Présence

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Le timing n'était pas bon.

Assise au pied d'un cerisier, elle essaie d'observer le monde qui l'entoure, les yeux abrités par de grandes lunettes de soleil, comme pour tenter de voir plus clair dans ce brouillard agité et en perpétuel mouvement. "Je suis désolée de vous annoncer cette nouvelle"... Elle aussi. Profondément. Désespérément. Furieusement.

Le vent se lève et un rayon de chaleur perce alors les nuages sans pour autant l'atteindre ni attirer son attention. Elle est ailleurs. Elle est loin. En apesanteur. Dans ce moment suspendu dans le temps. Une parenthèse indélébile, comme tatouée à vif sur son coeur. Ce coeur qui a, à son plus grand bonheur, abrité les vibrations d'un autre, plus fragile. Trop fragile. Elle en est persuadée. Sans relâche, sans pourtant le vouloir, elle erre dans ses souvenirs assourdissants de statistiques incompréhensibles, d'odeurs aseptisées, d'images qu'elle souhaiterait effacer de sa mémoire. Cette mémoire emprunte de tsunamis d'émotions contradictoires, de ces sentiments qui emprisonnent le coeur et l'esprit dans un labyrinthe de questions, de culpabilité, de colère et d'impuissance. Elle aurait voulu ne rien entendre, ne rien sentir, ne rien imaginer. "Vous allez saigner la rage, Madame"... Une bombe de plus lâchée par cette petite interne indélicate et méprisante, bien protégée par sa blouse à la blancheur immaculée... Tout ricoche dans son crâne, revient, s'en va, se fracasse, se transforme, disparaît dans un tourbillon permanent, avec les mêmes points d'interrogations, la même puissance éprouvante, comme une bombe menaçant en vain d'exploser. Comme un semblant de bombe humaine en apnée, à l'agonie à force de se débattre dans ce flot de paroles scientifiques, inquisitrices, maladroites ou inconscientes. Des propos indigestes, sourds à toute spontanéité, mécaniques, dans des bouches presque usées et désabusées par leur réccurrence, tant et si bien que l'empathie a préféré disparaître de leur monde. Comme ce tout petit être, cette toute petite vie, cette magnifique et toute petite lumière à laquelle ils ont automatiquement attribué le statut de chiffre, une identité minimisée, reniée avant la fin, aux oubliettes, simplement classée dans un taux de pourcentages grandissants. Comme un état de fait rassurant dans ce monde régi par la performance, la réussite obligatoire, l'image valorisante, le conformisme, la course après le temps.

Elle lève soudain les yeux sur le vol d'un papillon à ses côtés et fronce les sourcils. Autant de subtilité dans ce moment de grâce fugace. Inaperçu. D'une beauté oubliée. Elle se demande de quelle façon perdre la mémoire pour reprendre vie. Sa vie. Son humanité. Pour mieux lui rendre la sienne, d'humanité réelle et reconnue, à ce minuscule papillon attendu, espéré et perdu.

Non, pas perdu. Pas dans ce sens. Elle refuse de le penser ainsi. Elle préfère l'idée que leurs chemins se sont croisés pour se lier d'une autre façon. Plus personnelle, plus empirique, plus douce. Elle préfère l'idée d'envelopper son coeur de la présence de cette flamme supplémentaire. Une présence qui panserait des blessures, des mots durs, des sanglots contenus et incompris. Elle réalise alors qu'elle rejette ce tabou paradoxal à cette prétendue liberté de parole, prônée dans le film qui se déroule devant ses yeux chaque jour.

Elle préfère le doux secret de cet amour exprimé dans un murmure, dans une intention, reconnu, atypique, restitué, éternellement criant de vérité et de maternité...

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