La gazelle et la louve

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Il était une fois, une gazelle. Patiemment et avec beaucoup de pudeur, blottie avec soin derrière son petit buisson d'épines, elle tournait et retournait le kaléidoscope de son chemin. Malgré sa jeunesse, que de couleurs, de lueurs, de flammes tantôt ravivées, tantôt étouffées, d'obstacles pour apprendre ! Apprendre de Madame la Vie, apprendre des autres, apprendre d'elle-même, apprendre de sa Majesté la Faucheuse... Mais il était également nécessaire de comprendre pour avancer. Alors la gazelle, d'une tête bien pleine, était devenue une tête bien faite. Ou, tout du moins, la mieux possible... Seule, comme une grande... parce que la jungle n'avait absolument pas de pitié... Ce soir-là, les étoiles pour seul toit, elle était presque reconnaissante envers les difficultés rencontrées.

La première en titre, et pas des moindres, lui avait été violemment présentée à travers son métissage. La différence. Le mélange. Ce bouillonnement de cultures dont certains se servirent dans le seul et unique but de l'entraver. De lui présenter un miroir déformant toute réalité, toute beauté du geste. Pourtant, l'époque prônait déjà l'ouverture... mais peut-être pas pour les mêmes raisons... Le rejet de l'autre ne prend-il pas naissance dans le rejet de soi-même ? C'est en menant cette réflexion que la petite gazelle avait peu à peu porté son indéniable différence comme une fierté. Puisque c'était son identité. Sa richesse naturelle. L'incarnation d'une magnifique mutualité... dans un espace toujours aussi sauvage...

Ces Autres lui avaient malgré tout coupé un bout d'oreille...

La permutation n'est-elle pas le facteur primordial à toute élévation, au sens spirituel ? De son individualité, la petite gazelle avait donc levé ses yeux brumeux sur ses congénères. Ceux que les éléphants refusaient de voir... Son amplitude spontanée aux différences multiples l'avait tout à la fois meurtrie et enracinée. Un faon à trois pattes, un tigreau ayant perdu son doudou, un girafon sourd, un bufflon abandonné, un gorillon dans sa brume à lui... Jamais elle n'avait saisi cette nécessité absurde et impitoyable d'ériger des barrières contre ces êtres innocents, sans aucun pouvoir, ni aucune défense. Alors, elles les avait côtoyés, nourris, consolés, divertis, rassurés, maternés, travaillé avec eux, pour eux. Elle s'était battue, et luttait encore pour le respect de leurs droits, de leur dignité, de leur visibilité. C'était naturel pour elle. C'était essentiel. C'était urgent. Comme l'instinct d'une louve protégeant une portée qu'elle n'a pas mis au monde, mais qui est là, et qui ne demande que de l'affection, doucement...

Cette intolérance révoltante lui avait coupé le bout du museau...

Son cœur, quant à lui, n'était pas balisé. Et un lion, un jour, s'en était emparé. Il n'était pas chef de meute, mais elle l'avait vu différent, disponible à cette ouverture d'esprit qu'elle aimait tant. En tout prétendant au trône, il s'était révélé bien cruel par des promesses, l'assurance de paillettes, de luxe et d'abondance. Malheureusement, l'amour, celui qui illumine les nuits les plus sombres, cet amour, lui était absent. Il le définissait autrement. Pourquoi s'embarrasser de lionceaux si tôt ? D'ailleurs, pourquoi s'embarrasser de lionceaux tout court ?! Pourquoi ne pas régner, uniquement et simplement ?! La descendance, c'est pour les autres ! Je serai roi, c'est tout ce qui m'importe ! Tradition... Dans ces moments, toute gazelle s'effondre. Et celle dont je vous conte l'histoire tomba à genoux. Silencieuse, triste et dans une douleur lancinante sur laquelle elle n'avait pas encore posé de mots. L'amour devait bien exister quelque part, non ?...

Ce lion lui avait coupé une corne...

Ces mots, elle les avais trouvés plus tard. Quand elle avait commencé à s'éloigner de la cour royale en permanence encline à lui proposer monts et merveilles. Elle avait rencontré des mots transpercants, l'arrachant à ses croyances naïves, la bouleversant en son âme. Comme un coin de ciel bleu au milieu de nuages sombres et menacants.

Mais les lions parcourent inlassablement l'immensité de la savane... C'est ainsi qu'un autre courtisan avait deviné la fragilité de la gazelle. À la tête d'un petit harem de panthères au rabais, son instinct de prédateur lui avait permis de deviner, et de se servir sournoisement des faiblesses de sa proie pour mieux la dévorer... et s'évanouir dans la nature après avoir obtenu un peu de ce qu'il convoitait, usant et abusant patiemment d'envoûtements verbaux, d'aura animale, de vœux conventionnels et d'images parfaites. Chimères... L'amour n'existait-il donc pas ? Le désespoir et la comédie présidaient-ils donc toute destinée ? Puis, l'orage le plus terrible qu'elle ait jamais vécu s'était abattu sur elle. Longtemps. Régulièrement. Sournoisement. Trop fort. Trop intensément. Trop enragé.

Ce lion lui avait coupé une patte.

De son côté, Madame la Vraie Violence ne s'était pas encore présentée. Un matin d'été, le jeune faon préféré de notre petite gazelle abîmée reçut une invitation impérieuse de sa Majesté la Faucheuse. Ils faisaient partie du même clan. Il vivait dans un monde qui lui était propre, aux couleurs adoucies, aux lumières tamisées, exempt de toute agressivité, implant incongru à notre réalité, sans rien exiger de personne. C'était sa pupille, son protégé, son moteur inné. Ce jour, notre héroïne sombra dans la pénombre. Dans les rêves inconstants. À corps perdu. Dans une mélancolie exacerbée, nourrie de tous ces fantômes accumulés, valsant son cœur et sa culpabilité sans trêve. Elle ne trouvait plus aucun repos. La gazelle à l'instinct de louve avait plié. La Comtesse de l'Existence avait fait tomber son masque et s'était muée en Putain. Une de ces s***pes de luxe, de première main, qui nous met à genoux, aux abois et à crédit dès lors que nous respirons à l'air libre pour la première fois. Errances... Non, l'amour ne pouvait subsister nulle part sur cette planète. Non, son rêve de famille ne pourrait jamais prendre vie. C'était forcément impossible. Indéniablement éprouvant. Incontestablement injuste. Pas de cadeau de Dame Nature : désillusion. Pas de petites pattes en tous genres (des bleues, des rouges, des poilues, des à plumes, à sabots ou coussinets, enfantées ou adoptées) parcourant la terre asséchée...

La Mort lui avait crevé les yeux...

Privée de la vision, ses autres sens avaient donc compensé le manque afin de l'aider à survivre. Au cours de ses pérégrinations tortueuses dans la discrétion de la nuit, la gazelle entendit un étrange animal s'assoir à ses côtés. Il cherchait un point d'eau, tout comme elle. Ce n'était pas un lion. Il jouait finement avec les mots comme pour conjurer le mauvais sort. Ce n'était pas un lion. Elle ressentait ses cicatrices et ses mutilations, vraisemblables conséquences de nombreux combats menés avec courage. Ce n'était pas un lion. Il lui rappela son rêve bigarré de faire déborder un jour un drôle de tiroir. Un beau tiroir. De ceux qui se ressentent réciproquement. Un tiroir passionnément. Un tas de chiffons à la folie. Qui ensoleille comme une brûlure. Qui rayonne comme une caresse. Qui langoure-comme-il-prélasse. Non, ce n'était pas un lion. C'était un loup. Un loup de passage dans la savane. En route pour les grandes steppes du Nord... Perdu ? Incongru ? Saugrenu ? Insolite ? Qu'importe... Échanges...

C'était un loup à l'instinct de Loup. C'était un loup au cœur de géant comme torturé par les Dieux. C'était un loup lumineux, stimulant, généreux et sublime dans sa Beauté proprement étrange parce que Vue avec ce cœur dont elle croyait qu'il ne pulsait plus, épuisé.

Ce Loup voyageur marchand d'allégories lui avait donné des ailes...

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