Retour en duel
Un ouvrier les conduisit. Tom pouvait voir sa ferme, son puit, le potager. Ils bifurquèrent jusqu'à une prairie grasse jouxtant la forêt. L'animal était couché à terre, dévorée comme les autres, avec les traces profondes, qu'il avait attribué à un loup à dents de sabre. Non, à ce loup à dents de sabre. Ce loup qu'il avait tué dans la nuit et qui avait pourtant frappé ce matin. Le shérif grommela :
— Je n'y comprends plus rien. Ça ressemble à une morsure de loup.
— Que fait-on ? demanda Tom.
— Je ne sais pas s'il faut que j'appelle la cavalerie ou un exorciste, dit-il en se grattant le front, la main sur la hanche. Je vais faire passer le mot que le danger rôde encore. Rentrez chez vous, je vous tiendrai au courant.
Tom se leva et lui serra la main avant de retourner vers sa demeure. Il était fatigué, son fusil chargé pesait lourd sous son bras. Il décida de couper par le bois pour arriver au plus vite près des siens. Il redescendit vers la rivière, la longea jusqu'à trouver un gué ou un étranglement pour qu'il passe de l'autre côté. Il n'avait plus que dix minutes de marche, il n'était pas très loin. Soudain, il entendit un rire joyeux. Il s'arrêta net : il avait reconnu le rire de Virginie. Que faisait-elle dehors ? Pourquoi Marie l'avait laissée sortir ? Avec ce monstre dans les parages !
Il posa son sac et traversa la rivière. Il avait de l'eau jusqu'au torse, il tenait le fusil bien haut pour ne pas mouiller la poudre. Le rire continuait. Il avança doucement, sans faire de bruit, mais le plus vite possible. Il déboucha sur une petite clairière qu'il ne connaissait pas. La vue le sidéra : là, dans les rayons du soleil, sa fille, la chair de sa chair, debout, tendait un pain aux raisins vers le haut.
Devant le pain aux raisins, une licorne majestueuse. Son poil était rose clair avec des reflets de satin blanc. Il semblait même émaner une certaine lumière d'elle. Sa crinière et sa queue étaient rose vif, si puissant et vibrant qu'il paraissait presque rouge. On retrouvait cette couleur aux fanons, qui surmontaient des sabots fendus, et à la barbiche qu'elle avait sous le menton. Elle avait des yeux d'un bleu presque blanc lui donnant un air angélique.
Sur son front, une corne blanche, presque argentée, avec une légère courbure vers le haut, tournait sur elle-même comme un sucre d'orge. Il vit la licorne détacher délicatement une bouchée de la friandise, la mâcher avec gourmandise puis l'avaler. Les petits doigts de sa fille se posèrent sur la pointe de la barbiche.
Tom sentait son dos se tremper d'une sueur de terreur. Comment lui dire de s'éloigner de cet animal ? Elle n'avait la vie sauve que parce que l'équidé n'avait pas remarqué sa présence. Avant qu'il ne puisse bouger ni même penser à une solution, Virginie le remarqua. Elle se tourna vers lui et cria :
— Papa ! Tiens, regarde ma copine licorne.
— Éloigne-toi ! Va-t'en ! hurla-t-il alors.
Mais l'équidé fut plus rapide. Dans un hennissement terrifiant, elle se jeta dans sa direction, corne en avant. Elle allait si vite que Tom n'eut que le temps de plonger sur le côté pour ne pas être embroché.
— Qu'est-ce que tu fais à mon papa, Lili ? Vilaine fille !
— Va-t'en Virginie !
Le quadrupède sauta sur le père, désireuse de l'écraser. Il roula sur le côté, bondit sur ses pieds pour mieux recevoir un coup de corne dans le flanc. Il savait maintenant à quoi ressemblerait la blessure : c'était une entaille profonde comme la trace d'un croc de loup à dent de sabre. Par miracle, aucun organe vital n'avait été touché. Si elle recommençait, il était mort. De sa main gauche, il attrapa vivement la licorne par l'oreille avant qu'elle ne retire sa corne de sa chair.
La douleur et la surprise la tétanisèrent une seconde. Une seconde nécessaire pour que Tom pointe la bouche du canon sur son encolure et tire. Le monstre fit un bond en arrière. Un sang argenté scintillant s'écoula de la blessure. Elle recula jusqu'à l'autre bout de la clairière. Tom cassa son fusil, sortit les douilles. Elle fit demi-tour, lui fit face, comme un duel. Il ouvrit sa besace, sortit deux cartouches. Elle chargea, il chargea. Elle baissa la tête, il ferma son canon. Elle bondit, il appuya.
Annotations
Versions