19 - Quand la lune brille de son plus bleu
22ème jour de la saison de la lune 2448 - PDV Serfantor
Les yeux attentifs, Serfantor regarda par la fenêtre ouverte de sa petite chambre. Les rideaux chics se laissaient doucement soulevé par les brises. Le vent était froid, c'était le début de l'hiver, mais Serfantor ignora sa peau qui frissonnait. Il avait des affaires plus pressantes qui occupait son esprit. Malgré l'heure tardive, il n'avait pas sommeil. De plus, il ne pouvait pas se permettre de décevoir sa mère. Du haut de la Tour de la Clarté, résidence des apprentis de troisième année, il perçait la noirceur de la nuit et analysait les rondes des gardes.
Finalement, c'était l'heure. La lune était haute et brillait de tous ces feux, comme à chaque milieu de saison sauf d'une différente couleur. En cette saison, elle était bleue. Serfantor regarda le parchemin déroulé qui reposait entre ses mains. Il reconnut l'écriture fine de sa mère qui s'exprimait dans leur langue natale: l'elfique.
Rencontre Sir Bregkhon quand la lune brillera de son plus bleu, tu sais où.
La brève lettre n'était pas signé. La subtilité était importante chez la culture elfe grise. Presque tout ce qu'ils faisaient était une partie d'un complot. Serfantor sourit, à moitié amusé. Il savait qu'il n'était qu'un pion dans le jeu de sa mère, comme toute son entourage. Il s'enveloppa d'une cape à capuchon épaisse, accrocha une dague à sa ceinture et descendit à la salle commune. Elle était vide, comme il l'espérait. Il s'arrêta devant le foyer et lança la lettre dans les flammes avides qui dévorairent le papier comme des loups voraces et bientôt, il n'était plus que des cendres noircies.
Au moment où il était satisfait que personne ne pourrait récupérer le mémo de sa mère, ses oreilles remuèrent légèrement au craquement familier des escaliers à colimaçon menant aux chambres. L'intrusion lui apporta un profond malaise. Il ne voulait pas se faire prendre sur le fait, alors il devra trouver une raison pour sa présence dans la salle commune à cette heure si tardive.
- Serf, appela une voix féminine, mielleuse et à moitié endormie. Est-ce que c'est toi?
L'elfe gris reconnut la voix de son unique amie dans cet établissement: Èrionda Murkwan, la plus vieille soeur de Teriondil. Celle-ci ne parlait que très rarement à son frère car ils ne s'accordaient pas très bien. D'ailleur, elle lui ressemblait tellement qu'il était presque impossible d'oublier leur lien de sang. Comme lui, elle était lié à un dragon vert, elle avait une chevelure verte menthe sauf courte et naturellement hérissée, une peau magnifique cuivrée, un corps svelte et des yeux rêveurs d'un vert forêt. Par contre, celle-ci possédait un visage en forme de coeur et des pommettes prononcées. Plusieurs dragonniers lui faisaient la cour, mais elle ne semblait jamais intéressée. Serfantor devait être l'un des seuls à ne pas l'énerver avec ces stupidités. Il avait tenté quelquefois de l'intéresser au skotar, mais elle s'avérait aussi têtue qu'une mule à chaque tentative. Elle était très pacifique et n'appréciait pas ce genre d'entrainement. Par contre, elle était la plus douée en vol des troisième années et c'est pour cela que Serfantor désirait la recruter. Au plus profond de lui-même, il se questionnait sur l'authenticité de son amitié envers elle. Après tout, il ne faisait presque pas d'efforts pour initier une interaction avec elle. Il n'était honnêtement pas certain de ce que signifiait une amitié. Tout ce qui importait était sa mère et cette vérité créait toujours un noeud à sa gorge. Il ne pouvait pas se charger avec elle. Elle risquait de se mettre dans son chemin comme elle le faisait présentement.
- C'est toi, pas vrai? répéta-t-elle.
Elle arrivait à le reconnaître malgré qu'il était dos à elle et enveloppé de la tête aux pieds de son habit d'hiver. Il eut un sourire en coin, content que quelqu'un mis à part Shalith le connaissait à ce point.
- C'est moi, dit-il calmement. Retourne te coucher, je t'en pris.
- Tout va bien? questionna-t-elle avec une pointe d'inquiétude.
- Mhmm.
Il ne se tourna pas en espérant qu'elle comprirait le message entre les lignes. Un instant plus tard, il entendit le même craquement provenant des escaliers. Elle était retournée se coucher. Il grinça les dents, sachant qu'elle se doutait bien que quelque chose de louche se passait.
Après avoir attendu un peu pour s'assurer qu'elle soit bien dans sa chambre, il retourna à la sienne. Là, une bête sombre l'attendait perchée à sa fenêtre. Il ouvrit ses deux battants à leur plus large, installa une selle sur le dragon aux écailles ébènes puis, il grimpa sur son dos. Le dragon sentait l'humidité et le moisi, une odeur à laquelle il s'était habitué. Sans dire un mot, la monture s'envola et se dirigea vers le mur extérieur de l'académie.
Serfantor s'était tapi à plat ventre alors qu'ils traversèrent. Quelques gardes accompagnés de la capitaine de garde la vigilante Nymia, surveillaient le périmètre. Ils étaient équipés de leur armure et de leurs armes, tous prêts au combat. Les dragons avaient l'autorisation de se promener à leur guise, mais pas les apprentis. Nymia sonda le dragon noir au travers de son heaume alors qu'il traversa, mais elle ne réagit pas à la présence de Serfantor.
« Ah, la vision médiocre humaine, songea Serfantor. Elle ne m'a même pas vue. La noirceur est véritablement mon alliée, juste comme on nous le répète tout au long de notre vie. »
De l'autre côté du mur, le dragon atterrit près d'un arbre solitaire. De fins flocons se mirent à tomber, l'un d'entre eux se retrouva sur le nez de Serfantor et fondit immédiatement. L'elfe gris essuya son nez, démonta et regarda son dragon droit dans les yeux.
- C'est bon. Tu peux partir.
Le dragon hocha de la tête et repartit en direction de l'académie. Serfantor marcha avec prudence jusqu'à la forge d'Atgoren et se faufila entre les barils pour se retrouver derrière le bâtiment dans un coin sombre. Là, il trouva ce qu'il cherchait: un elfe gris équipé d'une armure en fer ébène qui l'attendait. Il enleva son heaume et laissa Serfantor l'examiner. Bregkhon était un grand guerrier à la peau presque noire et au visage charmant, ce qui lui donnait la faveur de la reine. Il portait l'arme favorite de leur peuple: le cimeterre. Sa cape à fourrure de loups le réchauffait en permanence. Assuré de l'identité du guerrier, Serfantor se détendit et s'approcha.
Il était encore surpris que sa mère n'avait pas envoyé l'une de ses précieuses fidèles pour une tâche si importante. Malgré tout, il comprenait pourquoi c'était Sir Bregkon qui y avait été assigné. Il était loyal et désirait plus que tout de lui plaire pour qu'il puisse enfoncer son membre viril en elle. Il n'était qu'un simple mâle aux yeux des femmes; un jouet sinon, un esclave. Il fallait bien qu'il trouve un moyen d'endurer cette sale vie avec un peu de plaisir.
Serfantor ne se questionnait pas sur pourquoi les mâles était si mal vu chez les elfes gris. La plupart d'entre eux perdait la tête pour leur besoins de bases: soit le sommeil, la nourriture et particulièrement, le sexe. C'était si facile de les manipuler. Serfantor refusait de s'abaisser à ce niveau.
- Tu es en retard, grogna Bregkhon.
Serfantor avait effectivement pris du retard en cause d'Èrionda. Il jura silencieusement et chercha une excuse crédible pour le sortir de son malheur. Bregkhon attendit un bref instant, mais son impatience prit le dessus rapidement.
- Bah, je m'en fout de ce que tu as à dire pour ta défense. Fait vite, j'ai un long voyage à faire avant d'arriver à Norkux. De plus, je déteste jouer le chien messager, même pour Son Ombre.
Serfantor garda la main sur le manche de sa dague. Il avait remarqué deux yeux qui scintillaient dans le pénombre, surement appartenant à la monture du guerrier: un troxx magny, créatures vicieuses avec lesquelles il désirait éviter les ennuis.
- Qu'est-ce qu'elle désire savoir exactement ?
Breghkon fronça les sourcils.
- L'objet qu'elle nécessite pour la guerre. Tu sais de quelle je parle j'espère.
Sa voix monta.
- Qu'en est-t-il de de ça ?
Il se ressaisit et baissa le ton.
- Parle. C'est dangereux pour moi d'être ici.
- Je ne l'ai pas encore entre les mains, répondit Serfantor. Par contre, je sais où elle se trouve.
- Où ? demanda Breghkon.
- Dans le donjon. C'est bien protégé et les apprentis ne peuvent pas y entrer sans y être admis par le maître du donjon. En gros, il faudrait que je mérite ma punition pour y pénétrer. Puisque la reine ne veut pas que je perdre mon titre d'apprenti dragonnier, il faut que je passe par quelqu'un d'autre.
- Brillante action pour une fois dans ta vie. Alors, ton pantin, il est lent ou est-ce toi qui n'es pas assez rigide avec lui ?
Serfantor baissa les yeux. Serrant les poings, Breghkon le fixa avec sévérité.
- Tch... tu es une mauviette comme ces elfes de lune. Tu es indigne du fils de la reine. Pas étonnant que tu n'as que la peau grise médium. On ne voit pas ça souvent dans la royauté.
Aussi rapide qu'un serpent, il agrippa Serfantor par le cou, le plaqua contre le mur de pierre de la forge et serra. Un gémissement aiguë retentit; le troxx était stimulé par les actions de son maître. Ce dernier dut lui faire signe de se calmer avant de continuer:
- Tu ferais mieux d'avoir plus de résultats et moins de paroles inutiles lorsque je reviens te chercher au début de la saison du soleil. De toute façon, c'est à la reine elle-même que tu devrais répondre si tu échoues.
Il lâcha prise. Serfantor tomba au sol et toussa, à bout de souffle.
- Qu'est-ce qui te cause tant de difficulté ? demanda le guerrier à bout de patience.
Serfantor leva les yeux remplis de peur et d'une voix étouffée, il répondit:
- Il y a une fille...
- Une fille, hein ?
Breghkon empoigna la dague qui était tombé de la ceinture de Serfantor, s'accroupie pour être à son niveau et la lui montra. Le métal scintilla sous les rayons de la lune.
- Chez nous, nous n'avons pas le droit de toucher à une fille, pas le droit de nous défendre. Ici, c'est une autre histoire. Ces maudites salopes ne sont rien ici. Tue-la. C'est aussi simple que ça.
Il lui remit l'arme, ricana et continua:
- En même temps, ça te défoulera pour toute les fois qu'une femme t'as fait du mal à Gosform.
- Mais, je ne veux pas la tuer.
- Assez. Fait ce que tu as à faire pour réussir sinon, c'est la reine que vas mettre en colère et tu vas sûrement payer de ta misérable vie. Les elfes gris ont besoin de ce pouvoir pour survivre. Tu comprends ? Les rumeurs de la guerre, ce n'est pas des blagues pour effrayer les rebelles et les paysans. Ça va venir, éventuellement et nous devons être prêt.
Il se leva et ronchonna, clairement exaspéré par son prince.
- Alors, qui ce sera? Le peuple elfe gris ou la petite fillette ?
Serfantor serra les dents, en conflit avec lui-même. Il prit trop de temps a répondre; Breghkon posa la main sur sa propre dague. Entre deux respirations difficiles, le jeune elfe gris répliqua:
- La fille.
Breghkon sourit et retira sa main de son arme.
- Exactement. La fille. Rends la reine fière. Tu es un elfe gris. Chaque elfe gris est un tueur dans le fin fond. C'est pour le bien de ton peuple.
Il laissa Serfantor à ses pensées et disparut dans l'ombre de la nuit.
Serfantor s'accota contre le mur et leva la tête. La lune était toujours d'un bleu saphir. Après un moment, il se calma et il respira à son aise. Il se sentait enfin libéré du stresse, mais un nouveau poids l'obstruait. Un fardeau qui lui causait plus de douleur qu'aucun autre. Il devait faire un choix avant la fin de l'année d'entraînement.
Il prit le temps d'analyser les deux côtés de la situation, mais la voix de Breghkon résonnait dans son esprit:
« Tue-la. C'est aussi simple que ça. Tue-la. »
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