31ème jour de la saison de la lune 2448 - PDV Fayne

Le froid s'était installé et l'automne avait laissé place à l'hiver. Les feuilles des arbres étaient presque tous tombés et l'herbe frémissait au touché des brises glaciales. Les dragons qui préféraient la chaleur, tels que les rouges, les bruns et les bleus, commençaient à se plaindre tandis que ceux qui étaient à l'aise avec le froid, tels que les noirs et les blancs, accueillaient le changement de température avec une joie des plus particulières. Fayne n'avait jamais pensé, même dans ses rêves les plus fous qu'elle aurait eut la chance de voir une famille de dragons joué avec leur petit dans la neige fraîche. Ça lui rappelait sa propre enfance. Son père Lyran était bien taquin et adorait créer des châteaux de neige sur des buttes géantes avec elle pour ensuite prétendre avec elle qu'il était un vilain qui voulait lui voler sa forteresse. Souvent, Azéna se joignait à eux et à deux, elles pouvaient donner du fils à retordre au nounours qu'était Lyran. Azéna, impulsive comme toujours, le distrayait pendant que Fayne préparait une stratégie. Saria, la mère de Fayne, observait avec un grand sourire pour la plupart du temps. Lyran était un gros homme et il était très puissant. Lorsque Saria encourageait Fayne et Azéna, il la portait comme un sac de patate sur son épaule et la chatouillait jusqu'à ce qu'elle promette qu'elle allait rester neutre dans cette affaire. Ils s'étaient marié par amour et non pour leur lignée ou leurs devoirs et Fayne admirait grandement cela. Elle avait appris par Azéna que les familles les plus prestigieuses n'avaient pas cette liberté et ça avait toujours inquiéter son amie.

Après avoir livré un long combat, la famille rentrait dans leur petite demeure humble pour une bonne tasse de thé et un chocolat chaud pour les deux petites. Cette année, Fayne s'était ennuyée de ces moments lorsque la première neige était tombée ce qui lui avait aussi rappelé que c'était l'anniversaire d'Azéna bientôt, très bientôt. Le lendemain en fait. Il ne fallait pas qu'elle l'oublie.

- Je vous assure que c'est le cas, dit une voix féminine imprégnée par l'inquiétude.

L'attention scrupuleuse de Fayne à son carnet de notes de karsayrethtès fut soudainement brisée. La dragonnière bleue marchait seule dans le labyrinthe qu'est l'académie d'Archlan. Elle faisait souvent les cent pas lorsqu'elle désirait étudier, car Azéna et Teriondil rendaient la tâche difficile. Serrant les dents, elle maudit sa curiosité qui la distrayait fréquemment de ses occupations. Elle dédiait beaucoup de son temps sur ses études dernièrement, même ses pauses, car la période d'examens approchait à grand pas, soit dans un peu moins d'une saison complète.
L'herboriste tourna un coin et déboucha dans le corridor de l'étage principal où se trouvait les salles de classe.

- Je t'assure que c'est bien ces objets qui ont été volés, recommença la voix puissante qui résonnait dans le corridor.

Fayne continua son chemin en direction de la salle de classe de Maître Ternos, mais elle était aussi consciente qu'elle s'approchait de l'auteur de ses paroles insistantes. Elle savait qu'il parlait d'un vol, ce qui l'intéressait grandement en raison de tout ce qui se passait avec Serfantor et Gragèn mais elle ne pouvait pas se permettre d'être en retard à son cours d'introduction au karsayrethtès.

- C'est vrai, assura une deuxième voix plus douce, le donjon a été...

Fayne secoua la tête et se concentra sur sa destination, chassant ainsi les voix de son esprit. Plus elle s'approchait, plus les voix persistèrent.

- Taisez-vous, ordonna la voix irritée d'une femme. On pourrait nous entendre.

- Les cours ne commencent pas avant un autre quinze minutes. Les apprentis sont toujours dans le Hall d'Archlan à cette heure. On devrait en discuter dans la Tour Mère.

- Qu'est-ce qui a été volé ? questionna-t-elle d'une voix plus calme.

Fayne craqua. Après tout, elle était bien trop d'avance et pouvait se permettre d'écouter un peu. Elle s'arrêta à côté de la porte de la salle de classe d'où provenait la discussion et tendit l'oreille. Elle était maintenant assez proche pour discerner deux voix: celles de Nymia Valkirel et Zarak Ternos.

- Malheureusement, répliqua Zarak sur un ton des plus graves, les quatre Artéfacts.

Deux cris d'exclamation furent poussés simultanément.

- Qu'en est-il de l'autre ? demanda Nymia avec sévérité.

- Il n'a pas été touché, répliqua Zarak.

- Et si c'était..., commença Fiara avec curiosité.

- Ne dit pas des idioties pareilles, coupa Neige sèchement. Il protège l'armurerie et non le contraire.

Fayne devina que les maîtres faisaient référence à Reaginn puisque l'armurerie faisait parti du donjon. Personne n'osa répondre à l'affirmation de Neige. Fayne se demandait si les autres étaient du même avis que la maîtresse du mana. Elle était si concentrée sur ce qu'elle faisait qu'elle ne remarqua pas l'arrivé d'une présence derrière elle.
L'homme imberbe posa sa main sur l'épaule de l'apprentie dragonnière et la fixa avec un mélange bizarre de supplie et de sévérité. Sa haute stature, ses traits fins et sa longue chevelure châtaine clairsemée de minces mèches blond naturel lui donnaient une fière allure. Fayne fut immédiatement attirée par ses yeux de couleur menthe en forme d'amande. Son regard, par contre, rappelait qu'il possédait une autorité importante au sein de l'académie. Sourcils froncés, il porta ses doigts vers sa bouche pour lui signaler de rester silencieuse et continua son chemin vers la salle dans laquelle se trouvaient les maîtres en pleine discussion. Sa longue cape argentée resta immobile derrière lui tellement il marchait avec grâce et douceur. Il avait laissé la chance à Fayne de partir sans qu'elle ne se voir, alors sans qu'elle ne se fasse punir et l'herboriste lui fut reconnaissante.

Avant que l'homme ne disparaisse, Fayne remarqua son habit notable : une robe fine aux détails soigneusement tissés. Elle devina qu'il ne devait pas être qu'un simple maître ; c'était un haut placé, l'un des trois sages, conseillers du grand maître. C'est souvent eux qui se rendaient aux évènements importants lorsque leur supérieur était dans l'impossibilité d'y assister. Ils représentent aussi l'académie. En gros, ils étaient des assistants au grand maîtres.

- Deuxième Sage Senblom, dit Neige de sa voix mélodique.

La porte se ferma d'elle-même derrière le sage.

- Faites attention, avertit-il avec autorité, on vous entend de loin.

Une force invisible poussa Fayne dans le dos. Prise par surprise, l'instinct prit le dessus et elle s'imagina devant un ravin sur le point de tombée dans le profond des abysses de cet infini trou noir. Elle se cramponna sur les murs et prit une grande respiration. Une fois calmée, elle se rendit compte que tout cela n'était que le fruit de son imagination. Ce n'était pas la première fois qu'elle eut le vertige lorsqu'on lui retirait son équilibre et ce malgré l'absence de danger potentiel. Elle était victime d'acrophobie, la phobie des hauteurs. D'après elle, cette phobie était parfaitement ridicule, mais elle ne pouvait s'empêcher d'avoir peur pour sa vie et de préférer être entaillé que de subir cela.
De toute façon, la force invisible avait bel et bien été présente. Fayne devina que le moment était venu pour elle de quitter sa cachette avant qu'elle ne s'attire des ennuis. Le sage lui avait donné cette chance et elle ne pensait pas qu'il allait lui en accorder une deuxième. De plus, elle ne désirait pas s'attirer la colère d'un sage. Sans perdre un instant de plus, elle se rendit à son cours d'introduction au karsayrethtès, qui se trouvait à la droite de la salle de classe dans laquelle les maîtres discutaient.

Fayne due attendre à la fin du cours pour faire part de sa découverte à Azéna et à Teriondil car ceux-ci étaient arrivés en retard une fois de plus, faute d'Azéna. De plus, Zarak était présent.

- Bien joué, complimenta Azéna. Nous avons une preuve que quelqu'un vole du donjon. Je peux déjà deviner qui est voleur.

Elle jeta un regard accusateur à Gragèn, mais le roux ne s'en rendit pas compte. Fayne lui fit signe d'arrêter.

- C'est bon, soupira Azéna et se tourna.

- Ce sage, dit Teriondil de sa voix onctueuse, qui était-il ?

- Deuxième Sage Senblom, dit Fayne.

- Ah, Sage Murun. Tu es chanceuse que c'était lui. Il est docile à comparer aux deux autres sages, particulièrement Sage Wirus. Il peut s'avérer brutal.

- Alors, qu'est-ce qu'on fait ? demanda Azéna avec impatience ce qui irrita Fayne.

- Il n'y a rien à faire de plus que faire des recherches et garder l'œil ouvert, répliqua Fayne.

- Si on en parlait aux dragons ?

- Peut-être en connaîtront-ils plus que nous, dit Teriondil en fixant la voûte de pierre sombre du corridor. Après tous, les dragons sont des créatures mythiques. On ne sait jamais à quoi s'attendre avec eux.

- Sauf Tyrath, se moqua amicalement Fayne. On peut toujours s'attendre à des ennuis avec lui. C'est un trouble-fête.

Azéna leva un sourcil et fixa son regard sur son amie. Son visage malicieux arborait un sourire narquois.

- Au moins le trouble-fête sait voler avec sa dragonnière contrairement à certains.

Fayne poussa un petit rire nerveux et le trio se dirigea vers la salle de leur prochain cours.

***

À la fin de la journée, Azéna, Teriondil et Fayne quittèrent le terrain de skotar où ils pratiquaient leur contrôle élémentaire en compagnie de leur dragon et se rendirent sur la plage du lac de Cristal.

- Ta performance avec Tyrath en manipulation du vent s'améliore, nota Teriondil.

Le jeune dragon gris menaçait de son regard brillant d'attaquer la queue d'Ella avec laquelle il s'amusait tel un chat avec une pelote de laine.

- Merci, dit Azéna. Tu n'es pas mal toi non plus, mais tu as une année d'expérience de plus que nous.

Azéna baissa le regard, clairement frustrée. Elle avait surement encore des problèmes avec son attitude compétitive. Ella sembla le remarquer et poussa un ricanement amical. Elle s'avança un peu, tentant de s'éloigner de Tyrath. Sa queue serpenta derrière elle.

- Ne t'en fais pas. Il était bien plus moche que toi durant sa première...

La dragonne leva soudainement la voix.

- Tyrathralent !

Le drake avait finalement céder à la tentation et s'était jeté sur la queue d'Ella. Les mâchoires refermées sur sa cible, il fixa Ella avec des yeux qui étincelaient d'énergie. Énervée, Ella poussa un rugissement féroce en détournant la tête vers le jeunot.

- Lâche-moi immédiatement sinon je te découpe en morceaux ! menaça la dragonne verte dont la voix douce n'était maintenant plus qu'une série de grognement rauques.

Tyrath leva les lèvres supérieures comme s'il tentait d'imiter le sourire innocent que faisait parfois Azéna lorsqu'elle était coincée dans une situation délicate. Ella poussa un sifflement d'avertissement et il obéit enfin.

- T'es pas amusante, affirma-t-il en s'éloignant sans scrupule d'Ella.

- Quelle sorte de karma avais-tu pour te lier avec cet idiot immature ? demanda Ella avec sévérité en s'adressant à Azéna.

Tyrath leva la tête et poussa un grognement inaudible. Azéna donna une petite tape amicale sur son museau argenté.

- Relaxe donc, petit plaisantin.

Tyrath lui accorda un regard accusateur puis, il s'éleva vers le ciel et plana autour d'elles. Lorsqu'Azéna confirma qu'il s'était calmé, elle s'adressa à Ella.

- Qu'est-ce que tu veux dire ?

Les yeux d'Ella s'écarquillèrent.

- Tu n'es même pas au courant de comment et pourquoi ton dragon se lit avec toi. C'est...

- Je croyais que c'était simplement dû à une similarité des valeurs ou de la personnalité profonde, interrompit Fayne qui ne pouvait s'empêcher d'exprimer sa connaissance. Ça ferait du sense.

- Tu as partiellement raison, Fayne. Cette affirmation n'est que la surface du processus qu'est le liage entre humanoïde et dragon.

- Normalement, on ne vous apprend cela qu'en deuxième année, continua Buhrik en fixant Fayne.

- Pourquoi ? questionna Fayne. Ce sont des informations importantes. C'est la base de la relation entre dragon et dragonnier. C'est un aspect important.

Ella hocha affirmativement de la tête et allongea le cou de sorte à ce que son museau effleure affectionnément la chevelure menthe de son dragonnier, cela tout en ronronnant. Teriondil ne put s'empêcher de sourire malgré lui. Puis, la dragonne reporta son attention sur Fayne et Azéna.

- À vous deux, je vais vous expliquer le principe. Teriondil en a déjà été informé par moi.

- Attend un instant, s'écria Azéna en baissant le ton de voix par la suite. Pourquoi Tyrath ne m'en a pas parler ?

- Parce que ce dragonneau — Son regard sévère se posa pendant un bref instant sur Tyrath — ne comprend pas ce processus et personne ne lui a en a parlé. Normalement, on transfère ce savoir lorsque le drake atteint s'est 25 ans pour s'assurer qu'il soit assez âgé pour bien comprendre.

Irrité, Tyrath souffla des narines et de petites brises s'échappèrent de ses deux naseaux.

- D'accord, dit Azéna. Tu peux continuer ton explication.

- Plutôt la commencer, corrigea Buhrik. Quoi qu'il en soit, le processus du liage affecte tous les dragons et humanoïdes en raison du pacte. C'est pourquoi les dragons sauvages ne s'approchent que très rarement des humanoïdes. Ils ne veulent pas prendre la chance de se lier avec l'un d'eux. Nous sommes ce que l'on appelle des dragons domestiques par nos cousins sauvages. Un dragon domestique est caractérisé par deux choses : le désir ou l'acceptation de se lier à un humanoïde ou d'avoir été élevé dans un environnement où les humanoïdes sont présents.

Il fit une pause pour regarder le ciel. La journée était encore jeune.

- Comment le dragon sait qui choisir exactement ? demanda Fayne.

- Par pur instinct, dit Ella. Que ce soit avant ou après le pacte, chaque dragon sonde profondément chaque être qu'il rencontre pour la première afin de connaître sa personne profonde, ce qui se compose des valeurs, de la personnalité, des intérêts ainsi que des intentions morales. Mais, tout le monde change. Ce processus prend normalement longtemps, mais on finit par tous évoluer, que ce soit radicalement ou juste un peu. C'est pourquoi on ne peut pas nécessairement s'y fier et une fois lié, il est impossible de s'en défaire et parfois, c'est un défi qui force les deux individus à grandir.

Buhrik toussa et s'amusa avec sa barbichette blanche comme la neige.

- Ce que notre chère Ella essai de dire c'est que parfois, même avec notre habilité à sonder les individus, il arrive qu'un lien se forme malgré la répulsion du dragon face à l'humanoïde. Cela cause bien des conflits, mais une fois lié, tu éprouve un amour inconditionnel pour ton compagnon et souvent, la pair apprend à s'apprécier avec le temps.

- J'avoue que Tyrath n'est pas toujours très coopérant et mature, dit Azéna en hochant de la tête comme si elle validait sa propre réplique.

Encore une fois, elle s'avérait trop têtue pour avoué ses propres fautes. Évidemment, elle n'était pas mieux que son drake à qui elle ressemblait sur plusieurs points. Fayne éclaircit sa gorge en tentant de lui signaler de se rectifier.

- Ce qui est le cas pour moi aussi d'ailleurs, ronchonna Azéna en pouffant.

- Vous vous entendez bien malgré votre caractère difficile, pointa Buhrik. C'est très bien.

- Encore étonnant qu'une créature si majestueuse s'entende bien avec elle avec toutes les fugues, les crises et les crimes qu'elle a commis sous le nez de ses parents, dit Fayne avec sarcasme.

- Fayne, n'agis pas comme une simple bête, grogna le dragon bleu. Tu es plus intelligente que cela.

Il frissonna et poussa un grognement démontrant son irritation.

- Qu'il fait froid en ce temps, se lamenta le dragon bleu. Je déteste cette température glaciale et ça ne fera qu'empirer jusqu'au printemps. Quelle horreur.

Une feuille orange tourbillonnait dans le vent près de la tête de Buhrik qui la chassa en se secouant. Un miaulement amusé retentit et tous les yeux se tournèrent vers Tyrath. Le drake argenté chassait un tourbillon de feuilles mortes qui dansaient avec les brises des vents erratiques.

- Venez jouer, invita-t-il avec entrain alors qu'il sautait sur une feuille rousse qui lui échappa à la dernière seconde. C'est super amusant.

- Il va falloir que tu comprennes un jour que moi et Buhrik, nous ne sommes plus des dragonneaux, dit Ella avec patience bien que son irritation la trahissait.

- Au fait, quel âge avez-vous ? questionna Azéna en s'adressant aux deux plus vieux dragons. Je sais que Tyrath a mon âge, soit de quatorze ans. Il n'est sûrement encore qu'un enfant ou un jeune adolescent et il est beaucoup plus petit que vous deux. Vous devez faire au moins le double de sa grandeur.

- J'ai 27 ans, soit une adolescente et je mesure très exactement 11,9 pieds, répondit Ella.

- Les dragons verts sont extrêmement grands tandis les dragons bleus sont courts, expliqua Buhrik. C'est pourquoi je ne suis que 12,1 pieds malgré mes 69 ans. Pour ma part, je suis sur le point de devenir un dragon adulte.

- Oh, répondit Azéna. C'est pour ça que Tyrath n'est que 8,8 pieds. Physiquement, je suis bien plus vieille que lui.

Fayne n'était pas certaine de si son amie éprouvait de l'amertume ou de la fierté par rapport à ce qu'elle venait de mettre au clair. Elle y avait songée aussi, mais en visant Buhrik à la place. Elle devait avouer que ça lui donnait mal au coeur.
Le vent hurla avec férocité. Tyrath le défia en poussant un rugissement tout en exhalant une bourrasque puissante de sa gueule. Ignorant les actions enfantines de Tyrath, le reste du petit groupe continua sa marche en direction du Grand Nid. Sur leurs talons, le jeunot aux yeux améthyste sautait, tournait sur place, courrait dans tous les sens et exprimait son amusement au travers d'un mélange étrange de miaulements et de grognements.

Une fois à destination, une énorme dragonne blanche émergea de la grotte de son vol draconique respectif. Celle-ci s'approcha du groupe et due à sa grandeur, elle baissa son cou de sorte à ce que sa tête soit à la hauteur de celle d'Ella et Buhrik.

- Mauvais temps, n'est-ce pas Gûyrinda ? demanda Buhrik en accueillant la dragonne en effectuant une révérence en signe de politesse.

- Buhrik, répliqua-t-elle en imitant le drake bleu. Au contraire, ça devient plus supportable. J'aurai cru que tu aurais apprécié ce vent agressif, dragon des tempêtes.

- Pas lorsqu'il est glacial. Une tempête tropicale est bien plus agréable qu'un blizzard.

- Pardonne ma mémoire chancelante. J'oublie à quel point les tiens sont frileux.

Azéna fixa les deux dragons avec incrédulité. Bien sûr elle ne comprenait pas; elle n'avait probablement pas lut son manuel comme Eldarytzan leur avait demandé.

- Comment quelqu'un, que ce soit un dragon ou une fourmi, puisse apprécier un désastre naturel? questionna Azéna. Vous êtes fous, ma parole!

- C'est un dragon des tempêtes ; il est donc normal qu'il aime ce genre de chose, expliqua Fayne qui ne supportait pas l'ignorance de son amie. Tu n'as pas lu le chapitre 53 de notre manuel de psychologie draconique?

- Bah non. Nous en sommes qu'au chapitre 32. Merde, il est gigantesque ce bouquin. Tu sais bien que je n'apprécie pas la lecture comme toi. Pour revenir au sujet original, est-ce que ce surnom est unique à lui ?

Fayne soupira. Elle se demanda pourquoi elle lui avait demandé une question à laquelle elle aurait dû deviner la réponse.

- On surnomme tous les dragons bleus ainsi. C'est un peu comme une description générale. Chaque vol draconique en possède un ou plusieurs.

- Quel est le tien ? demanda Azéna en détournant son attention vers Tyrath qui s'était enfin calmé.

- Dragons à piques en raison de notre habilitée unique de décrocher et replacer nos piquants à volonté. Aussi, on nous surnomme les maîtres de la liberté en raison de nos valeurs.

Il se posa à droite d'Azéna et songea pour un moment.

- Aussi il y a le surnom dragons des cieux en raison de notre aise à voler et de notre vitesse aérienne.

Soudainement, la dragonne blanche porta son attention sur le drake argenté. Elle s'approcha de lui et l'inspecta minutieusement en le reniflant à multiples reprises.

- Ça va, maman, je ne suis plus un dragonneau depuis neuf ans, grogna Tyrath en reculant de quelques pas. Tu es trop attachée.

- Il a raison, Gûyrinda, dit Buhrik en fixant la femelle blanche. Laisse-le grandir naturellement.

La dragonne blanche renifla et lança un regard noir en direction de Buhrik. Par contre, son expression s'adoucit rapidement.

- Il est encore si petit, dit-elle d'une voix emplie de maternité et de douceur.

Azéna ne put s'empêcher de pouffer de rire. Elle racla sa gorge et adopta une expression sérieuse forcée.

- Maman ? Bah, tu as réussis à me surprendre encore une fois, Tyrath. Mais, un instant... elle est du vol blanc. Je ne suis pas certaine de comprendre ce qui se passe.

- C'est sa mère adoptive et non biologique, expliqua Ella. L'adoption n'arrive que très rarement, particulièrement lorsque le dragonneau n'est pas du même vol car nous n'avons pas l'habitude de nous mêler. Sous cet aspect, nous sommes très conservateurs et stricts.

Une série d'images défila dans l'esprit de Fayne, particulièrement les explications de Terenas à propos de l'historique des parents biologiques de Tyrath. Elle en conclut qu'il devait lui avoir trouvé une mère adoptive et que Gûyrinda devait s'être portée volontaire. Elle grimaça, incertaine de comment Azéna allait réagir à cette nouvelle.
Le silence régna pendant un long moment avant qu'Azéna ne réagisse.

- Tu ressembles énormément à une dragonne blanche que je connais, remarqua-t-elle en s'adressant à la dénommée Gûyrinda.

- Qui cela pourrait-il être ? questionna Gûyrinda avec curiosité.

Elle s'éloigna du groupe en faisant signe à Tyrath de rentrer dans la grotte d'où elle venait de sortir, mais accorda toute son attention à son interlocutrice. Le drake refuse de bouger, complètement obstiné. Il se tourna dos à elle et fit la moue. Fayne soupira. Finalement, il n'était qu'un enfant et elle comprenait pourquoi cette dragonne blanche le surveillait encore de près.

- La dragonne du grand maître de l'académie d'Isriss, dit Azéna. Elle s'appelle...

- Karia, coupa Gûyrinda avec amusement. Tu es perspicace, jeune dragonnière. Oui, Karia ma plus vieille sœur.

Elle se tourna vers son fils adoptif et émit un faible sifflement pour attirer son attention.

- Allez, on rentre, déclara-t-elle. C'est l'heure du souper. Ne fait pas ton têtu, s'il te plait.

- Je t'ais déjà dis que je dors et je vis dans la grotte du vol gris à présent, grogna Tyrath. Je ne suis pas un dragon blanc!

Gûyrinda émit un petit rire et soudainement, elle parut sereine. Fayne remarqua à cet instant que ses écailles reflétaient la lueur de la neige fraîchement tombé. On aurait dit un messager de la déesse Élysia elle-même. Elle était si magnifique. Ses yeux d'un bleu royal correspondaient parfaitement à la teinte délicate d'azure qui courrait sur le blanc de ses écailles. Malgré son physique aux traits féminin, ce dernier s'avérait puissant et semblait assez robuste pour la supporter dans l'événement d'un blizzard. Elle aurait surement pu simplement poser une patte singulière sur le drake et l'empêcher de mouvoir si elle l'aurait voulue.

- Cesse d'agir en dragonneau dans ce cas, grogna Gûyrinda.

Elle balança sa queue vivement et attendit. Au bout d'un moment, Tyrath se résigna et rentra dans la grotte des dragons blancs avec sa mère adoptive. On pouvait encore entendre ses lamentations plaintives qui résonnaient alors qu'il avait disparu dans la noirceur.

- Bah, ça alors, dit Fayne, ébahis par ce qui venait de se produire. J'aurai tout vue. Les dragons sont vraiment différents de ce que je croyais il n'y a que deux saisons.

- Ce qu'il est un gros bébé, rigola Azéna en fermant les yeux et en se croisant les bras derrière la tête. Bon, je retourne à l'académie. Il fait trop froid à mon goût. Venez, les enfants.

Soudainement, la brunette sentit l'irrésistible tentation de riposter au sarcasme d'Azéna qui était, après tout, la plus enfantin des trois. Elle fit donc signe à Buhrik lui produire un peu d'eau. Maître aquamancien, le dragon bleu exécuta la tâche rapidement et dans un parfait silence. Fayne prit contrôle de la sphère d'eau et la projeta. Azéna reçut l'attaque en pleine figure, poussa un cri aigu et s'essuya avec la manche de son manteau.

- Mais qu'est-ce...? T'es complètement folle! Fait froid! Mon putain de visage! Tu sais... Gah!

Alors que Fayne s'esclaffant de rire devant l'incohérence de son amie, cette dernière tenta de façonner une boule d'air, mais c'était inutile sans Tyrath pour l'aider. Après quelques attentats ratés, elle grogna et se dirigea vers l'académie en bougonnant exactement comme son dragon. Fayne supressa son envie d'exprimer sa victoire facile. Elle adorait fâcher Azéna; c'était si amusant de la voir réagir si hardiment.

- Tel dragonnier, tel dragon, dit Buhrik avec légèrement malice.

- Exactement, approuva Fayne qui appréciait ce dicton. Tu as un petit côté coquin toi aussi, tu sais, monsieur sérieux.

Le museau et les joues de Buhrik virèrent légèrement au rose face à cette vérité.

- Ça m'arrive parfois... Tu n'es pas ma dragonnière pour rien.

***

Les trois adolescents retournèrent au Grand Nid après le souper. Gûyrinda était venue discuter avec eux. Tyrath était resté dans la grotte. Il se sentait probablement trop honteux pour se pointer le bout du museau. Le crépuscule tomba doucement et une lueur bleutée dominait maintenant le ciel. La température avait encore baissé et Buhrik se mit à frissonner. Après un moment, il s'excusa et retourna dans la grotte du vol bleu où les autres dragons bleus se réchauffaient autour d'un petit feu qu'un dragon rouge qui passait par là avait déclenché pour eux. Fayne, Azéna et Teriondil ne voulaient pas encombré la grotte des dragons bleus donc, ils s'étaient assis l'un près de l'autre pour conserver le plus de chaleur corporelle possible.

- Vous connaissez des renseignements par rapport aux objets volés dans le donjon ? questionna Fayne en s'adressant à Gûyrinda.

Gûyrinda réfléchit longuement à la question qui lui avait été posé en observant l'herbe mourante à ses pattes. Lorsqu'elle se sentit prête, elle leva lentement le regard en direction du trio.

- Ces quatre objets ont été créés à partir de donations des dragons.

- Quels genres de donations ? questionna Azéna. Les dragons n'ont pas vraiment de biens matériaux.

Encore une fois, la dragonesse hésita avant de répondre. Il y avait de la nervosité dans sa voix.

- Nous avons notre chair, notre corps, nos pouvoirs et notre âme. Mais, les âmes et les pouvoirs sont rarement donnés. En une seule occurrence cela s'est-il produit.

- Le pacte ? devina Fayne.

- Précisément, confirma Gûyrinda. Donc, ces objets sont des donations physiques.

- Des parties du corps ?

Gûyrinda hocha affirmativement de la tête.

- Pourquoi quelqu'un voudrait-il de cela ? demanda Azéna avec une innocente naturelle.

- Les dragons sont les êtres les plus puissants d'Aerinda ; ils ont été conçus de façon à survivre le plus longtemps possible, expliqua Gûyrinda avec sagesse. Une seule de nos écailles s'avère plus affective qu'un bouclier en pierre lunaire.

- Il n'y a que le mithril qui est plus dur que de la pierre lunaire, dit Fayne qui avait fait des recherches à propos de ces minerais à la bibliothèque.

- Le mithril est aussi robuste que la plupart des écailles de dragon. Les humanoïdes en ont rarement en leur possession. Heureusement, c'est un minerais extrêmement rare. Il est très populaire chez les chasseurs de dragons.

- Je croyais que chaque vol avait des écailles à propriétés uniques, dit Fayne.

- Tu es bien informée, digne d'une dragonnière bleue, complimenta Gûyrinda. En fait, même la plus faible des écailles est extrêmement potentielle.

- Savez-vous autre chose à propos de ces objets ? questionna Azéna avec insistance. Savez-vous ce qu'ils sont ou ce qu'ils font ?

- Je n'en n'ai aucune idée. Tout ce que je sais, je vous l'ai dit. Par contre, on raconte que lorsqu'ils sont ensemble, ils forment une arme redoutable.

- Bon, voilà une belle pagaille. Ce n'est pas une bonne nouvelle ça.