7 - Agmeath
45e jour de la saison du soleil 2447
Cela faisait environs trois jours que Vigoth ouvrait la marche en direction de l’académie d’Archlan, soit quatre jours au total pour Azéna, Leith, Fayne, Tyrath et Shirah. Lorsque possible, ils s’étaient arrêtés à plusieurs villages en quête de nourriture et d’un endroit confortable où dormir. Azéna ne possédait pas un seul écu malgré son titre de noblesse. La générosité de Vigoth avait tout payé malgré le prix ridiculement élevé, dû aux rumeurs inquiétantes à propos de barbares qui se déchaînaient aux alentours.
Lorsqu’ils arrivèrent à Gilat, un village pauvre, Tyrath et Karia étaient partis chasser. C’était mieux ainsi car les habitants auraient pu causer une panique générale en les voyant. Les villageois murmuraient qu’un grand conflit allait s’abattre sur Aerinda.
— C’est vrai, insista le boucher. Dètmor ne fait qu’agrandir son armée. Il doit bien y avoir une raison.
— Calme-toi, répliqua son client qui lui glissa un écu d’argent en échange pour de la viande fraîche. Tu sais bien que les loups sont toujours avides de sang.
— Pas comme ça. Aerinda est agitée. Maëkan l’a bien dit. Il le sent dans la terre.
— Tu veux dire le chaman ? ricana le client. Ne t’occupe pas de lui. Il est fou comme le reste des siens.
Souvent natifs de d’autres royaumes, les chamans, des êtres ayant la capacité de contactés le royaume spirituel, étaient rares à Daigorn. Certains petits villages étaient guidés par l’un d’eux. La plupart des habitants de cette région n’y croyaient pas. Ils offraient plutôt leur foi au clergé qui se dédiaient au panthéon.
— Hé regarde ! Nous avons des visiteurs ! s’exclama le même homme.
Les deux villageois suivirent le groupe des yeux. Le boucher balbutia nerveusement, priant au client de partir. Ce dernier obéit, intrigué par les intrus. Il les pointa d’un doigt acerbe. Azéna se faufila à côté de Vigoth.
— Que voulait-il dire par les loups avides de sang ? demanda-t-elle.
— Reste près de moi, ordonna le grand maître.
Il lui parlait bien à elle mais son attention était fixée sur l’homme à l’attitude agressive, ses doigts reposant près de son épée. Le villageois poussa un rire grotesque et posa les mains sur son énorme ventre. Sa tête chauve luisait sous les rayons des deux soleils et ses vêtements étaient crassés de terre et de sueur.
— Elle est à toi, guerrier ? Juste en te regarder, il faudrait surement que je t’appelle Monseigneur ou Sir.
Vigoth ne répondit pas. Il continua son chemin prudemment, mais l’homme n’abandonna pas la chasse. Il déshabillait Azéna de ses yeux affamés.
— J’aime bien ses hanches, quoi qu’en espérant qu’avec l’âge, elles seront sûrement plus développées. Elle me donnerait plusieurs fils, ça s’est assuré.
Il s’avança. Vigoth dégaina son épée et la pointa en sa direction.
— Elle n’est pas à vendre.
— Ça va, ça va, répondit l’homme. Je te la laisse.
Il partit et ce fut seulement lorsqu’il fut hors de vue que Vigoth rangea son épée et continua son chemin. Il hâta le groupe à l’extérieur du village, déniant la possibilité de s’arrêter à la taverne locale pour se dénicher un repas.
— Désolé pour ça. Les hommes sont des porcs parfois.
— Oh je le sais que trop bien, soupira Azéna.
— Pour répondre à ta question, le roi de Dètmor est reconnu pour son tempérament traitre. Il parait calme et gentil, mais il peut aussi bien s’avérer très violent. Il tente de prendre le contrôle des dragonniers, mais ce n’est jamais arrivé. Terenas et moi sommes trop intelligents pour nous laisser berner par ses belles paroles.
✦×✦
Entretemps, Karia et Tyrath revinrent de leur chasse bien rassasiés.
Lorsque le groupe arriva à la lisière du royaume, la dragonne poussa un grognement d’avertissement.
— Nous entrons dans un nouveau territoire, informa-t-elle.
Azéna aperçut un drapeau hissé au sommet d’un poteau de fer devant eux. Le matériel qui dansait dans les douces brises était d’une teinte sable et dépourvu d’un emblème ce qui était, à ses yeux, bizarre.
— Où sommes-nous ?
— Nous sommes sur le territoire neutre de la Grande Croisée des Chemins, expliqua Vigoth. C’est un endroit neutre qui ne connait pas de roi, qui ne porte pas de blason, pas d’emblème et qui n’a pas de règlements mis à part que la nuisance à autrui y est interdite. C’est comme une espèce de sanctuaire où les différents peuples se rencontrent. Comme son nom le suggère, ici se trouve la route principale qui connecte toutes les régions. La bordure du royaume des elfes de lune, Nëowalds n’est pas loin de nous, ce qui explique la présence fréquente d’elfes lunaires. Nëowalds est aussi surnommée le royaume magique du Griffon bleu.
— Magique ?
Le groupe fut distrait par le chant d’un binôme d’elfes lunaires qui passait à côté d’eux. La femme comme l’homme aux oreilles pointues possédait une beauté exquise et une voix douce comme le chant d’un oiseau. Leurs capes valsaient avec élégance à leur rythme.
Entend notre hommage, ô grand griffon des cieux
Tes ailes brillent sous les jumeaux
Ton chant est plus que n’importe quel sortilège
Haut comme le ciel, haut comme les montagnes
Ton esprit est le vent, ton âme est le temps
Entend nos paroles, apportent-nous loin
Haut comme le ciel, haut comme les montagnes
Pour rencontrer les saisons
Le reste de la chanson leur resta inconnue puisqu’ils s’étaient trop éloignés pour qu’Azéna ne puisse les entende mais, elle en resta impressionnée.
— Ils chantent comme des bardes professionnels... Non, même plus que cela. Leurs voix sont différentes... Et la couleur de leur peau est semblable à la tienne, Vigoth, d’une teinte bizarre entre le bleu matinale et la blancheur du lait.
Le grand maître ricana et pointa droit devant eux.
— Nous y voici, au cœur de la Grande Croisée.
Là se dressa une grille dont les détails étaient si minutieux qu’on s’y perdait momentanément. Devant la porte qui était aussi large que le chemin de terre étaient postés quatre gardes. Ils étaient tous armés d’un bouclier de taille moyenne et d’épées à une main. Un mélange de maille et de plaque protégeait leur corps souple. Par-dessus reposait un tabard du même style que le drapeau. Azéna ne pût déceler les détails de leur visage caché sous leur heaume mis à part leurs petits yeux aux airs sévères et leurs bouches.
— Halte ! s’exclama l’un d’entre eux avec autorité.
Vigoth fit signes aux autres que la situation était sous contrôle. Le groupe interrompit sa marche à la demande du garde qui s’approcha d’eux. Celui-ci s’arrêta devant le dragonnier accompli. Ses yeux étaient d’un bleu pâle profond qu’aucun humain ne pourrait posséder, tout comme ceux du grand maître.
— Vous ramenez de nouvelles têtes.
— En effet, répliqua Vigoth. Ce sont des recrus pour l’académie d’Archlan.
— Vous êtes bon de faire ce cadeau à vos rivaux. Les royaumes des humains ont grands besoins de gens comme vous.
— Cela se rattrape aisément, particulièrement lors des parties de skotar.
— Le skotar n’est pas un jeu, le contredit Leith. C’est une technique stimulante qui permet l’entraînement physique et mentale des apprentis qui désirent y participer.
Vigoth ignora son commentaire.
Tyrath n’avait cessé d’agacer Karia depuis son arrivée. Malgré ses défaites consécutives, il refusait de se laisser abattre par la dragonne adulte. C’était évident dans les réactions de Karia qu’elle s’amusait avec le jeune mâle et ne le prenait pas au sérieux. Cette fois, lassée qu’il lui tourne autour, elle ouvrit la gueule et un mince rayon concentré de lumière en fut expulsé. Le rayon frappa Tyrath avec une telle force qu’il fut projeté au loin et s’écrasa lourdement contre le mât du drapeau qui se plia sous la pression. Sonné, il resta immobile étendu sur le dos. Le drapeau de la Grande Croisée des Chemins tomba paresseusement jusqu’à son ventre.
— Ce genre d’action serait une injure au royaume de Nëowalds, déclara le garde qui discutait avec Vigoth. N’avez-vous pas appris à vos dragons à respecter la propriété des autres ? Heureusement pour vous, la Croisée est compréhensive et tolérante.
Le visage de l’elfe lunaire était devenu violacé et se crispa légèrement sous son irritation. Un sifflement s’échappa de sa bouche et une troupe de quatre archers de diverses races elfiques et humaines sortirent de nulle part. Tous les gardes dégainèrent leurs armes et se préparèrent au combat.
L’expression calme de Vigoth resta intacte.
— Hadrynhtel, calme-toi voyons. Nous voulons tout simplement passer pour nous rendre à l’académie.
— Nous respectons les dragonniers, mais pas ceux qui n’arrivent pas à dresser leur dragon.
— Ce dragon gris est encore jeune. Il sera dressé en conséquence à l’académie.
Le grand maître avait haussé le ton de sa voix lorsqu’il prononça le mot académie. Hadrynhtel réfléchit pendant un moment puis signala aux autres gardes de les laisser passer.
— Merci, dit Vigoth en traversant l’encadrement de la porte gigantesque.
Tyrath qui s’était foulé l’aile droite, fut forcé de marcher. Lorsqu’il passa devant les gardes, il leur retroussa la lèvre supérieure dans un grognement inaudible. Karia, elle, vola par-dessus la grille et atterrit à côté de son dragonnier de l’autre côté.
Lorsqu’ils furent assez loin pour que les gardes ne puissent les entendre, Vigoth brisa le silence. Sa voix avait retrouvé son calme.
— Désolé pour tout cela. Les elfes de lune sont très méfiants et ne veulent pas d’ennuis. Ils sont si stricts en cause de leur apprentissage natale. Le royaume du Griffon Bleu est très discipliné et se réserve le droit de refuser les visiteurs ainsi que les immigrants qui ne respectent pas leurs exigences.
— C’est compréhensible, supporta Leith en souriant légèrement. Nous sommes dans une période où une guerre rôde à l’horizon. La tension est élevée.
Azéna et Fayne s’approchèrent pour se joindre à leur discussion.
— Vous êtes un elfe de lune, messire ? demanda poliment Fayne en s’adressant au dragonnier.
— Oui, répliqua ce-dernier. D’ailleurs, je suis originaire de Nëowalds. Plus précisément, de Füyr, la capitale.
Azéna se sentit dévisagée par lui. Elle n’osa pas croiser son regard.
Après un moment, le plus discrètement possible, elle jeta un bref coup d’œil au grand maître. Sa chevelure était d’un blond foncé et parfaitement raide, dépourvu de défaut. Elle tombait jusqu’au milieu de son dos. Ses oreilles étaient légèrement plus longues que celles d’un humain et pointues. Ses yeux étaient aussi perçants que ceux d’un aigle. Il possédait une lueur enjouée dans ses traits et sa manière d’être. Mais le plus frappant, c’était la perfection de son visage majestueux.
L’attention d’Azéna fut attirée vers le ciel par une brise puissante.
Karia s’amusait à effectuer les plus ravissantes mais dangereuses acrobaties qu’elle connaisse en plein vol pendant que Tyrath la fixait avec jalousie et mépris. Il s’apprêta à s’envoler. Cependant, Vigoth l’arrêta en posant sa main sur son épaule.
— Ne te compare pas à elle. Tu possèdes un potentiel unique à toi. Tu arriveras au même niveau qu’elle éventuellement.
Le drake fit la moue et écouta les conseils du grand maître à contrecœur.
— Et, vous, Dame Kindirah, vous êtes née à Nothar ? questionna Vigoth avec intérêt.
— Umm ? murmura Azéna qui ne semblait pas concentré sur ce qu’elle disait. J-je ne sais pas, messire.
— Que voulez-vous dire ?
— Elle est adoptée, messire, interrompit Fayne en prenant la défense de son amie, sachant que c’était un sujet délicat pour elle.
— Elle est la fille adoptive du seigneur de Daigorn, d’après son nom. Est-ce que je me trompe ?
— Non. C’est exactement cela.
Leith croisa le regard de Vigoth, ses traits sévères. Celui-ci sourit, amusé par l’ancienne d’Archlan, et continua tout simplement son chemin.
— Il se fait tard. Un village est proche et c’est justement là on y trouve les fournitures à la rentrée scolaire d’un dragonnier. Je propose donc que nous y passions la nuit et que nous fassions quelques commissions.
— Mais je n’ai pas d’argent pour tout ça, maugréa tristement Azéna qui eut aussitôt la mine basse.
— Ne t’en fais pas, je payerai. Un jour, rembourse-moi tout simplement.
— Merci beaucoup messire, rayonna-t-elle d’un sourire.
— Oh, appelle-moi Vigoth. C’est plus jeune et plus personnel.
Leith roula des yeux. Azéna, au contraire, le trouvait amusant pour un homme de si haut rang ou de prestige.
— Habituellement, ils sont tous si sérieux, songea-t-elle.
✦×✦
Après une brève tournée de l’endroit, ils croisèrent la taverne gigantesque qu’on surnommait le Cœur de la Croisée des Chemins. Elle était divisée en compartiments. Chaque aile procurait un aspect essentiel de la vie quotidienne et permettait à une centaine de gens d’y vivre confortablement. Il fallait remettre ses armes au personnel avant d’y pénétrer pour assurer la sécurité des visiteurs. Le groupe ne s’y arrêta que pour manger et continua jusqu’à ce qu’ils aboutissent à un petit village rudimentaire, mais à l’ambiance rassurante à la fin de la journée. Toujours en territoire neutre, celui-ci était aux abords de Dètmor, le royaume ancestral du Loup Rouge qui était principalement habité par des humains.
Devant le groupe se présenta une pancarte en bois aux contours décorés de runes. Au bas était écrit : Bienvenue à Agmeath, où les dragonniers et dragons trouveront de tout.
Vigoth invita le groupe à l’accompagner. Il suivit le chemin de pierre qui coupait au travers du village. Au loin, au sommet d’une maison très haute se tenait fièrement un dragon vert. Il paraissait minuscule à l’horizon, mais Azéna se doutait qu’il devait être gigantesque. Il surplombait chaque maisonnette. Les plantes grimpantes qui décoraient les bâtisses étaient toutes interconnectées et semblaient provenir de son perchoir, comme s’il était le cœur et elles, les veines. Leur croissance était agressive, mais elle fournissait une beauté délicate au village.
Une jeune femme blonde s’arrêta devant l’une maison et cueillit une fleur qui poussait sur les plantes grimpantes. Chaque fleur était en parfaite santé et d’une couleur vibrante comme jamais Azéna n’avait vue. Le dragon et la femme se saluèrent comme de vieux amis.
— C’est l’influence d’un dragon vert, expliqua le grand maître. Lorsqu’ils sont présents pour longtemps, la nature autour d’eux commence à prospérer. Avant lui, Agmeath était plutôt grise et simple. Maintenant, elle rayonne. Et le plus beau dans tout ça, c’est que si le dragon vert part, ce qu’il reste dans son sillage demeure intacte, mais continue de grandir à un rythme normal puisque l’énergie du dragon qui s’accroît n’est plus présente.
— C’est tellement beau, souffla Fayne.
Azéna faillit marcher sur une poule qu’elle n’avait pas vue, distraite par le décor. Puis, une deuxième et une troisième. Finalement, elle se rendit compte que les poulets marchaient dans les rues comme les habitants. Elles ignoraient même Tyrath qui les regardait avec voracité.
— Ils sont si à l’aise ! s’exclama la rebelle. C’est incroyable. Ils n’ont pas peur du tout, mêmes avec les prédateurs aux alentours.
Vigoth sourit fièrement et se mit à chercher dans l’une des poches de sa cape.
— Ils n’ont pas peur parce que ce dragon vert est le protecteur du village. Pas beaucoup de gens ou de prédateur osent défier un dragon et les poulets le sentent. Maintenant... Voyons voir...
Il en sortit un bout de parchemin légèrement froissé.
— Ah ! Voici la liste des objets dont tu devras te procurer pour ton apprentissage.
Il remit le parchemin à Azéna. La liste était la suivante : trois uniformes de base d’Isriss, une selle de dragon avec rênes, une arme au choix, une armure au choix, un couteau de poche, une trousse de premiers soins de base, un sac à dos, un sac à couchage, une plume, du parchemin, de l’encre et les livres suivants :
— Dragonnologie pour les débutants, Notions basiques des éléments, Histoire générale d’Aerinda, Anatomie pour les débutants, Psychologie de soi partie I et Karsayrethtès de base.
La future apprentie resta bouche-bée devant cette énorme liste. Même son père qui était un seigneur et riche n’aurait jamais accepté de payer pour tout cet équipement.
— Êtes-vous certain de vouloir me payer tout ça ?
Vigoth sourit largement.
— Je t’ai dit de ne pas t’en faire. De plus, nous sommes chanceux que tu te sois déjà liée à ton dragon. Ainsi, nous savons quelle selle acheter. Normalement, les apprentis doivent retourner ici après la cérémonie du liage. Maintenant...
— La cérémonie du liage ? coupa Azéna.
— On présente les apprentis potentiels aux dragons en espérant qu’ils se lieront à l’un d’entre eux. Tu sais, ce lien est encore plus puissant que le mariage. Le divorce n’est pas possible.
— Ils sont volontaires ? questionna Azéna après avoir rigolé aux dernières paroles de l’elfe.
— Dragons et apprentis potentiels, oui. Maintenant, allons chercher tes uniformes.
Le groupe marcha en direction d’une petite boutique en bois qui ressemblait aux autres maisons. L’enseigne devant le bâtiment était aussi en bois et sur celui-ci, en lettre gravée, était écrit : Lingerie de Grusa. À l’intérieur, il y avait des rayons de linge de divers les styles. Une petite femme grassouillette vint les accueillir en souriant.
— Miniga Grusa ! s’exclama Vigoth en ouvrant ses bras à la vue de la nouvelle venue.
— Vigoth ! répliqua-t-elle sur un ton optimiste. Que faites-vous ici ?
Elle vint lui faire un câlin puis se retourna vers Azéna et l’observa de la tête aux pieds.
— Apprentie d’Isriss, je suppose ? demanda-t-elle en souriant.
— Tristement, ce n’est pas le cas, ricana joyeusement Vigoth. Elle est une recrue pour l’académie de mon frère.
— Oh ! Archlan, alors. Viens par ici, jeune demoiselle. On va te mesurer.
Miniga était une courte humaine dans sa quarantaine d’années avec beaucoup d’énergie. Elle prit rapidement les mesures du torse, des hanches et de la hauteur de l’adolescente puis disparue dans une salle en leur faisant signe de patienter.
Lorsqu’elle revint, elle rapporta un uniforme qu’Azéna essaya. Celle-ci lui allait à merveille, comme s’il avait été fabriqué uniquement pour elle.
— Parfait ! Tu es ravissante ! s’exclama la couturière, le visage illuminé.
Azéna se sentait comme une poupée et elle détestait ça. Elle grinça les dents en silence pendant que la couturière lui brossait les cheveux
— Il lui en faudra trois, précisa Vigoth.
— Comme d’habitude, ricana Miniga. J’aurai pu deviner.
Elle se dépêcha d’aller chercher les deux autres uniformes qui étaient identiques à la première. Le grand maître sortit des pièces de cuivre et d’argent de sa bourse et les lui remit.
Pendant ce temps, Azéna se regardait dans le miroir. Honnêtement, elle trouvait qu’elle faisait fière allure. Une cape gris bleuté à capuchon attaché par une épinglette ronde de métal tombait jusqu’au sol derrière elle. Sur le dos de celle-ci était engravé l’emblème de l’académie d’Archlan qui consistait d’une queue brune de dragon qui serpentait de manière protectrice autour de la lettre A en son centre. Elle portait une tunique unisexe à manches courtes et un pantalon brun.
— À la prochaine ! salua Vigoth en sortant de la boutique. Azéna, allez, viens !
La Kindirah avait perdu le sens de ce qui se trouvait autour d’elle. Combien de temps s’était écoulé, elle n’aurait pas pu dire. Elle se hâta pour rattraper Vigoth. Les autres l’attendaient devant la boutique d’en face. Elle lue Accessoires et Dragons gravé sur une pancarte en bois devant le bâtiment. Sur le toit somnolait le jeune dragon vert. Son épaule droite était en piteuse état. Finalement, il n’était pas si grand que ça mais, il était tout de même impressionnant.
— On vous attend dehors, signala Leith.
— Tu es superbe, complimenta Fayne en observant le nouvel habit de son amie.
La brunette fit le tour d’Azéna avec les yeux pétillants d’intérêt. On pouvait deviner qu’elle l’enviait un peu, désirant la rejoindre dans ses études.
— Oh ça doit être le blason de l’académie sur la cape, continua-t-elle avec admiration. C’est vraiment génial.
— Meilleur qu’une petite fleur blanche mimi qui représente la paix, répliqua Azéna avec sarcasme, faisant référence à l’emblème de Daigorn.
— Oh arrête !
Vigoth toussa pour attirer l’attention des adolescentes.
— Ici, tu trouveras tout l’équipement nécessaire.
Azéna hocha tout simplement de la tête et le suivit de près. Celui-ci entra dans la boutique illuminée par les rayons du soleil qui pénétraient au travers des multiples fenêtres. À l’intérieur, il y avait une multitude d’étagères sur lesquelles reposaient divers objets que l’adolescente ne reconnaissait pas. Un jeune elfe adulte de lune aux yeux bleu pâle vint à leur rencontre. Il ressemblait un peu à Vigoth, mais il avait un corps plus frêle et plus court.
— Grand Maître, salua-il avec fierté.
— Voici un de mes anciens apprentis, expliqua Vigoth en saluant le marchand à son tour. Il prépare toute sorte d’inventions utiles pour les dragonniers. Édredon, je te présente Azéna Kindirah, fille et dame de Daigorn.
Le marchand maigrichon sourit en s’inclinant vers elle :
— C’est un plaisir de vous rencontrer, mademoiselle Azéna. Je me spécialise dans la fabrication de selles pour dragons. J’imagine que vous venez ici pour cela.
— Oui.
— D’ailleurs, où se trouve votre partenaire ?
— Oh, il est dehors, répondit la rebelle en pointant Tyrath qui se trouvait de l’autre côté d’une fenêtre.
Le drake obstruait la route, assis en son centre. Les passants le contournaient en lui lançant des regards irrités. Un garçon tourna le coin d’une ruelle et s’élança vers lui. Il tira l’une de ses écailles. Tyrath siffla et secoua la queue. Celle-ci faillit heurter le chenapan qui repartit dans l’ombre de la ruelle, une écaille en main. Leith réussit à le calmer pendant qu’Édredon sortit de sa boutique en compagnie de ses visiteurs.
— Désolé, dit le fabricant de selles draconiques. Ce garçon est très pauvre et une écaille de dragon vaut beaucoup. Il essaye tout le temps d’en arracher aux visiteurs.
— Il ne s’amuse pas à arracher les écailles du tien ? demanda Azéna.
— Vhargg le connaît assez pour ne pas se faire duper. Le petit voleur est malin. Il est peut-être une peste mais, il fait partie de cette communauté.
— Enfant énervant tu veux dire.
Le commerçant prit les mesures de Tyrath qui resta tranquille, mais surveilla ses moindres mouvements.
— Il a des yeux magnifiques, complimenta-t-il. Je n’ai jamais vu un dragon gris avec des yeux violets.
— C’est rare ? demanda Azéna.
— En fait, je n’ai jamais vu de dragon avec cette couleur d’yeux, alors j’imagine que oui.
— Je suis chanceuse alors.
Édredon examina les résultats qu’il avait écrits sur un parchemin et, satisfait, il sourit.
— Tyrath mesure exactement deux-cent soixante-huit centimètres. Alors, il vous faudra une selle de petite taille du modèle G. Suivez-moi s’il vous plaît.
Il retourna dans sa boutique. Cette-fois, le groupe en entier le suivit à l’exception des dragons qui étaient trop gros pour entrer.
— Modèle G ? questionna Azéna, intriguée. Petite ? Mais Tyrath est gigantesque.
— Si, expliqua Vigoth. C’est un modèle spécialisé pour les dragons gris. Gris, G, tu vois le lien ? Et Tyrath est petit, fais-moi confiance.
— Je suppose... À côté de Karia. Chaque vol est si différent l’un de l’autre ?
— Oh que si. Certains dragons sont frêles, d’autres maigres ou encore musclés. Longs, courts et autres détails. Ça traine même jusqu’au modèle de cornes et d’épines. C’est un peu comme s’ils étaient des sous-races draconiques. Je suppose que les créateurs en n’ont décidés ainsi.
— Je n’arriverai jamais à me souvenir de tout ça, se lamenta Azéna.
— Ne t’en fais pas. Étudie et tout ira bien ! Maintenant, il faut récupérer le reste de ton équipement.
Il ramassa des réserves d’encre, un encrier, des réserves de parchemins, un couteau de poche, un sac à dos, un sac à couchage et une trousse de premiers soins de base.
— Choisis-toi quelques plumes pour écrire.
Azéna jeta un regard aux plumes. Il y en avait de toutes les teintes. Quelques-unes au fond, de teinte violette qui lui rappelait les yeux de Tyrath, attirèrent son attention. Elle les emporta à Vigoth.
Un instant s’en suivit et Édredon sortit d’une salle avec une énorme selle, une bride et des rênes dans les bras.
— Voilà ! Tyrath et vos fesses vous remercieront de cet achat, garantit-il en riant de bon cœur.
— Ça, c’est vrai, répliqua Vigoth qui était tout aussi amusé que son ancien élève. Des écailles, c’est endommageant.
Azéna pouvait reconnaître pourquoi ils étaient maître et élève. Ils s’accordaient à merveille et possédaient le même sens de l’humour que Leith trouvait grossier. Vigoth paya le tout sorti. Ça lui avait coûté une fortune, mais il ne s’en inquiétait pas. Il sortit et de son balcon, Édredon les salua.
— Tu te dois d’agir en fonction de ta profession et parler de façon plus polie, grogna Leith.
— Ce n’était pas nécessaire, répliqua Vigoth.
Azéna ne porta pas attention à la discussion et traîna derrière. Elle observa le dragon vert avec curiosité. Son regard se remplit d’amertume alors que ses yeux s’arrêtèrent à son épaule mutilée. Elle ne remarqua pas Édredon qui s’était approché.
— Le monde est cruel, soupira Édredon, mais, je ne t’apprends rien avec cette sagesse.
La dragonnière le fixa, les yeux écarquillés.
— Quoi ? continua-il. Tu sembles surprise.
— Non, répliqua-t-elle. Enfin, si. Je n’ai jamais vraiment...
— Si tu n’es pas familière avec la brutalité d’Aerinda, je te suggère de ne pas t’habituer à la paix et la sécurité qu’on trouve à l’académie. Crois-moi car, j’ai commis cette erreur et regarde ce qui est arrivé à mon dragon. C’est aussi pourquoi je suis devenu simple marchand. Je ne suis pas fait pour la vie de guerrier. Heureusement, Grand Maître Vigoth est une bonne personne. Il m’a laisser partir.
La rebelle déglutit et l’écouta avec autant d’attention que d’effroi. Elle avait presque peur de lui demander ce qu’il voulait dire par là. Les autres dragonniers ne pouvaient pas faire comme bon leur semble ?
— Va rejoindre tes compagnons, conseilla l’elfe. Ce sera plus sécuritaire pour toi.
— Qu’a-t-on à craindre ici ? demanda Azéna.
— Oh tu sais, on ne sait jamais quand une bande de brigands se pointera. Heureusement, j’ai mon fidèle Vhargg qui veille sur notre petit village.
Il sourit et repartit dans sa boutique.
Azéna fixa le dragon vert pour une dernière fois. Il grogna dans son sommeil, s’étira puis, lâcha un gémissement aigu. Il leva son avant-patte droite comme une bête blessée et jeta un coup d’œil à son épaule en se crispant de douleur.
Elle désirait lui venir en aide mais, elle ne savait pas comment soigner un dragon. Elle fit volte-face et rattrapa ses compagnons. Leith, toujours en rogne, et Vigoth, toujours aussi nonchalant, se disputaient.
La Kindirah les ignora et lut Librairie Jonquille des Neiges sur la pancarte de la troisième boutique. L’intérieur était inondé de livres à perte de vue. Vigoth s’empressa de trouver ceux d’Azéna afin d’échapper à Leith. Ceux-ci étaient tout aussi énormes les uns que les autres. Mais le pire d’entre eux était celui intitulé Dragonnologie pour les débutants. Celui-là faisait deux fois l’épaisseur des autres. La marchande était une elfe de lune à la chevelure blanche au visage jeune. Elle parlait à Vigoth de façon très subjective et celui-ci paraissait mal à l’aise.
D’un pas pressant, il ressorti de la boutique comme si elle était hantée. Son anxiété se transforma en un sourire alors qu’il aperçut un quatrième bâtiment qui était une grande forge poussiéreuse. Les outils et l’équipement étaient de haute qualité contrairement à la boutique.
— Ah ! s’exclama Vigoth. Notre dernier arrêt avant d’aller à l’auberge. Bienvenue au Bras de melèriar.
— Melèriar ? enquit Azéna.
— C’est un fer spécial, infusé dans le mana. Rares sont ceux qui sont capables d’en faire et encore plus rares sont ceux qui sont capables de forger des armures et armes de cet alliage.
À l’intérieur, le groupe fut accueilli, à la grande surprise d’Azéna qui n’était pas habituée de voir des femmes forgerons, par la propriétaire qui était une jeune adulte de la race des elfes de lune. Elle était protégée d’un tablier sale de cuir brun. Son allure était désordonnée, néanmoins, la rebelle regarda au-delà de son apparence et ressenti de l’admiration pour elle. Ce n’était pas une profession acceptée, du moins de là où elle venait. Les longs cheveux argentés attachés en queue de cheval et les grands yeux bleus de l’elfe lunaire n’avaient pas échappé au grand maître non plus. Il s’approcha d’elle et ouvrit les bras.
Elle soupira, croisa ses bras endurcis par son travail ardu et lui lança un regard sévère.
— Garde ton affection pour toi.
Azéna fut surprise à la manière dont elle traitait Vigoth mais, son attitude la fit sourire. Ce-dernier s’arrêta devant elle.
— Est-ce que ta patience si légendaire t’a abandonné ? demanda-t-il sarcastiquement.
La forgeronne s’amusa un moment avec l’anneau qu’elle portait fièrement au centre de sa lèvre inférieure comme si elle était en train de songer à une stratégie pour apporter du mal au grand maître.
— Tu es venu me courtiser ou acheter des trucs, Vigoth ? demanda-t-elle sur un ton sec.
— Un peu des deux, répliqua le dragonnier dont le visage était enseveli d’un ample sourire.
— Ne me fais pas perdre mon temps.
— D’accord, d’accord. Voici Melanh’tash Vlèkhamnan. Je suis venu pour...
— Ne me présente pas sans mon accord, espèce d’impoli ! coupa la forgeronne en rogne. Qui t’a dit que je désirais qu’ils sachent mon nom ?
— L’arme et l’armure de Dame Kindirah ici présente qui débute sa première année à l’académie d’Archlan, continua Vigoth. Aussi, pourrais-tu retirer les manilles des pattes de son jeune dragon.
— Alors, on favorise son rival, maintenant ? taquina-t-elle en affichant un subtil sourire moqueur.
— Tu me connais bien mal, ma chère.
Elle l’observa pour un moment, savourant sa victoire.
— S’il te plaît, ajouta-t-il.
— Je peux faire cela pour toi, je suppose.
Encore une fois, Leith secoua de la tête, déçue du comportement du grand maître. Azéna laissa échapper un petit rire. La forgeronne s’approcha de Tyrath puis, se pencha pour observer ses pattes.
— Ces manilles sont vieilles et usées. Nous avons de la chance. Elles ne seront pas difficiles à briser.
Elle empoigna un marteau de sa ceinture demanda la permission à Tyrath de frapper les manilles. Celui-ci hocha de la tête. Ensuite, Melanh’tash demanda l’aide de Karia. La dragonne accepta, visa le corps de la première manille et ouvrit légèrement la gueule. Un étroit mais puissant rayon en fut projeté. Alors que le métal rougit et se mit à fondre, la forgeronne donna un coup de marteau. La manille se brisa sous l’impact. Ils répétèrent la procédure pour les trois autres manilles.
Une fois libéré, Tyrath s’étira, se secoua et tapota le sol comme un chaton heureux.
— C’est mieux ? demanda la forgeronne.
Le drake poussa un rugissement heureux. Elle sourit.
— Pourquoi avait-il ces manilles aux pattes ? demanda Azéna. Il a été enchaîné. C’est horrible.
— Terenas t’expliquera, répondit Vigoth. S’il demande, dis-lui que j’ai donné mon accord pour qu’elles soient retirées.
— Qui ?
Avant que qu’il ne puisse répondre, la forgeronne lui coupa la parole :
— Plus tard vous deux. Je n’ai pas toute la journée. Le premier soleil commença à se coucher, Maintenant, venez.
Elle entra dans sa forge et y invita tout le monde. Elle discuta longtemps avec Azéna afin qu’elle choisisse ce qui était le mieux pour elle et Tyrath. La Kindirah insistait pour avoir une armure puissante et une épée à deux mains, prétendant qu’elle allait bâtir sa force et la manier après un certain temps songeant à Argent. Melanh’tash n’approuvait pas.
— Les dragons gris sont plutôt rapides et favorise l’agilité, lui expliqua-t-elle en ignorant le sourire rempli d’admiration de Vigoth. De plus, Tyrath est encore jeune et petit. Je te conseillerai donc une armure légère pour ne pas l’encombrer. En ce qui concerne ton arme, je te conseillerai un arc puisque les dragons gris sont plus à l’aise dans le combat à distance.
— Un excellent choix, approuva Vigoth.
— Je crois que ça serait mieux aussi, suivit Leith.
— Bah ! Allons-y avec l’armure de cuir et l’arc, conclut Azéna.
— Préférais-tu un arc long ou un arc court ? questionna la forgeronne.
— Quelle est la différence entre les deux ?
— Si tu étais à dos d’un cheval, je te conseillerai plutôt un arc court, mais puisque la distance entre toi et tes ennemis sera probablement grande, je te conseille l’arc long. Il sera difficile de le maîtriser au début mais, ça viendra et il développera tes muscles... et éventuellement, tu seras assez forte pour apprendre comment manier une épée à deux-mains.
— Cela me semble satisfaisant, sourit Azéna.
— Toujours un don avec les mots, complimenta Vigoth. Même quand ce n’est pas positif.
L’elfe de lune hocha la tête et a pris les mesures de sa cliente.
— Le tout sera prêt demain matin. Je ne suis pas trop occupée.
Vigoth paya et resta derrière. Il s’attendait visiblement à quelque chose, mais rien n’arriva.
— Ils t’attendent tu sais, lui signala la forgeronne qui mit ses mains sur ses hanches en signe d’impatience.
— Je sais, dit Vigoth d’une voix douce et romantique, mais je veux tout simplement voir ton radieux regard pour une dernière fois avant de te quitter.
— Allez, disparais. Ce n’est pas comme si on n’allait pas se revoir.
Elle lui donna un coup de pied aux fesses. Le dragonnier fut projeté en dehors de la forge à la renverse. Il faillit tomber mais, retrouva son équilibre au dernier instant.
— Les femmes, murmura-t-il avec désespoir.
Puis, sans dire un mot, lui et ses compagnons traversèrent le village pour aboutir devant le plus grand bâtiment d’Agmeath. En grosses lettres dorées, au sommet des portes principales, était écrit À l’auberge des Rêves. Azéna trouvait le nom bien amusant. Les murs en bois ronds de la vieille auberge étaient rongés par le temps.
— Mouais, l’intérieur vend du rêve, commenta-t-elle.
À sa grande surprise, l’intérieure était tout le contraire de ce à quoi elle s’attendait. La décoration était élégante et au rez-de-chaussée, on y trouvait du tapis, des chaises rembourrées de plumes et un foyer autour duquel on pouvait se réchauffer. Il y avait même des serveuses qui apportaient à manger aux invités.
— Je sens que je vais bien dormir, murmura-t-elle en toute satisfaction.
Vigoth paya pour le service et ils montèrent tous à leur chambre. La salle était gigantesque et au centre reposaient quatre lits propres. Tyrath, Karia et Shirah furent obligés d’aller dormir dans l’écurie qui avait la capacité d’accommoder plusieurs dragons adultes.
Après avoir apprécié un repas fraîchement préparé, chacun s’endormit très rapidement sous les lourdes et chaudes couvertures de laine.
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