Reflets
Elle se présente à moi tous les matins. Elle me demande de la décortiquer pour se convaincre qu'elle est parfaite. Je la vois se dévêtir, s'ausculter, se contorsionner, se détailler. Mais je ne lui montre qu'elle, alors qu'elle brûle d'en refléter une autre. Une de ces autres dont elle admire le teint, les cheveux, la longueur des jambes, la poitrine généreuse... Elle voudrait que je lui mente, que je travestisse nos rapports, que je lui donne une autre lumière. Elle ne voit pas sa beauté brute, authentique. Elle est mélangée, tourbillonnée, tanée. Tanée par ce faux soleil qu'elle s'obstine à atteindre, alors que je m'efforce chaque jour de lui montrer sa vraie intensité. Je lui crie à ma façon que sa peau satinée est unique, que ses yeux bruns brûlent d'une douce sauvagerie, que sa tignasse bouclée aux reflets chauds participe de son allure attirante. Mais elle ne m'entend pas. Elle se transforme à travers moi pour leur ressembler, faire partie de leur clan. Elle ne voit pas ses couleurs, trop hypnotisée par ce redoutable chant de sirènes qui prend plaisir à t'effacer pour mieux t'endormir et te faire sombrer. Je suis le meilleur ami secrètement amoureux de celle qui le considère plutôt comme le précieux allié de son ascension, parmi toutes ces panthères au rabais sourdes à toute intelligence. Elle ne se voit pas. Elle ne s'aime pas. Elle ne me comprend pas. Sa bouche aux contours exotiques ne sourit que lorsque le tour de passe passe est terminé, quand le costume de lumière est enfilé. Alors, je la vois s'éloigner vers des rêves qui n'en sont pas, vers une rélalité qui n'existe pas.
Moi, je la préfère dénudée, au sortir de sa douche, sans fard ni paillettes, sans triche ni escarpins. Je la vois belle derrière ses cils longs et épais. Je la vois belle dans la brume de ses yeux aux lueurs un peu brisées. Je la vois belle avec ses cicatrices apparentes sur des courbes venant d'ailleurs. Elle est magnifique de cette force qu'elle ne parvient pas encore à libérer. Je fais pourtant tout mon possible pour l'y aider. Elle réussira bien, un jour, à s'affirmer. Je lui fais confiance.
Mais, quand elle se verra réellement et qu'elle s'aimera pour de vrai, peut-être ne voudra-t-elle plus jamais de moi ?
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