du téléphone allait arriver et la traiter de voleuse, qu'elle devrait s'expliquer, se justifier...
« Il y a quelqu'un ?... » prononça une voix de femme mûre avec hésitation.
Le cœur de Ninon manqua un battement et elle se crispa.
« ... Oui... oui ? »
Que dire ? Bonjour, je viens de décrocher mais ce n'est pas mon téléphone. Non, je ne suis pas une voleuse... Pourquoi j'ai décroché ? Ah ça... Même moi je ne sais pas, mais laissez-moi une seconde, je vais bien trouver une bonne raison pour justifier cet acte inconsidéré.
« Ah... J'ai eu peur que vous ne décrochiez pas ! » répondit la voix, visiblement soulagée. « Je dois vous parler. »
C'était maintenant qu'il fallait lui dire la vérité, c'était le bon moment (ou est-ce le moment d'écouter ?) : Non, je ne suis pas qui vous pensez. C'est pourtant facile à dire, dis le maintenant et tu n'auras pas de problème, tu voulais rendre service, c'est bien ça non ?
« Je... suis désolée, madame. Vous... »
Coupant sa phrase, la voix reprit, étonnamment douce et bienveillante :
« Pardonnez-moi, pourriez-vous me repréciser la date d'aujourd'hui, s'il vous plait ?
- Le 2 juillet 2018... nous sommes... hmm... lundi, répondit Ninon, docile enfant qui répond toujours aux questions qu'on lui pose.
- C'est parfait.
Elle devina presque un sourire à l'autre bout du fil, dans le ton satisfait.
- Les examens sont terminés, n'est-ce pas ? Tout s'est bien passé ? questionna la voix.
À genoux dans le sable, dans une position inconfortable mais incapable de bouger, la main gauche posée simplement sur sa cuisse, elle gardait les yeux rivés sur le sac brun froissé.
- Oui... Merci. Mais vous... (les mots qu'elle avait prévu de prononcer, la vérité, se brisèrent dans sa gorge, trébuchèrent au seuil de ses lèvres et se muèrent en quelque chose de complètement différent en s'évadant de sa bouche) Vous deviez me parler ?
- En effet, répondit la femme de nouveau, avec tant de chaleur dans le timbre. Tu n'avais rien prévu aujourd'hui, je ne me trompe pas ? Je voudrais que tu fasses quelque chose pour moi.
Ninon chercha dans son esprit. Après tout...
- Comment puis-je vous aider, madame ?
Un silence, empli d'un millier d'émotions positives qu'elles en étaient presque palpables, vint caresser le tympan de la jeune fille.
- Je vais te donner une adresse. Je souhaiterais que tu t'y rendes et que tu demandes à voir monsieur Hadey. Tu lui donneras une note avec les informations que je te dicterai. Il sera très intéressé... sois en sûre. »
Elle mémorisa tous les mots, sans toutefois assimiler ce à quoi cela l'engageait ; Ninon, bonne élève, écouterait-elle les consignes ?
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