Chapitre 4 : Mattéo - Partie 3
Suspect trois : le psychiatre, Samuel Delacroix. Nous ne nous étions pas réellement étendu sur son sujet à ce petit Sam. C’était comme cela que Juliette le surnommait : Sam. Sam. Cela faisait chic type, protecteur, gentil, amusant, populaire. Oui, cela sonnait plutôt bien. Et si derrière ces apparences de mec sympa se cachait un tueur ? S’il avait tout fait pour ne pas paraître suspect, en se dévoilant à la police et en exposant toute sa relation avec Juliette, parce que plus c’était gros, plus cela passait.
Sam et Juliette, une relation de plus de deux ans, avec des hauts et des bas. Sam voulait qu’elle quitte son mari, qu’elle s’échappe de ses coups, qu’elle puisse enfin vivre une vie heureuse avec quelqu’un qui l’aimait vraiment et sainement. Mais elle avait peur, elle n’osait pas parce qu’elle savait qu’il la retrouverait pour la tuer si elle faisait cela. Alors ils se disputaient, souvent. Quand elle revenait avec des marques sur le corps, il ne le supportait pas. « Tu t’es encore fait tabasser par ton mari ! Bon sang, quand vas-tu prendre ton envole ? » Il n’y avait que les hommes stupides pour faire la morale à une femme battue. Il était incapable de comprendre le concept d’emprise psychologique, quand on était vaincus mentalement, qu’on ne savait plus quoi faire pour s’en sortir et qu’il était question de vie ou de mort. C’était lui ou elle.
Pour un homme aussi peu compréhensif, cela ne m’étonnerait pas qu’il ait pu les tuer. Il avait pété un câble, c’était la dispute de trop, dispute peut-être à cause des vacances au chalet du genre : « Non, tu ne peux pas passer un mois enfermé dans un chalet avec ton mari, isolés de tous ! C’est trop risqué bordel ! » et elle, elle avait répondu : « C’est mon mari. Je sais ce que je fais. Je n’ai pas le choix ». Et alors, il aurait vrillé. Il les aurait rejoints au chalet, récupérer l’arme de Juliette et… Bam. Il aurait tiré sur George. Juliette descendit en précipitation suite au vacarme de l’arme à feu. Bam, bam, bam. Il aurait tiré sur Juliette. Paniqué, il monta à l’étage. Bam. Il aurait tiré sur Chloé.
Honnêtement, même si cela me semblait peu crédible, nous ne pouvions pas rejeter cette hypothèse. Parce que l’ex-femme de Samuel était morte dans des circonstances étranges. Un jour, elle s’était suicidée dans son sommeil, avalant une dizaine de somnifères. Pourtant, elle n’avait jamais vu de psy et était décrite comme étant heureuse dans sa vie par ses proches. Le plus étrange ? Elle était morte tandis que Samuel voyait déjà Juliette. L’enquête avait conclu à un suicide, mais ce triple homicide la relançait : et s’il avait tué sa femme pour s’en débarrasser et vivre une histoire d’amour pleine avec sa maîtresse ? Et s’il avait pu tuer une fois, il aurait pu le refaire…
Suspect quatre : Juliette Abernathy. Bon, cette histoire va aller vite parce qu’elle s’était prise trois balles dans le ventre et qu’elle n’aurait pas pu se faire cela toute seule. Mais ce que l’on pouvait penser était qu’elle avait pris son arme, tuer sa fille pour la soulager des violences que son père lui faisait. Car nous supposions qu’il abusait de sa propre fille, mais ce n’était que des suppositions, rien de sûr. Il n’y avait aucune marque extérieure quant à cette hypothèse, mais les professeurs de son école avaient témoigné de son comportement étrangement introverti. Et sachant que George était abusif envers Juliette, il y avait des chances pour qu’il le soit aussi avec Chloé. Donc ! Juliette avait tué sa fille. Elle descendit, l’arme à la main, puis une violente dispute éclata entre elle et son mari. Il choppa l’arme et tua sa femme. Le flingue tomba au sol. Juliette n’était pas encore morte alors elle attrapa le flingue et tira une balle dans la tête de son mari. Elle mourra de ses blessures. Fin de l’histoire.
Personne n’y croyait à cette thèse. En même temps, cela semblait un peu gros. Vraiment trop, pour le coup. Et cela n’expliquait pas la fourchette encore dans la main de George. Ouais, cela ne collait pas du tout.
Suspect cinq : L’ex de George, Eva Martinez, trente-deux ans. Elle avait participé à la création de l’entreprise de George, avait donné ses idées, des financements, et tout ce qui la légitimait à recevoir une part de cette entreprise une fois qu’ils s’étaient séparés. Elle n’avait rien reçu. Que dalle. Nada. Elle avait porté plainte contre lui, il y avait quatre ans, puis elle avait perdu le procès trois mois avant le meurtre. Elle ne possédait pas les preuves nécessaires pour prouver qu’elle avait participé à la création de l’entreprise. Ben oui, tout s’était fait à l’oral, pendant les confessions sur l’oreiller.
Elle était un peu folle, sans vouloir jouer les sexistes. Elle avait tenté de séduire Lucas Trembley pour récolter des parts de l’entreprise, parce qu’il en possédait la moitié. Ils avaient couché ensemble, un soir où ils avaient un peu trop bu. Puis ils étaient sortis ensemble, malgré les avertissements de George qu’il n’avait pas écoutés, quelques mois avant qu’elle essaye de le convaincre de se marier : pas très subtil. Il avait fui suite à cela, très loin. C’était un an avant le triple homicide. Tous ses plans avaient échoué, il ne lui restait plus que son sort pour pleurer.
Vous voulez savoir le plus étonnant ? Nous avions découvert qu’Eva et Lucas s’étaient remis ensemble deux mois avant le meurtre. Alors… Eva avait pu tuer toute la famille Abernathy pour être sûre que Lucas récupère tous les droits de l’entreprise. En bref, un crime pour l’argent. Entre la haine d’avoir perdu le procès et l’intérêt personnel, cela faisait un bon mobile pour les tuer.
Suspect six : l’ex-mari, Noah Dubois, trente-huit ans. Il était resté huit ans avec Juliette dont trois ans de mariage. Il l’avait quitté pour une autre, plus jeune, elle ne l’avait pas supporté. Deux mois plus tard, elle portait plainte contre Noah pour violences conjugales et viol. Le procès s’était tenu il y avait deux ans. Elle avait perdu. Elle aussi n’avait pas les preuves nécessaires de ses violences et de son viol. Il a été jugé qu’elle voulait se venger de l’avoir quitté, enfin, c’était les propos de Noah, propos qui avaient convaincu les jurés.
Et si, à son tour, il voulait se venger ? Parce que sa copine l’avait quitté suite au jugement, car même s’il avait gagné le procès, elle ne voulait pas « prendre le risque ». Il avait tout perdu, sa conjointe, son travail qui ne voulait pas entacher leur réputation, bref, tout. Il n’était plus qu’un homme seul et dépressif qui se bourrait aux antidépresseurs et qui mettait sa seule fortune dans des psychiatres. Un pathétique gars, en soi.
Alors, il aurait su, je ne savais comment, que son ex-femme était partie en vacances dans un chalet à Chamonix-Mont-Blanc avec son mari et sa femme, il aurait considéré qu’elle lui avait volé sa vie. C’était lui qui aurait dû partir là-bas avec son ex-conjointe grâce à l’argent qu’il aurait touché via son travail. C’était lui qui aurait dû être heureux. Ce qu’il ignorait, c’était qu’elle n’était pas heureuse. Mais cela n’importait peu. Il les aurait suivis, puis il se serait introduit dans le chalet, aurait volé l’arme, et aurait tiré sur les trois victimes. Bim, bam, boum. Un véritable massacre.
Suspect sept : le frère, Julien Abernathy.George aurait volé de l’argent liquide de l’héritage suite à la mort de leur père. De l’argent qui sortait de nulle part, qui n’appartenait à personne et dont nous n’étions même pas sûrs qu’il existait réellement. D’après Julien, ils auraient vu cet argent plus jeunes, et je parle de jeunes style enfance, à huit ans. La perception des choses à huit ans est totalement différente. Déjà, il se pouvait que le cerveau invente des souvenirs, qu’il mélange les rêves et la réalité, etc. De plus, nous étions incroyablement naïfs à cet âge. Alors, qui pouvait dire qu’il s’agissait réellement d’argent, du vrai de vrai, véridique ? Personne. Parce que, peut-être qu’il s’agissait de billets du Monopoly et que, gosses, nous croyons qu’il était vraiment question de billets de banque. Toutes les familles avaient des légendes de ce genre, qu’on racontait le soir pendant un repas de famille autour de rires stupéfaits, parce que ce n’était tout simplement pas crédible, mais personne osait le dire. Alors ils riaient, sans rien ajouter. Et les enfants, eux, y croyaient.
Alors peut-être que ce Julien s’était monté la tête, qu’il était persuadé que son frère avait volé de l’argent inexistant, parce que personne avait retrouvé ces liasses de billets à la mort de leur père. Si ce n’était pas lui, qui cela pouvait-il être d’autre ? Leur mère était morte depuis des lustres, cinq ans, d’un cancer du cerveau. Personne pour leur rappeler que toute cette histoire était fausse donc. Julien aurait monté à Chamonix-Mont-Blanc, puis les aurait assassinés. Si je ne pouvais pas avoir cet argent, alors personne ne l’aurait. Alors, il aurait tué son frère, car il lui avait volé la thune. Puis la femme qui avait déboulé en bas des escaliers suite au vacarme du tir, parce qu’elle aurait été la bénéficiaire de l’argent de son mari, puis la fille, pour ne pas hériter du trésor. CQFD.
Suspect huit : le crime de haine. Bon, nous n’allons pas revenir cent sept ans dessus. C’était ridicule. Je n’y croyais pas une seule seconde. Déjà parce que je savais qui était le tueur, mais surtout parce que la haine ne pouvait pas les suivre jusqu’à Chamonix-Mont-Blanc. Mais soit. Admettons. Les Abernathy étaient noirs, détestés de tous, victimes de racisme. Peut-être que le tueur logeait non loin du chalet, qu’il les avait remarqués et qu’il les avait tués parce qu’il était un énorme raciste.
Bon, ne soyons pas de mauvaise foi. Des tueurs qui assassinaient des racisés par pur racisme, cela s’était déjà vu. Et un paquet de fois. J’avais déjà eu affaire à un tueur en série qui tuait que des hommes noirs et gays. Il avait une sorte de fétichisme des noirs et refoulait sa sexualité. Alors, il couchait avec, puis les assassinait sauvagement. Six victimes en tout. Six pauvres jeunes entre seize et vingt-cinq ans.
Alors peut-être, oui, que ce n’était qu’une question de hasard : être là au mauvais endroit au mauvais moment.
Mais, le plus important était à venir. Le tueur du chalet. Je le savais parce que j’avais toujours raison. Je me trompais rarement et c’était bien pour cette raison que j’étais le profiler de France, le plus connu et populaire. Le plus prisé par la police pour résoudre leurs affaires épineuses.
Suspect neuf : Lucas Trembley. Collègue et ami de George. Lucas était un homme vaillant, toujours droit dans ses bottes, digne de confiance. C’était pourquoi leur relation avait dépassé le travail. Il était si loyal qu’il était au courant que George frappait sa femme et le protégeait pour cela. Oui, oui. Lucas était un bel enfoiré. Assez pour pouvoir tuer toute une famille pour une histoire de fric. Ah, l’argent. Décidément, c’était un mobile assez populaire. Je vous l’affirme, c’était le tueur du chalet. Tout collait parfaitement. Et sa discrétion n’était pas très discrète, justement. Un mois après le meurtre de la famille, une semaine après leur enterrement, Lucas avait fait la demande pour récupérer l’entièreté des droits de l’entreprise. Il en possédait cent pour cent, la totalité, tout. Autant dire qu’il était fortuné maintenant. Que la mort de George et de sa famille l’avait bien arrangé. Parce que si sa femme était encore vivante, c’était elle qui récoltait les cinquante pour cent de l’entreprise.
De plus, George venait d’apprendre que son plus fidèle ami détournait les fonds de leur entreprise. En clair, que c’était un arnaqueur. Une grande trahison. Et comme par hasard, George n’a pas eu le temps de porter plainte. Étrange, étrange.
Je vous le dis : Lucas les avait suivis jusqu’au chalet, avait volé l’arme de Juliette, puis les avait tués un par un. Mais bon, ce que j’en disais, moi… Personne ne m’écoutait. Surtout Enès qui était obstiné à s’ouvrir à tous les horizons, comme il le disait si bien. Gnagnagna. Je le détestais. Nous avions résolu l’enquête, trouver le coupable, mais il était toujours en train de faire des manières genre « Il faut nuancer, bla-bla-bla ». Je t’en foutrais des nuances, moi.
Après avoir énuméré les neufs suspects, il était temps de se montrer convainquant : qui était le coupable, d’après nous quatre ?
J’optais pour Lucas Trembley, évidemment. Et j’avais raison. Theia était d’accord avec moi. Elle acquiesçait d’un geste de la tête et de geignements, hum-hum, c’est ça.
— Lucas Tremblay… dis-je. Un, deux, trois, nous sommes tous d’accord.
— Oui, ça me semble le plus logique, ajouta Theia.
Je regardai Enès et Tec, tous deux peu convaincus. Enès tirait la tronche, les sourcils froncés et les narines dilatées. Bon, il n’était pas d’accord. Cela se voyait à son visage de grincheux. Merde quoi, c’était dingue d’être autant dans le déni. Il relit son calepin, maudit calepin qui le suivait partout où il allait comme s’il contenait des secrets d’État.
— Humpf. Et si c’était plus simple ? Si c’était tout simplement le mari.
— On a déjà débattu sur son cas. Il avait une fourchette à la main. Il a été tué pendant qu’il mangeait. Il n’a pas pu se suicider.
— Très bien. Alors le frère, Julien Abernathy. Il a un bon mobile, lui.
J’abandonnais. Enès était bien trop têtu pour lui faire entendre raison. Tant pis. Passons à Tec. Il regardait dans le vide, perdu dans ses pensées, un peu déconnecté de la réalité. En fait, il ne nous écoutait pas depuis tout à l’heure. Nous parlions dans le vide tandis que nous étions en train de conclure à l’enquête la plus importante de notre vie.
— Allô, Tec !
Il tourna son regard vers moi, l’air distant. Quoi donc ? Il avait l’air dégoûté, non, révulsé. Il ne me répondit même pas, comme si j’étais un clébard qui ne méritait pas d’attention quand je parlais. Super. Lui aussi, je le détestais. Parce qu’il se fichait bien de l’enquête. À moins qu’il ait justement l’identité du tueur en tête, mais qu’il ne voulait pas le partager…
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