[Chapitre I] Les prémices de l'apocalypse

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 Je n’arrive à rien, pensai-je en fixant la source de lumière en face de moi. Elle était responsable de mes joies comme de mes échecs récents. Cet écran d’ordinateur avec un logiciel en son sein ne me rendait pas la vie facile. Je regardais la page blanche et le curseur clignoter… mais rien ne sortait. Pourtant, je ne manquais pas d’idée ni d’ambition seulement, ma carrière d’écrivain n’était qu’à ces balbutiements et sortir de ma zone de confort me demandait une grande remise en question. Ces derniers jours, je n’avais que très peu quitter le confort de ma chambre. C’était mon cocon, mon fief de créativité et malgré tout, elle devenait de plus en plus hostile tant au sens propre par le désordre qui y régnait qu’au sens figuré par le manque d’inspiration dont j’essayais de m’extraire. La sonnette de l’appartement venait mettre un terme à des semaines de solitude et d’errement spirituel. Pour autant, ce n’était ni une compagne, ni des amis qui venaient me rendre visite. Lorsque j’ouvris la porte, un homme relativement chétif se tenait face à moi. Il était vêtu d’un t-shirt blanc et d’une veste sans manche bleue avec le logo d’un hypermarché sur le côté gauche.

– Monsieur Legrand ? Voici votre commande.

 J’autorisai l’homme à entrer, juste le temps nécessaire pour déposer les sacs et repartir. Avec la venue impromptue de ce livreur, j’en venais à remarquer que la nuit était tombée, que la pluie s’était invitée dans la ville et au vu de l’état de mes courses, elle s’était invitée avec puissance. J’en profitai pour jeter un œil à l’extérieur. L’éclairage urbain ne fonctionnait pas en cette douce soirée printanière. La seule lumière qui me parvenait, provenait des éclairs zébrant le ciel. En cette nuit sans pollution lumineuse, le spectacle n’en était que plus grandiose. La pluie se heurtait avec fracas sur le sol et sur les nombreux obstacles que la civilisation avait bâti. Les coups de tonnerre retentissaient avec une intensité que je n’avais que très rarement entendu au creux de ces montagnes. J’en profitai pour fermer les yeux et me détendre un instant sur ces notes que je trouvais bien plus mélodieuses que nombre de musiques. Durant cet instant coupé du monde, j’en profitais pour me poser des questions… sur mes choix de vie, de carrière, sur la solitude qui semblait coller à ma peau. A quoi cela menait-il d’assouvir des ambitions pour au final se retourner et assister à la même monotonie ? Finalement, je laissais ces quelques réflexions sur le balcon pour retourner devant cet écran d’ordinateur. Dans la cuisine, je fixai la pile d’assiettes qui grandissait jour après jour, repas après repas… étais-je tombé si bas, au point de me focaliser sur un point et d’oublier le reste ? Durant quelques minutes, je laissais mon ordinateur, le temps pour moi de faire cette vaisselle, de rager ce qui traînait mais surtout le temps de prendre un bain chaud. Telle une écrevisse, ma peau rougissait en réaction à la chaleur de l’eau. Il n’y avait pas un millimètre de mon corps pour échapper à la chaleur de ce liquide à présent assombri. Finalement, après un nettoyage énergique, je sortis de l’eau, apaisé et détendu. Un séchage rapide qui me permettait de constater l’impact de mon train de vie actuel. Les cheveux qui manquaient de vie, d’immenses cernes sous les yeux et la barbe naissante que je pris soin de raser. Ces opérations m’avaient pris du temps mais l’appartement m’apparaissait d’un coup bien moins sombre et désordonné. Avant de me remettre à l’écriture, je parcourais le web sans but, juste pour lâcher prise. Entre musique et vidéo, il ne fallut que quelques dizaines de minutes à mon esprit pour s’évader, j’étais tellement loin que je ne m’étais pas aperçu qu’une petite enveloppe clignotait en bas de mon écran. A la vue de l’expéditeur, mon sang ne fit qu’un tour. Il s’agissait d’Hachette, grand groupe éditorial pour lequel j’avais envoyé un exemplaire de mon dernier ouvrage. Celui-ci parlait d’une grande aventure, loin en terre aride. Pour cette histoire, j’avais passé plus d’une année à l’écriture, voir même deux si l’on comptait les phases de correction que j’effectuais en solitaire. Ce n’était pas la première maison d’édition que je contactais, à vrai dire, c’était même ma dernière chance. J’avais essuyé de nombreux échecs avec cet ouvrage et si je voulais faire évoluer ma carrière, il devait être publié par une maison d’édition plus classique que le reste de mes livres.

 Après avoir pris de profondes bouffées d’air, je pris mon courage à deux mains et cliquait sur l’enveloppe. Celle-ci s’ouvrit immédiatement mais il ne me fallut que quelques secondes pour comprendre que j’avais affaire à un nouveau refus. Encore une fois, on me remerciait pour l’intérêt porté et la qualité de ma plume mais encore une fois, j’étais recalé sans réelle raison. A cet instant, j’avais la sensation de me prendre une centaine de gifles sans retenue. Je m’étais habitué à l’échec mais celui-ci restait inexplicable. La soirée était déjà bien avancée tandis que le fait de ruminer un nouveau coup dur ne faisait que l’aider à passer vite. Sans réfléchir, je pris mes clés, mon téléphone et sortit de l’appartement. La pluie tombait toujours avec vigueur mais je n’en avais que faire. Je pris la direction d’un parc, situé non loin de chez moi, qui me servait aussi bien d’exutoire que de refuge. Dehors, le temps ne s’était pas calmé, bien au contraire. La pluie avait redoublé de violence et d’intensité, les orages zébraient le ciel rendant le ciel nocturne bien lumineux. L’eau qui s’était déversée au sol dévalait la rue perpendiculaire à mon appartement. Pour une seconde, je ne me voyais pas vivre à Chambéry, ni en Savoie, ni même en France. J’avais l’impression de faire face à une averse tropicale, éloignée de ses latitudes habituelles. La suprématie sonore de l’averse vint finalement se rompre lorsqu’un camion de pompiers passa à toute vitesse, non loin de moi. Aussi rapidement qu’il était apparu, le son s’était volatilisé. Je m’avançais loin du palier et m’engageait dans les ténèbres que la nuit apportait quotidiennement. Il ne fallut que quelques secondes à mes vêtements pour être mouillés, je comprenais pourquoi les rues avaient été désertées. Malgré tout, je continuais à m’enfoncer dans l’obscurité et après quelques minutes de marche, j’arrivais dans ce parc déjà délaissé en temps normal. Je m’assis sur le seul banc disponible et commençais à réfléchir sur l’avenir, ma carrière et tant d’autres choses.

 Qu’avais-je fait de mal ? Pourquoi ce refus ? Ma carrière était-elle terminée sans avoir réellement commencée ? Devais-je revenir sur des pistes plus classiques ? Lesquelles ? Finalement, est-ce que vivre une vie d’échecs valait le coup ? Mes réflexions semblaient m’attirer devant un fossé encore plus sombre que la nuit et rien ne pouvait m’en sortir mis à part les quelques sirènes de véhicules de secours qui passaient en nombre. Au loin, de l’autre côté du parc, une source de lumière mouvante venait distraire mon esprit. Il y en avait même plusieurs… des lampes de poche, décimant la noirceur de ce lieu en une seconde. Je n’arrivais à distinguer qui se tenait derrière chaque lampe mais je pouvais voir que ces personnes avançaient… vite. Alors qu’elles ne faisaient que passer devant moi, l’une d’elles finit par m’aveugler temporairement.

– Attendez, y a quelqu’un ! s’exclama l’une des voix.

 Je pouvais distinctement les entendre approcher mais je n’arrivais pas à voir de qui il s’agissait. Finalement, une voix assez aiguë vint mettre un terme à mes spéculations. Elle se présenta à moi en tant que gendarme.

– Que se passe-t-il ? C’est inhabituel de vous voir dans cette zone… et à cette heure, demandai-je, suspicieux.
– Nous recherchons une enfant nommée Clara Bottet, elle a disparue depuis plusieurs heures. L’auriez-vous aperçu ?

La suspicion laissa sa place à la surprise et au choc. Je connaissais cette enfant, bien que je n’eusse pas aperçu son visage depuis plusieurs années. J’aurai aimé aider les forces de l’ordre dans leur recherche mais tout ce que je pouvais faire était de répondre par la négative. Sans insister, l’une des gendarmes me demanda simplement de les contacter si je voyais ou apprenais quelque chose. L’équipe tourna les talons et prit la direction de la sortie du parc. A travers les hauts arbres, je pouvais apercevoir les faisceaux des lampes de poche se diriger vers les hauteurs. Je restai assis un moment à réfléchir sur cette curieuse rencontre. Les nombreuses sirènes de véhicules de secours que j’entendais étaient-elles destinées à cette disparition ? Je me mis à penser à la maman de cette enfant que je connaissais depuis le collège. J’avais beau ne pas être très proche d’elle, j’espérais tout de même qu’elle tenait le coup et qu’on lui ramènerait sa fille saine et sauve. La pluie battante ne s’était pas arrêtée ce qui était, malgré tout un bon prétexte pour rentrer chez moi. Alors que je prenais, à mon tour le chemin menant aux hauteurs du parc, mon instinct me hurlait, m’ordonnait même d’aller à la recherche de cette enfant. C’est ainsi que je me lançais dans cette quête, sans doute vouée à l’échec. Je n’avais pas une tenue de marche, il faisait nuit je n’étais clairement pas dans un bon état d’esprit mais je me devais d’essayer. La noirceur absolue qui régnait en ces lieux devenait bien plus inquiétante, encore plus lorsque je pris conscience de l’ignorance des faits entourant la disparition de Clara. Avait-elle fugué ? Avait-elle fait une mauvaise rencontre ? Il était peu probable qu’elle soit ici mais en me projetant un peu dans l’esprit d’un tueur, ces bois pouvaient dissimuler bien des choses… encore plus si nous avions à faire à un habitant de cette ville. La désertification de ce lieu n’était qu’un vulgaire secret de polichinelle… il n’y avait qu’en journée et durant les vacances scolaires que ce no man’s land changeait d’apparence. La maison de l’enfance, que je fixai à présent, devenait un lieu de vie et d’activités diverses. En éliminant les pistes les plus improbables, mon choix de recherche se portait au niveau du sous-bois. Pour une personne lambda, cet endroit, de nuit, pouvait paraître extrêmement lugubre. En début de soirée, la lumière provenant des appartements le surplombant donnait un faible sentiment de sécurité mais à cette heure-ci, tout le monde dormait déjà depuis un moment. En me fiant uniquement au son et à la faible lumière que mon téléphone pouvait créer, j’avançais dans les bois.

Je fouillais chaque recoin du mieux que je le pouvais. Chaque feuille soulevée, chaque branche déplacée chaque centimètre exploré pour au final un constat de vide. Si Clara était passée par ici, il était évident qu’elle n’y était plus. Je revenais vers le centre du parc jusqu’à ce que mon regard ne se bloque. Au loin devant moi, il y avait un tunnel qui menait sur une autre section du parc. Elle était inintéressante pour des marcheurs mais elle prenait tout son sens pour les ramasseurs de marrons et autres châtaignes. Au-dessus du tunnel, il y avait la route principale qui reliait mon quartier de résidence aux sorties de la ville et aux accès autoroutiers. A une heure aussi tardive, il n’y avait, d’habitude, presque personne mais en cette soirée, la donne était… différente. De nombreux véhicules entraient mais surtout sortaient du quartier. Quelques voitures, un ou deux camions mais surtout de nouveaux véhicules de secours. Je regardai le balai de cette foule motorisée avec un certain étonnement tandis que progressivement, ma concentration revint sur Clara. Je me renfonçais dans les ombres et gagnais en toute hâte les châtaigniers. De nuit, il était encore plus dur de voir quoi que ce soit ici, les arbres et la végétation créaient un mur qui empêchait toute lumière de passer, même du ciel. Seule la sensation d’humidité et les quelques moteurs de voitures passant au loin me rappelaient que j’étais dehors. Grâce aux châtaigniers, la pluie peinait à s’infiltrer jusqu’au sol, je pouvais sécher un peu. J’empruntais le chemin de pierre qui contournait ce bois tout en prenant un peu de hauteur.

– Clara ?

Seule la réverbération de ma voix brisait le silence au-delà des arbres. Je tentai à nouveau de l’appeler mais la suprématie de cette solitude nocturne semblait incontestable.

– C’est Sébastien, de l’école maternelle, tu te souviens ? Si tu es là, tape des mains ou viens me trouver, d’accord ?

Cet appel demeurait vain et la fatigue de la marche commençait à se faire sentir. Le cœur lourd, je pris la décision de stopper les recherches, les forces de l’ordre avaient certainement agi de la même façon. Je repris le chemin de pierre, quittant ce bois lugubre lorsque tout à coup, surgissant des arbres serrés et de la végétation dense surgit une personne qui me flanqua la chair de poule. Une femme ou plutôt, une fille, assez petite avec de longs cheveux blonds et des yeux bleus se tenait face à moi. Il s’agissait bel et bien de Clara. Stupéfait mais avant tout soulagé de la voir apparaître, sa posture ne me semblait pas naturelle. Elle donnait l’impression que ses genoux allaient flancher au moindre pas, la tête de cette enfant chavirait vers l’épaule droite. Le peu de lumière que mon téléphone pouvait produire était à présent braqué sur elle, ce qui la fit réagir. Elle se cachait les yeux et essayait tant bien que mal d’approcher. Finalement, elle arriva à ma hauteur et se blottit contre moi. Immédiatement, mes noires pensées volaient en éclats tandis que je pouvais la serrer dans mes bras. Clara était gelée et devait rentrer chez elle le plus vite possible.

– Tu peux marcher ?

Sa seule réponse fut un timide hochement de tête tandis que, lentement, nous sortîmes du bois pour revenir vers l’entrée du parc. L’atmosphère paraissait plus légère et, avec Clara à mes côtés, je me sentais bien plus détendu. A sa demande, nous nous arrêtâmes un instant sur le banc de bois qui servait habituellement aux familles venant à la maison de l’enfance. La petite fille restait collée contre moi alors que j’essayai de la réchauffer tant bien que mal.

– Est-ce que tu veux me dire ce qu’il s’est passé ? Tout le monde est inquiet.
– Oui, se contentait de répondre Clara, timide.
– Est-ce que tu as fugué ?
– Non…

Au fond, c’était ma plus grande crainte, j’avais beau connaître et respecter sa maman, il était évident que tout n’était pas rose, aussi bien dans la vie de l’enfant que de sa mère. Avec cette crainte en moins, j’arrêtai de poser les questions et laissait à Clara l’opportunité de parler. Son sens du détail était déjà salué il y a des années lorsqu’elle n’était qu’en maternelle mais il fonctionnait aussi bien pour le dessin que pour les souvenirs. Elle m’expliquait avoir passé l’après-midi avec sa maman et sa petite-sœur dans un parc à jeux non loin de chez elle. Le temps aidant, les enfants étaient nombreux à se retrouver à vivre ensemble durant un instant. Entre jeux et rires, il y avait de quoi passer un bon après-midi. Durant cette session de jeux, un enfant était tombé, au point de se blesser plutôt sérieusement, accaparant par la même, l’attention des quelques parents présents et témoins de la scène. Les autres enfants continuaient de jouer mais Clara s’était arrêtée. Non loin de là, se tenait un homme, dévisageant la scène. Il s’approchait à pas de félins, profitant de la confusion qui régnait dans ce parc. Clara avait fui sans même alerter l’un des parents, non pas car un inconnu voulait l’enlever, plutôt car un homme qu’elle ne connaissait que trop bien s’était approché. Cet homme n’était autre que son père et elle en parlait avec une frayeur que je n’avais jamais entendu chez cette enfant.

– Ecoute, je vais déjà te ramener chez toi, ta maman doit être morte d’inquiétude. On lui parlera de ce qu’il s’est passé.
– Est-ce que ça peut rester secret ?
– Hé bien, je n’en parlerai qu’à ta maman, je n’ai pas envie qu’elle se mette en colère contre toi parce que tu as cherché à te protéger, mais je te promets de n’en parler à personne d’autre, d’accord ?

Clara hochait timidement de la tête pour me donner son approbation. Lentement, nous quittions ce parc pour, je l’espérais, ranger cette soirée dans la colonne « What the fuck ? » que mon esprit créerait spécialement pour l’occasion. La végétation laissait peu à peu sa place au béton et aux immeubles tandis que son domicile était en vue. Tout à coup, plusieurs lampes torches se braquèrent sur nous.

– Les mains en l’air ! hurlait l’une des personnes face à moi.

Sans opposer de résistance, je levais les mains afin qu’elles soient visibles. Je sentais l’étreinte de Clara s’éloigner tandis qu’on me signifiait mon arrestation pour entrave à la justice et enlèvement. J’avais beau tenter de dire qu’il s’agissait d’un malentendu, j’étais menotté et finalement installé à l’arrière d’un fourgon de police. J’avais l’impression de perdre, en une seconde, le peu de contrôle que j’avais réussi à obtenir de ma propre existence

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