I
Du lundi au vendredi, chaque matin, Rafael prend le train de 7 h 37 pour se rendre à son travail. À cette heure matinale les rames sont déjà bondées.
Après avoir effectué un trajet de quarante-trois minutes afin d’atteindre la station Châtelet, il lui reste dix minutes de marche. Il est 8 h 30 quand il pousse la porte de son bureau.
Mardi.
Son sommeil fut agité. En rêve, il refaisait inlassablement son parcours quotidien, se réveillait exténué pour se rendormir et plonger de nouveau dans le même songe. Rafael se lève avant que son réveil sonne.
7 h 14. Il arrive sur le quai de la gare, lequel à sa grande surprise est quasiment désert. Il fait encore nuit, un épais brouillard plane.
Un instant plus tard, il prend place dans un wagon vide ; c’est si rare qu’il en profite pour lire quelques pages du roman commencé la veille au soir.
À la station suivante, une jeune femme monte et vient s’installer sur la banquette face à lui. Au moment où elle s’assied, elle manque de faire tomber le livre de Rafael. Elle le prie de l’excuser ; il répond que ce n’est rien.
Il aimerait reprendre sa lecture, mais ne parvient pas à se concentrer. Les mots imprimés sont flous. Il sent le regard de la maladroite posé sur lui. Il ose un rapide coup d’œil vers elle, découvre qu’elle le fixe avec insistance, en souriant. Ses traits sont statiques, figés, semblables à ceux d’un portrait. Il s’attarde à la considérer avec la même curiosité, puis finit par baisser les yeux, incapable de soutenir plus longtemps son regard immobile, pénétrant, presque dévorant. Ce qu’il ressent est étrange, sorte de mélange entre plaisir et frayeur.
Ils approchent de Châtelet-Les Halles. Rafael se prépare à descendre, quand la jeune femme pose sa main sur son bras et lui présente une fois encore ses excuses. « C’est oublié », lui dit-il.
Lorsqu’il se retrouve sur le trottoir, il a vingt minutes d’avance sur son horaire habituel. Il marche lentement, très lentement ; repense à la femme du train. Qu’avait-elle à le dévisager ainsi, ou bien qu’a-t-il, lui, de si particulier aujourd’hui pour susciter un tel intérêt ?
Il entre au Café de Rome, commande un expresso avant de se rendre aux toilettes. Il veut vérifier son apparence dans un miroir. Il inspecte ses profils : droit, gauche, incline son visage, de face, de haut en bas… Rien, rien ne lui semble anormal.
Les heures suivantes sont à l’image de sa nuit précédente. Rafael est tendu, nerveux, perturbé. Il ne cesse de se remémorer sa rencontre si singulière, ne parvient plus à sortir cette femme de son esprit ; son visage l’obsède.
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