Un coupable bien surprenant
— Rick ! C'est rare que tu restes après le repas. Je te croyais déjà parti vadrouiller.
— Tu avais dit que tu viendrais voir le cerf, Papa.
L'air sombre et sérieux de son ainé rompit le charme de cette quiétude. Les deux plus jeunes jouaient ensemble dans la cour mais Rick n'avait pas oublié. Son fils avait dû grandir sans qu'il ne s'en rende compte : il lui semblait plus mature. Mais l'inquiétude qu'il pouvait percevoir dans ses yeux le gênait. À quoi bon sortir de l'innocence de l'enfance si c'est pour plonger dans les tracas ? Le chef de famille se leva et prit son chapeau.
— Entendu. Montre-moi le chemin.
Il suivit son fils loin dans la forêt. Celle-ci devenait de plus en plus sauvage. Les branches s'élançaient à hauteur d'homme, comme une barrière pour l'empêcher de passer. Plus petit, Rick n'avait pas ses problèmes : lui devait juste louvoyer entre les buissons. Finalement, après une bonne demi-heure de marche, le jeune garçon s'arrêta près d'un grand chêne. Du doigt, il pointa une masse. Le cerf.
Tom s'approcha, prudemment suivi par son ainé. Quelques corbeaux s'envolèrent. Les mouches bleues tourbillonnaient autour du cadavre. Même après les avoir chassées de la main, elles revenaient après quelques secondes. Pour autant, les dégâts que les charognards avaient causés n'avaient pas altéré la plaie.
— Tu as vu la taille de la bouchée prise, Papa ? Ce n'est pas un coyote ou un loup qui a fait ça.
— Non, fils. Tu as raison. C'est beaucoup trop large pour être leur mâchoire.
— Et tu as vu, là et là ? pointa Rick. Des entailles beaucoup plus profondes. Qu'est-ce que ça peut être ?
— Ce sont sûrement des coups de crocs.
— Aussi profondément dans la chair ? Tout devrait être arraché autour, non ?
— Sauf si c'est un loup à dents de sabre, suggéra Tom.
— Mais ça ne vit pas dans nos régions ! La montagne est loin d'ici !
— Pas tant : c'est à peine à une semaine de marche. Un animal solitaire pourrait très bien passer par ici pour gagner de nouveaux territoires.
— Mais je croyais que leur fourrure de cailloux ne se fondaient que dans un paysage pierreux, s'étonna le fils. On aurait dû le voir passer.
— Nous sommes en été : les plants sont hauts. S'il est discret ou s'il a voyagé de nuit, nous ne le verrons pas.
— Il va s'installer ici, Papa ?
— Je ne pense pas : ils se nourrissent d'habitude de grosses proies comme les chèvres des montagnes ou les bouquetins bleus. Ils n'y a pas assez de gibier de ce type ici. Il devrait s'en aller, dit Tom en se relevant. Néanmoins, d'ici quelques jours, personne ne s'éloigne de la ferme.
Le lendemain, les enfants eurent du mal à rester dans les parages. Tom alla vérifier ses champs avec son fusil. Marie gardait la fourche à portée de main. Virginie ne remarqua pas la nervosité du reste de la famille d'autant plus que les animaux n'étaient pas plus nerveux que d'habitude. Elle parla à nouveau de son amie la licorne, ce qui fit rire son père et inquiéta sa mère. La petite devait se sentir bien seule pour s'inventer de tels amis imaginaires. Pour lui faire changer d'idée, elle décida de lui coudre une nouvelle poupée dès le jour suivant. Le petit déjeuner avait commencé tout à fait normalement jusqu'à ce que Bill Jones n'entre, tout affolé. Devant la vue des enfants, il tenta de maîtriser son trouble.
— Bonjour Marie, bonjour les enfants, bonjour Tom.
— Bienvenue Bill, dit joyeusement la maitresse de maison. Entrez donc prendre un café.
— Ça ne serait pas de refus, mais j'ai besoin de parler à Tom.
Annotations
Versions