[Chapitre III] Ou réel enfer ?
Le sommeil m’avait finalement rattrapé à en juger par la lumière éclatante du soleil. Un rapide coup d’œil à mon téléphone me permettait de voir que le jour était levé depuis quelques heures. Je n’avais pas oublié ces cris de la veille même si mon sommeil s’était avéré plus tranquille, seulement, je n’étais pas certain de ce que j’avançais. Comment savoir s’il se préparait effectivement quelque chose de grande ampleur ? Je pris un peu de temps pour réfléchir tout en fouillant dans le placard, à la recherche de mes céréales. J’étais affamé et à ma plus grande déception, je n’avais plus de petit-déjeuner. Un coup d’œil rapide me permettait même de voir que je n’avais plus rien du tout hormis les plats préparés que j’avais commandé quelques jours auparavant. Sans connexion, il m’était impossible de me faire livrer quoi que ce soit, j’allais donc devoir faire quelques courses, peut-être que les résidents du quartier pourraient également m’éclairer sur les événements qui s’enchaînaient. Je rassemblais mes affaires et après une rapide préparation, je sortis de l’appartement.
A l’extérieur, le soleil brillait d’une intensité que je n’avais pas observé depuis longtemps, la chaleur s’était même invitée malgré un petit coup de vent qui la gardait sous contrôle. En cette belle journée de Mai, le décor était clairement printanier même si le thermomètre jouait aux montagnes russes avec une aisance déconcertante. Je ne fis que quelques mètres avant d’être frappé par quelque chose qui aurait dû me sembler évident. Nous étions Jeudi et ce jour de la semaine représentait l’éveil et l’égaiement de nombreuses personnes dans le quartier à cause du marché. Cette matinée de la semaine était la seule façon de voir une certaine forme d’animation rurale. Les personnes âgées venaient choisir leurs légumes et autres viandes tandis que de nombreuses mères de familles se retrouvaient, le temps de flâner, de parler de leurs enfants et finalement de prendre la direction des écoles du quartier. Le temps était radieux, pourtant, aucune forme d’animation dans la rue principale, pas un maraicher, pas une âme qui vivait. J’étais circonspect devant un tel vide, ce n’était pas normal. Finalement, je pris la décision de passer au supermarché, situé à quelques centaines de mètres, il y aurait forcément quelques âmes perdues pour faire leurs courses. Un bus desservait l’ensemble du quartier, ce magasin compris mais un peu de marche me rassurerait peut-être. Vu l’heure, je m’attendais à entendre la sonnerie de l’une des écoles, ce déclencheur de joie dans le cœur des enfants qui allaient rentrer chez eux déguster un bon repas avant de revenir plein d’énergie pour l’après-midi. Ce ne fut pas le cas, de manière assez prévisible. Ce vide total de population affutait aussi bien ma curiosité que ma méfiance. Je n’étais pas quelqu’un de facilement effrayé mais tous ces événements ne me laissaient pas indifférent, une once de peur s’était formée au creux de mon estomac. Le quartier était divisé en deux secteurs, il y avait la partie basse qui comportait entre autres le par cet mon appartement et la partie haute qui hébergeait le supermarché et l’accès vers le centre-ville, nettement plus peuplé que cette périphérie.
J’eus à peine le temps d’arriver sur la partie haute du quartier que mes yeux furent happés par un spectacle insolite. A quelques dizaines de mètres se tenait un groupe d’individus. Je pouvais compter quatre hommes et deux femmes. Ils formaient un cercle parfait ne me permettant pas de voir leurs visages ou quelconque détail suspect. De prime abord, il m’apparaissait comme un groupe de jeunes lambda, seulement en y regardant de plus près, je pouvais nettement voir des doigts tenter de trouver une sortie au milieu de cette forêt de jambes. Je m’approchais, lentement, espérant par la même, constater qu’il ne s’agissait que d’un jeu ou d’une plaisanterie. A une dizaine de mètres du groupe, mes tympans manquèrent de succomber au hurlement de l’un des hommes. Il était grave, extrêmement puissant et tout aussi inhumain que ceux du parc me déclenchant par la même d’incontrôlables frissons. A la seconde où le cri cessa, le groupe entier se jeta sur la malheureuse victime qui tentait de se débattre. J’étais pétrifié par un tel spectacle et rien ne pouvait me ramener à la raison. Les cris de la victime s’étouffèrent peu à peu tandis qu’un liquide sombre s’échappait entre les jambes du groupe. Finalement, ils se redressèrent et commencèrent à s’éloigner jusqu’à ce que l’une des femmes attrape l’autre par la clavicule, pose sa main sur base du cou de son amie et avec l’autre ne porte une pression telle qu’un craquement sourd et résonnant au creux des bâtiments ne se fasse entendre. La base de la nuque se désolidarisait à vue d’œil tandis que les autres membres du groupe la posèrent au sol, sans ménagement avant de partir. Je venais d’assister à un double assassinat et j’étais tellement sous le choc que je n’avais pas réagi. Je m’approchai de la première victime, qui était dans un triste état. Le sang qui avait coulé s’était échappé de son crâne, imbibant de rouge ses cheveux blonds. Elle avait été battue à mort mais un détail que je n’avais pas aperçu dans l’immédiat me fit presque vomir. Sous son pull légèrement remonté, je pouvais voir une partie de sa chair à vif, incisée par de précis et puissants coups de dents. Ce n’était pas qu’un assassinat, c’était également du cannibalisme. Je voulais hurler mon dégoût de la race humaine mais si je cédais à cette pulsion, j’allais être repéré par ces… « choses ». A un tel degré de barbarie, je ne pouvais plus appeler ces êtres « humains ». Alors que je me levais pour reprendre la route, je sentis une pression s’accrocher à ma cheville et en me retournant je ne pouvais que constater d’une nouvelle montée dans l’horreur. La victime partiellement dévorée… était en réalité vivante.
- Ne… pa...rtez… pas…
Sa voix était tremblante tandis que du sang jaillissait en assez grande quantité de sa bouche. Immédiatement, je tentai, avec le peu de moyens à ma disposition, de limiter l’écoulement sanguin qui émanait de ses côtes. Seulement, l’entaille était telle qu’il m’était impossible de bloquer le saignement. Les appels aux pompiers et au SAMU demeuraient infructueux… je devais me rendre à l’évidence, cette femme était condamnée. Je m’installai à ses côtés tout en prenant garde de ne pas attirer l’attention du groupe de jeunes que je pouvais apercevoir plus loin sur la route. Avec un espoir proche du néant, je tentai de rassurer cette dame qui n’avait pas demandé ce funeste sort, seulement je pris conscience qu’elle n’avait pas peur pour elle lors qu’avec sa main, elle agrippait la mienne et la plongeait au creux de sa poche de jean. Je pouvais distinctement y sentir un objet froid et triangulaire, tandis qu’en sortant du vêtement, cet objet se révélait être une clé.
- 387 … rue… des… com…bes. Sec…ond… étage.
- Economisez votre énergie…
- Non ! Allez-y… pi…
Ce dernier mot fut interrompu par une convulsion que je n’essayai pas de contenir. Seul, il m’était impossible de la sauver. Néanmoins ce spectacle me désolait. Le corps de cette femme formait un arc de cercle qui ne manquait pas de m’impressionner, elle se mit à pousser des cris entre-coupés de vomissements. Une bile rougeâtre et épaisse se répandait sur le sol mais aussi sur elle. Le visage, la poitrine et le haut des cuisses portaient maintenant la même couleur nauséabonde. Finalement, après une bonne minute, son corps inerte retombait violemment au sol tandis que les côtes apparentes se brisaient dans un craquement sourd et viscéral. De là où j’étais, je pouvais voir un fragment de cet os qui était tombé au sol, il était devenu gris et dur comme la pierre. Cependant, ce qui m’interpellais davantage fut l’absence de réaction lorsque je tentai de parler à cette femme. Elle venait de mourir sous mes yeux dans un spectacle à la fois désolant et dégoûtant, tandis que mes yeux se posèrent sur le trousseau de clés qu’elle m’avait donné. J’allais y aller, quelque chose me disait que mon inaction vis-à-vis d’elle ne devait pas se répéter. Après avoir emprunté un détour, j’arrivai enfin devant le supermarché qui, à ma grande surprise, fonctionnait normalement. En entrant, je pouvais voir l’hôtesse d’accueil me fixer étrangement.
- Est-ce que je peux vous emprunter un téléphone ? C’est vraiment urgent, suppliai-je.
Sentant la détresse dans ma voix, elle me laissait utiliser le combiné situé à ses côtés mais encore une fois, les services de secours demeuraient injoignables. Ma détresse se transformait en agacement, j’étais à la fois témoin d’un acte horrifique et prisonnier d’une bulle qui ne semblait pas confrontée à la nouvelle réalité qui se mettait en place. Je remerciais cette femme dont la bienveillance semblait prévaloir sur sa personnalité et me mit en quête d’aliments. Je remplis allègrement plusieurs sacs avec de la boisson, des aliments sucrés et salés de toutes sortes.
- Vous allez bien ?
Cette voix fluette appartenait à l’hôtesse qui m’avait suivi.
- Je ne sais pas…
Tandis que ma voix tentait de rassurer cette dame sur mes intentions, je fus pris de panique. Dans mes poches, les clés que m’avait donné la victime de cette agression n’étaient plus. Est-ce que tout ceci était réel ? Avais-je réellement vu cette attaque et ce décès ? Etais-je en plein cauchemar ou devenais-je complètement fou ? Méticuleusement, je fouillais mes poches avant et arrières mais non, ce trousseau avait tout bonnement disparu… existait-il, au moins ? Il ne fallait pas perdre de temps et vite prendre la route pour rentrer. Après tout, si je ne trouvais pas ce trousseau de clés le long du chemin, cela prouvait que j’avais rêvé. En sortant, la jeune hôtesse m’interpella :
- Vous aviez une tête tellement étrange tout à l’heure, j’ai cru que vous étiez un terroriste.
- Désolé, je ne voulais pas vous faire peur…
- J’en vois des bizarreries à ce poste mais… qu’est-ce que ? s’étonnait-elle, la voix se muant dans la peur.
Le magasin avait perdu toute son ambiance en une fraction de seconde. Les quelques individus venus faire leurs courses, l’agent de sécurité, l’hôtesse… tous regardaient vers la grande baie vitrée qui donnait sur le parking. A l’extérieur, une scène de chaos prenait place, une scène qui me replongeait dans cette réalité. Une personne gisait au sol dans une impressionnante marre de sang. Il était entouré de plusieurs autres humanoïdes qui étaient en train de le dévorer, j’avais l’impression de voir des lions manger une gazelle, sauf que dans ce cas, les animaux étaient humains et que cet événement ne se passait pas dans la savane. Cette déferlante de violence fut brièvement interrompue par un témoin extérieur qui, n’écoutant que son courage tenta d’arrêter ce massacre. En quelques coups, les agresseurs lâchèrent leur première victime et se jetèrent sur le malheureux sui s’écroula sous le nombre. De ma position, le cadavre maintenant visible dévoilait ses secrets. La cage thoracique avait été ouverte nous donnant une vue de premier plan sur les boyaux et viscères du malheureux. Les vêtements avaient été déchiquetés et une partie du visage avait subi le même sort. Ce n’était pas le groupe que j’avais croisé plus tôt mais la méthode était identique. Un assaut implacable et inexorable ne laissant aucune chance aux pauvres âmes qui n’avaient pour seul tort que d’avoir croisé leurs chemins. Le silence du magasin fut brisé par un cri. L’une des employées travaillant en réserve venait d’apercevoir ce spectacle. Alors que nous nous étions tous tournés vers elle, l’hôtesse d’accueil fixait toujours l’extérieur et son visage devint blême. J’ignorai comment mais cette troupe avait entendu un cri lointain et atténué par une baie vitrée. Ils nous fixaient et quelque chose me disait que ça n’allait pas en rester là. Le vigile nous appela du fond du supermarché pour nous permettre d’emprunter la sortie de secours mais à peine eut-il déverrouillé l’issue qu’un nouveau groupe de forcenés se pressa d’entrer, trébuchant et emmenant avec eux le vigile et l’une des employées vers leur funeste destin. Les cris de douleurs, d’agonie et de supplication résonnèrent puis se turent en quelques secondes. Les coups de dents déchirant les chairs en lambeaux, perçant la peau et démembrant des personnes encore vivantes devint la nouvelle mélodie de ce lieu. Pour autant, cette troupe avait totalement fait abstraction de nos existences, trop occupées à consommer leur butin. De ce côté du magasin, je pouvais voir le premier groupe de zombies pénétrer dans le magasin. Ils étaient lents mais il ne fallait pas perdre de temps. Avec l’aide de l’un des clients de ce supermarché désormais maudit, nous fîmes basculer l’un des rayons jusqu’à ce qu’il s’écroule sur les dévoreurs trop obnubilés par leur festin. La sortie était libre mais il fallait nous dépêcher. J’escaladai le rayon désormais au sol et en essayant de ne pas chuter, je parvins à m’extirper hors du magasin, suivi de l’hôtesse d’accueil. Un hurlement à déchirer les tympans se fit entendre suivi de plusieurs autres. Le premier provenait de l’une de ces créatures, les suivants, eux, étaient humains. Je ne pris pas le temps de vérifier ce qui était en train d’arriver, c’était assez évident. J’attrapai l’hôtesse par la main et elle me suivit dans une course effrénée, plus loin nous étions de cet endroit, plus nos chances de survie étaient grandes.
Nous courions encore et encore jusqu’à ce que l’enseigne disparaisse derrière les hautes tours du quartier. La réalité de ma méforme physique vint mettre un terme à cette course folle tandis que je m’asseyais sur une dalle de pierre afin de reprendre mon souffle.
- Qu’est-ce qui se passe ? demandait l’hôtesse, déboussolée.
La confusion était à son paroxysme. Nous venions d’assister à un événement qui chamboulait le cours de nos vies et même si j’avais assisté à une attaque similaire, l’ampleur était minime et avec un témoin à mes côtés, je n’étais plus dans un hypothétique cauchemar.
- C’est la vraie vie ? QU’EST-CE QUI SE PASSE ? hurlait-elle.
Tant bien que mal, j’essayai de calmer cette âme tourmentée mais surtout, avec la propagation de son hurlement, j’avais peur de voir ces créatures nous fondre dessus. Dans l’état actuel des choses, nous n’avions pas la moindre chance face à elles.
- D’où est-ce que vous vous venez ?
- J’habite au centre-ville… Il faut que j’y retourne !
- Vous ne devriez pas… je pense que toute la ville est atteinte.
- Ne me dites pas ce que je dois faire !
Sur ces derniers mots, l’hôtesse s’éloignait à vive allure. Pour sa sécurité, j’espérais qu’elle disposait d’un véhicule fermé. Après quelques dizaines de secondes, sa silhouette disparut complètement derrière les immeubles me laissant au sein de cette grande rue, complètement esseulé, avec pour seule défense possible deux sacs de courses allègrement remplis. Soudain, mon cœur s’accéléra. L’une de ces créatures venait d’entrer dans mon champ de vision, au loin. Je la soupçonnais de sortir du supermarché. Si ma pensée était correcte, était-elle membre du groupe d’agresseurs qui avait tout déclenché ? Ou faisait-elle partie de la bande qui avait attaqué le vigile ? Avait-elle survécu à la chute d’un rayon entier ? Cette pensée me fit frissonner tandis que, discrètement, j’empruntais la rue parallèle, pour me mettre à la recherche de la clé perdue. Je n’avais pas oublié, malgré tout ce qui s’était produit depuis. A mon grand soulagement, ce passage était désert, je pouvais abaisser légèrement ma méfiance et me mettre à scruter le sol. Le poids des sacs m’obligeait à ralentir et à reprendre mon souffle assez régulièrement. L’air s’était refroidit et le vent s’était levé, faisant voyager les nuages. D’abord blancs, ils devenaient gris puis noirs ne laissant qu’une place minuscule au soleil. Avec un tel assombrissement, il m’était difficile de chercher un objet aussi petit qu’une clé et qui pouvait se confondre avec le goudron. Cependant, pour la première fois depuis des lustres, la chance finit par me sourire. C’était avec la clé retrouvée que je pris la direction du domicile de cette femme, me demandant encore pourquoi elle m’avait donné ce trousseau.
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