Reine

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Je suis sa mémoire. Un pan de son Histoire. Un élément d'apparât officiel à son statut. Une échappatoire officieuse conséquente de son ascension précipitée à son union royale dénuée d'affection, de partages simples et d'insouciance. Femme-enfant, fille-reine puis fille-mère, les battements de son coeur ont toujours rythmé ses élans. Je les ai sentis et j'en vibre encore, parfois. Je l'ai vue grandir trop vite, se débattre vainement face à l'étiquette, au devoir, aux usages.

J'ai orné son corset comme un bouclier aux conventions, aux civilités, à l'amour de convenance.

Elle m'a donné sa préférence pour embellir ses maternités imposées, les silences maladroits de ce roi-marionnette aussi innocent qu'elle, les lettres péremptoires d'une génitrice rompue aux alliances territoriales. Notre lien étroit s'est vu l'objet malheureux des jalousies de courtisanes se voulant ambitieuses, d'intrigues alimentées dans les hautes sphères avides de privilèges. Le faste de son existence à la cour était graduel à son besoin de se replonger dans ses souvenirs de fillette en Autriche, entourée de moutons et de champs fleuris synonymes de liberté. Tandis que les robes s'élargissaient pour correspondre à la dernière mode, elle me choisissait pour décorer ses perruques démesurées dans le dessein de parader lors des bals despotiques de toutes ces couronnes cousines et se voulant bien nées.

Ainsi, ensemble, nous nous laissions emporter dans ces tourbillons de plus en plus attendus pour accéder à cette ivresse nostalgique effaçant les contraintes, les bassesses et les complots alentours. Je l'accompagnais dans ce passé regretté, assourdissant de rires et de courses effrenées dans l'herbe humide. Ces bonds en arrière ouvraient sur nous un ciel bleu dont la couleur de ses yeux s'inspirait. Un moment de lumière et de paix fugace et éphémère, cédant ivariablement à cette réalité subie où la spontanéité était privée de pouvoir. J'ai mis en valeur ses joues rosies par son transport soudain, clandestin et non moins sincère envers ce comte envolé de Suède.

Mais la tempête guettait. Le peuple grondait. Les masques des alliés, un à un, tombaient. J'ai assisté, impuissant, au désarroi provoqué par la fuite de cet amant si bavard en promesses caressées. J'ai entendu sa détresse quand ses enfants lui ont été arrachés, sans espoir de les revoir un jour. J'ai senti son armure se fissurer lors de l'emprisonnement du roi. Dès lors, j'ai plus que jamais incarné son essence, son identité, son individalité désespérée. La terreur a pris le pas sur son courage inébranlable. Je suis devenu son seul souvenir à elle-même. Alors, une nuit, nos chemins se sont séparés et elle a voulu guider mes pas vers ce paradis qui la hantait. Comme un dernier appel à l'aide désabusé.

Je me suis égaré entre des mains étrangères et soupirantes, mais son empreinte sur moi me guidait inlassablement vers elle.

J'ai donc volontairement orné sa poitrine comme un bouclier aux convenances bafouées, aux civilités anéanties, à l'amour de la violence durant ce jugement mené à la hâte.

Dans cette cellule froide et nue, à peine ouverte sur un brouhaha incessant de colère et de haine. Cette place funeste, publique, proclamée, revendiquée par une incompréhension générale et organisée.

Sur l'échafaud, j'ai orné son coeur comme pour guider son regard vers ce ciel bleu dont elle pouvait s'inspirer. Pour ce moment de lumière et de paix, pour qu'elle soit hors d'atteinte, pour lui rendre sa spontanéité...

D'abord simple bijou, j'apparais aujourd'hui à vos yeux comme le témoignage d'un reine à la richesse insoupçonnée...

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