[Chapitre IV] Solitude rompue
Le trajet jusqu’au domicile de la victime s’était déroulé sans encombre même si j’avais croisé certains humanoïdes sur mon chemin. Cependant, je n’avais pas eu à livrer bataille, je préférais jouer ma survie sur la discrétion et la furtivité. Cette stratégie m’avait permis d’observer leur comportement, enfin, une brève partie. L’horreur à laquelle j’avais assisté ne provenait pas d’humains, j’avais beau me dire que les Hommes étaient capables du pire, ces assauts n’avaient rien en commun avec ce que j’appelais le pire de l’humanité. La pluie s’était invitée avec force sur la route et me rappelait que sans un toit, des murs et une porte fermée, ma sécurité n’était plus garantie. En entrant dans le domicile de cette femme, je ne pouvais m’empêcher de penser que j’étais en tort. Je pénétrais au sein de l’ancienne vie d’une inconnue et de ce que j’apercevais, cette vie était agitée. Le désordre régnant dans cet appartement surpassait ce que mon logement avait connu de pire. Dans l’air flottait une odeur de moisissure et d’urine, la poussière était très présente tandis que les détritus jonchaient le sol. Certains aliments pourrissaient sur la table de la salle à manger et des asticots commençaient à sortir des fruits. La scène était difficilement supportable mais restait bénigne comparée aux viscères et autres actes de cannibalisme. Soudain, je m’arrêtai net face au fauteuil du salon lorsque mon regard croisa le sien… ces yeux grands ouverts, cette expression figée par la douleur, ce recroquevillement… face à moi se tenait la raison de ma venue ou plutôt ce qu’il en restait. Une dame d’un certain âge, morte. J’ignorais depuis combien de temps mais en guise de consolation, elle était entière.
- Tata, c’est toi ?
Cette petite voix me mit immédiatement en alerte. Il ne s’agissait pas de défense mais elle appartenait manifestement à un enfant qui ne méritait pas de voir un cadavre. Je fermai précautionneusement le salon et m’approchais de cette nouvelle porte qui devait certainement cacher une chambre.
- Non, ce n’est pas ta tata mais c’est elle qui m’envoie. Je peux entrer ?
J’ouvris lentement la porte et instantanément, le visage que je pouvais ajouter à cette voix me fit reculer. Face à moi se tenait Clara qui, elle aussi, fut surprise de me voir. Je ne cherchais pas à lui faire du mal mais je comprenais le regard méfiant qu’elle me lançait. Cette soirée, le par cet tout ce qui s’y était déroulé… je ne pouvais qu’imaginer sa famille essayer de lui faire comprendre que pour son bien, elle ne devait plus jamais croiser ma route et pourtant, j’étais là.
- Ta maman n’est pas là ?
- Non, elle s’est disputée avec mamie et elle est partie en courant. Pourquoi tu as les clés de ma tata ?
- Ecoute… j’ai croisé ta tante… et elle m’a donné ses clés. Je n’ai pas pu en savoir plus même si j’imagine que c’est pour toi que je suis là.
En réalité, ma rencontre avec cette femme n’avait pas duré très longtemps et j’ignorais si j’étais là pour Clara, cette dame dorénavant décédée ou peut-être pour les deux. Je détestais naviguer dans ces eaux troubles, dans cette incertitude et plus les jours avançaient, plus j’avais la sensation de m’y perdre. Emmener et héberger Clara ne me dérangeait pas même si la solitude était ma seule compagne en ces temps obscurs, cependant, il s’agissait d’une question de jours avant que la normalité ne reprenne sa place et la dernière chose que je souhaitais était de me retrouver face aux forces de l’ordre avec cette enfant, une fois encore. Je ne voulais en aucun cas être accusé d’un mal que je n’avais pas commis. Malgré tout, je pris la décision de l’emmener avec moi, peut importe ce qu’il pourrait m’en coûter. Dans un sac, Clara prit quelques vêtements, ce qui lui tenait le plus à cœur et sans perdre de temps, nous quittâmes l’appartement. Dehors l’ambiance avait changé du tout au tout. La pluie avait cessé de tomber mais à sa place, un brouillard très épais s’était installé sur la ville. On n’y voyait rien à plus de dix mètres ce qui rendait notre situation périlleuse. J’avais beau savoir que mon appartement était proche de notre position, cette visibilité nulle offrait un parfait camouflage à d’éventuels assaillants. C’était avec les vivres nécessaires et ma nouvelle compagne d’infortune que nous prenions, lentement, le chemin. Chaque pas était calculé et dans ces conditions, courir était impossible. J’ignorais jusqu’où ce fléau s’était répandu mais une chose était sûre, cette silhouette qui se tenait dans la brume allait nous poser des soucis. J’avais beau plissé des yeux, il m’était impossible de distinguer quoi que ce soit chez elle. Juste à côté de moi, Clara semblait bien plus encline à approcher, surtout lorsqu’elle me tendit un sac à main, resté au sol.
- Tata !
Immédiatement, je pus la voir se tourner et nous fixer. Comment était-ce possible ? Les blessures qui lui avaient été infligées étaient trop importantes pour bouger, même si sa lenteur m’interpellait. La dernière fois que j’avais vu quelque chose de similaire, la personne n’avait plus rien d’humain et cette démarche me semblait affreusement familière. Finalement, après quelques secondes d’un face à face qui semblait interminable, je pouvais la voir approcher avec cette lenteur si intrigante. Le pas lourd, le boitement prononcé me faisait reculer. Clara, qui reculait avec moi, ne comprenait pas pourquoi un tel acte de méfiance vis-à-vis d’une personne qu’elle connaissait bien… si seulement je pouvais lui expliquer… lui dire. J’avais beau être complètement dépassé par la tournure des événements, je pouvais distinguer un être humain de ces… créatures. Elle s’était approchée davantage, faisant face à nous avec des plaies toujours aussi visibles. Clara se mit à hurler, ce que je tentai d’empêcher. Il n’y avait plus que quelques pas d’écarts lorsqu’elle se mit à pousser un hurlement qui déchira le silence avant de se jeter sur l’enfant. Les deux corps roulèrent sur le sol à une vitesse impressionnante et dans un fracas qui l’était tout autant. Sans perdre un instant, je pris le maximum d’élan qu’il m’était possible et assénait un violent coup de pied dans la mâchoire de l’assaillante qui lâcha prise. Un violent craquement avait retenti, sa mâchoire était brisée. Cependant, alors que j’emmenai Clara le plus vite possible en sécurité, son cri manqua de déchirer nos tympans. Pour cette fois, nous avions été les plus rapides, j’espérais qu’il en serait toujours ainsi. Nous approchions de l’immeuble où je résidais, bien que le brouillard fût toujours un handicap visuel, je connaissais ces rues, ces plantes et ces jeux pour enfants par cœur. Finalement, devant la porte d’entrée, je poussai un soupir de soulagement. J’avais effectué ma première sortie dans ce nouveau monde et, malgré le chaos, j’avais survécu. De nouveau, un hurlement poussé par la tante de Clara se fit entendre. Il était toujours aussi terrifiant mais bien plus lointain. Ce cri était si puissant que, pendant un instant, je crus l’entendre résonner dans ma tête.
- Qu’est-ce qui se passe ? demanda Clara, paniquée.
- Je ne sais pas, répondis-je, guère plus rassuré.
Tout ceci n’était pas une illusion de mon cerveau. Le cri avait eu une multitude de répliques. Provenant de tous les côtés, de toutes intensités et surtout impossibles à arrêter. Pour l’heure, il était vital de nous cacher et de rendre notre présence indétectable. Dans l’appartement, je poussais un énorme soupir de soulagement, j’étais en vie et en bonne santé, sur le plan physique. Le moral avait, lui, pris un sérieux coup. Qu’étais-je en droit d’espérer ? Un rapide retour à la normale ? Une accalmie longue et progressive ? Devais-je abandonner tout espoir ? Telles étaient les questions qui luttaient dans mon esprit alors que je prenais soin de ranger nos vivres. Clara était sur le canapé, encore choquée par ce qu’elle venait voir. Faites des enfants… vous créerez une entité indépendante qui sera complètement perdue quand tout contrôle aura échoué et pour le coup, la crise d’adolescence ou le passage à l’âge adulte n’était pas en cause. Pour de nombreuses raisons, je n’avais jamais souhaité d’enfants, l’hypothèse de les voir grandir dans un monde cauchemardesque m’apparaissait insupportable. La noirceur du monde tel qu’il était avant, la noirceur de nos vies actuelles… ce n’était pas un spectacle pour enfants. Je m’approchai de Clara qui fixait droit devant elle sans but précis. En me mettant à sa hauteur j’essayais de lui faire comprendre que je n’avais pas eu d’autres choix. Sa seule réponse fut de se jeter dans mes bras, les pleurs brisant le silence qui régnait dans l’appartement. La soirée avait été pénible, je ne parvenais pas à consoler cette enfant et cette impuissance me rendait fou. Les cicatrices ne se résorbent qu’avec le temps, pensai-je avant de pester intérieurement. Finalement, les larmes versées avaient exacerbé une fatigue déjà présente, Clara s’endormait pratiquement contre moi. En cette soirée si particulière, elle ne dormirait pas seule, je veillerais sur elle et sur l’extérieur. Le sommeil s’obstinait à m’échapper, peut-être que la nuit serait intéressante à étudier vis-à-vis de ces… zombies. Dans la culture populaire, ces créatures germaient de plus en plus dans les films, les livres et les jeux vidéo, pourtant, rien ne nous préparait à en croiser au coin de la rue. Réels et aussi dévastateurs que leurs cousins imaginaires à en juger par l’attaque du magasin. Ces images n’arrêtaient pas de défiler dans ma tête… ce déferlement de rage, de blessures, de morts… j’en venais à me demander si la situation était locale où si elle s’était étendue au-delà des montagnes et possiblement des frontières. Cette pensée me fit frissonner. J’imaginais des nuées de zombies attaquer les plus grandes villes, profitant d’évacuations tardives pour laisser décomposition et chaos derrière elles. En pensant à la tante de Clara, je pris conscience que, comme dans la culture populaire, les blessures occasionnées durant son agression l’avaient transformé et pourtant, je l’avais vu mourir sous mes yeux.
Mon imaginaire se fit brusquement interrompre, quand, au loin dans le quartier, des hurlements se firent entendre. Clara dormait toujours profondément, ainsi je pris la liberté de changer de pièce afin d’ouvrir une fenêtre. Dans cet endroit désolé, plus nous comprenions notre environnement, plus nos chances de survie grandissaient. La puissance des cris était prodigieuse tandis que leurs nombres étaient difficile à évaluer. Qu’est-ce qui pouvait attiser une telle recrudescence de cris ? Avaient-ils trouvé un festin ambulant ? Je ne l’espérais pas mais je comptais en avoir le cœur net, ce qui impliquait de trouver le sommeil. J’étais surpris mais aussi soulagé de voir Clara dormir à poings fermés en cette première nuit de l’enfer. Je m’endormis, non loin d’elle en espérant me réveiller dans une société retrouvée.
Les quelques cris qui accompagnaient mon réveil enterraient mes espoirs avec brutalité. Le soleil dominait le paysage, pour une exploration c’était le temps idéal. Je comptais faire le tour des montées alentours pour éclaircir un doute dont je n’arrivais pas à me défaire. Hormis la voisine décédée quelques jours auparavant, je n’avais rencontré personne dans cette insanité. Tous mes voisins s’étaient-ils sauvés ? Si c’était le cas, où étaient-ils et surtout, comment était-ce possible sans que je m’en aperçoive. Avant de partir à l’abordage, je pris soin de m’équiper de vêtements à manches longues et d’une barre de fer que je gardais au cas où. J’étais prêt à partir mais je voulais attendre le réveil de Clara pour lui donner quelques consignes et surtout pour ne pas lui faire peur, elle en avait déjà trop vu.
- Bonjour Sébastien.
- Coucou, tu as bien dormi ?
Clara se contentait d’hocher de la tête, néanmoins, cette réponse positive me donnait le sourire. Elle avait le nez dans ses céréales et mangeait à grande vitesse. C’était aussi un bon signe pensai-je en la regardant un instant. Je pris le temps de lui expliquer le but de cette initiative matinale, pour autant, je gardais mes motivations secrètes. Dans l’état actuel des choses, il n’était pas du tout judicieux de parler des zombies devant une enfant. A sa réaction, je pouvais voir que la sensibilité de cette fille n’avait pas changé. Elle me demandait de ne pas y aller, qu’il n’y avait aucun intérêt à sortir… sa peur s’était chargée de parler pour elle. Calmement, je la pris dans mes bras, pour tenter de la calmer mais surtout de lui faire comprendre la nécessité d’aller explorer.
- Ecoute, il y a peut-être d’autres personnes comme nous, que l’on pourrait réunir. Dans notre situation, l’union fait la force. Je dois aller voir.
- Mais, j’ai pas envie que tu croises…
- Je sais, je te promets que je ferais attention mais si je n’y vais pas et qu’il y avait quelqu’un en difficulté, je m’en voudrais. Je vais verrouiller la porte, il n'y en aura pas pour longtemps mais n’ouvre à personne. Je ne veux pas que tu te retrouves face à l’une de ces créatures.D’accord…Je n’en ai pas pour longtemps.
Comme convenu, je pris soin de fermer la porte avant de commencer mon inspection du voisinage. La montée était sécurisée, je pouvais tenter de parler et de briser l’éventuelle méfiance des voisins, seulement, sur les neuf autres appartements, je ne reçus aucune réponse. C’était étrange et peu rassurant. Comment toutes ces personnes avaient pu fuir sans même que je ne m’en rende compte ? Je ne pouvais que supposer, il pouvait tout à fait y avoir des personnes suffisamment méfiantes pour ne pas ouvrir, même avec le son de ma voix. Je pris la décision de fracturer la porte d’un voisin, situé au second étage. Elle m’avait résisté, plus que je ne le pensais aux vues des nombreuses minutes écoulées sur son crochetage. En parvenant à débloquer la porte, je serrai instinctivement ma barre de fer, en espérant que je n’aurai pas à en faire usage. Dans cet appartement, tout semblait en ordre et les quelques placards fouillés ne laissaient pas de doutes. Cette famille avait évacuée les lieux.
Résigné, je pris la direction de l’extérieur, après tout, ces cris de la nuit n’étaient pas innocents. Quelque chose s’était déroulé à quelques centaines de mètres. Les deux rues principales étaient parfaitement droites et n’offraient quasiment aucun refuge, si l’une de ces saletés devait croiser mon chemin, j’allais devoir batailler. D’un revers de pensée, je balayai ces idées noires, j’avais promis à Clara de vite revenir et je me trouvais déjà long. Une dernière bouffée d’air, un dernier regard par la vitre et j’ouvris la porte. Rien à gauche et rien à droite, aucune trace de ces créatures à mon plus grand soulagement. Lentement, je fermai la porte qui se scellait par un système électromagnétique, sans ouverture par l’un des résidants ou sans passe, il était techniquement impossible d’entrer. Sans perdre de temps, je marchai jusqu’à l’angle droit de l’immeuble situé devant moi. Je pouvais pencher la tête et observer tout en restant discret. De ce côté, le passage allait s’avérer compliqué, je pouvais distinctement voir la tante de Clara… ou du moins ce qu’il en restait fixer le vide. Tout aussi discrètement, je me déplaçai du côté gauche de cette façade pour atteindre la rue parallèle. De ce côté, aucun zombie n’était en vue, néanmoins, je restais méfiant, de nombreuses voitures étaient garées le long de la rue rendant une rencontre probable.
Lentement, je progressai sur cette rue qui, quelques semaines auparavant, servait surtout aux jeunes, c’était leur point de rendez-vous lors des longues et chaudes soirées de chômage. A cet endroit, ils parlaient et riaient tellement forts qu’il était monnaie courante qu’une partie du voisinage se réveille tandis que le tout finissait généralement en concours d’insultes. En avançant, je fus pris d’un frisson, non pas de peur mais de froid. A la fin du mois de mai, les températures au sein de la ville étaient régulièrement chaudes, bien trop pour moi qui me promenait toute l’année avec des vêtements à manches courtes et cette fois, j’avais froid. Je me demandais ce que la météo planifiait mais l’apparition d’un zombie à quelques mètres à peine se chargea d’envoyer cette pensée aux tréfonds de mes préoccupations. C’était un homme d’un certain âge, les cheveux poivre et sel qui accompagnaient une barbe naissante de la même couleur. Il était vêtu d’un jean déchiré au niveau de la cuisse qui dévoilait une grave blessure au niveau de la cuisse. La chair était complètement sortie et gonflée mais ce qui me choquait résidait dans la couleur noire de ces lambeaux. L’homme me fixait avec ses yeux injectés de sang tandis que pour la première fois, je pouvais apercevoir que l’iris de ses yeux avait purement et simplement disparu. Son teint était blafard tandis qu’un filet de bave maculé de sang s’échappait de ses lèvres transpercées. J’espérais de tout cœur qu’il ne se mette pas à hurler, à en juger par ce que j’avais entendu la nuit dernière, ils étaient très réceptifs aux cris de leurs « congénères ». J’approchai de ce zombie avec des pas extrêmement hésitants, habité par la peur. La peur de mourir était inexistante pour moi, j’avais déjà affronté des démons qui m’avaient donné l’envie de quitter ce monde. Je pensais à Clara, au fait que sa survie dépendait actuellement de la mienne, c’était avec cette jeune fille si attachante dans la tête que je serrai ma barre de fer et décochait un premier coup sous la mâchoire du zombie. Celui-ci eut un mouvement de recul m’offrant un accès pour frapper le côté de son crâne. Je ne manquais pas l’opportunité et assénais un nouveau coup avec toute la puissance dont je disposais sur la tempe qui se mit à saigner. Ce liquide noir s’écoulait en grande quantité sur le sol tandis que mon opposant n’était toujours tombé. La consternation s’était invitée sur mon visage, j’avais à mon tour, un net mouvement de recul. Une forte rafale de vent me fit frissonner et le zombie se mit à me fixer avec ses grands yeux vides. Tout à coup, il se jeta sur moi balayant mon équilibre et m’entraînant dans une douloureuse chute. Je pouvais sentir son haleine putride tandis qu’une quantité non négligeable de sang s’écoulait de la plaie infligée par mon arme pour atterrir sur mon jean. J’eus beaucoup de mal à le repousser, le besoin de gesticuler dans tous les sens pour m’extraire de son emprise et surtout d’utiliser ma barre de fer. Plusieurs coups très secs portés derrière la nuque jusqu’à entendre un craquement sourd. Le zombie s’écroulait au sol dans une mare de sang, le crâne fendu en deux. Je me tenais le bas du dos, meurtri par la chute tout en observant des petits morceaux de cerveaux s’échapper de la plaie béante que j’avais provoqué. Ce spectacle me mit très mal à l’aise car il était le reflet d’une nouvelle parcelle de ma réalité. Je n’étais pas quelqu’un d’agressif, encore moins violent, seulement, le choix m’avait été retiré. En détournant le regard, je pris conscience qu’il me fallait avancer.
Après deux minutes de marche supplémentaires, je m’arrêtai net. J’étais face à un parking résidentiel qui ressemblait plus à un champ de bataille. Au sol, de nombreux corps baignaient dans différents fluides rouges et noirs. Il y avait d’anciens survivants, dévorés, éventrés, égorgés voir même énuclés pour ce que j’avais vu de plus gore. Les zombies avaient également souffert lorsque je vis l’une de ces créatures, pendue à un arbre, visiblement la gorge entaillée mais toujours en mouvement. Elle émettait un petit cri à peine audible qui s’amplifiait lorsqu’elle posa les yeux sur moi. Ne voulant pas me retrouver face à un nouveau combat, je me retirai, laissant la malheureuse à son triste et funeste sort. Sur le chemin du retour, je marchai presque normalement, malgré cette douleur dorsale qui restait gênante. Je me demandais ce qui avait occasionné un tel déchaînement de violences et surtout, pourquoi pendre un zombie alors qu’il était sûrement moins risqué de l’achever ? Je me devais de garder mes incertitudes secrètes, pour le bien-être de Clara. Je me demandais encore ce qui me poussait à vouloir la protéger ainsi. Je m’étais tellement habitué à la solitude qu’un être qui traversait mon chemin me laissait systématiquement indifférent. Dans ma jeunesse, j’avais eu le cœur pur, celui qui aidait ses proches, celui qui se sacrifiait… pour leur bonheur. A cette époque, il n’y avait rien de plus beau pour moi, que le sourire de gratitude de ceux que j’aidais, je ne demandais rien d’autre. Seulement, le froid revers de l’humanité s’était chargé de me rappeler à lui en me laissant sur le côté. J’étais devenu le rejeté, celui qui était trahi, abandonné et finalement oublié. Mes amis étaient heureux, mes anciennes copines l’étaient également et à côté, personne pour ne prendre ne serait-ce qu’un peu de mes nouvelles, aucune femme pour m’aimer… j’avais fini par abandonner ma foi et mes espoirs en l’humanité, en mes proches… mais avec Clara, pour la première fois depuis longtemps, j’éprouvais de nouveau ce sentiment de plénitude lorsqu’elle m’adressait un sourire. Je ne pouvais que supposer que mes états d’âme n’avaient plus aucune importance dans ce nouveau chapitre de vie. Comme à l’accoutumée, je pris soin de fermer discrètement la porte d’entrée de la montée mais le vacarme qui régnait fit grimper mon inquiétude en flèche. Ça ne pouvait que provenir de chez moi. Il ne m’en fallut pas plus pour gravir les marches quatre à quatre, la douleur se faisant oublier. J’étais prêt à fracasser tout ce qui bougeait.
Elle est mignonne cette gosse, qu’est-ce qu’on fait ?
La laisser tranquille ! Hurlai-je avec véhémence.
Tous se retournèrent et me firent face. J’étais surpris de voir qu’il ne s’agissait pas de zombies mais bel et bien de survivants. Ils étaient trois, trois hommes qui me dévisageaient avec un certain étonnement.
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