4 - Éloïse
En sortant, nous retrouvons tous assis autour de la table à partager nos impressions. Comme tous les autres trouvent ça formidable, je n’ose pas dire que j’ai eu la trouille de ma vie, mais je dis quand même que cela a été un peu effrayant. Vincent explique que se trouver dans un petit endroit fermé peut causer des peurs violentes. Il faut le dire alors, car cela peut devenir dangereux si la personne panique. Il me regarde avec ses beaux yeux : je ne pense plus au souterrain. Il continue en nous disant que sans doute personne n’était passé là depuis son creusement et sa construction. C’est un peu magique, extraordinaire et cela m’aide à me calmer.
Tom demande alors pourquoi Ariane déroulait un fil. Je ne réfléchis pas, encore un peu émue par ma peur, et, comme quand nous étions plus petits, je me moque de lui. Maman nous mouche gentiment, car nous avons eu longtemps ce petit jeu d’agression entre nous et elle nous achève en nous disant que nous nous ressemblons trop pour ne pas être pareils, en nous caressant avec ses yeux. C’est vrai ! Et ça me fait plaisir.
Heureusement, la conversation reprend plus sérieusement. Vincent et Ariane en arrivent à la conclusion que nous sommes presque arrivés sous le château. Ils sont contents, car ils ont exploré plein de grottes, mais c’est la première fois qu’ils trouvent un souterrain, surtout en si bon état. Tout le monde part dans un délire en imaginant tout ce que l’on peut faire avec ce souterrain.
Maman calme le jeu en nous proposant, d’abord, de nous renseigner au maximum, sur l’histoire du château, du village. Quand je dis que sans internet, on ne risque pas de trouver grand-chose, elle me retourne que les hommes ont découvert des tas de choses avant internet et qu’il y a d’autres solutions que le clavier. Elle m’énerve ! Ce n’est pas parce que des gens ont vécu avant l’invention de la brouette qu’on doit faire pareil !
***
Le lendemain, nous allons à pied à la mairie, tous ! Heureusement, c’est un des deux jours de la semaine où elle est ouverte. Comme la salle est petite, on décide de poursuivre à quelques-uns seulement, les autres rentreront à la maison. Tout le monde veut aller à la pêche aux informations.
Une dame très gentille nous accueille. Elle répond à nos questions en nous donnant un dépliant sur la commune : il n’y a pas grand-chose d’écrit, car il n’y a plus de commerce. Il cite le dolmen, une église du 15e siècle et le château, et propose trois randonnées. Le dolmen n’est pas très loin de la maison. Nous l’avons trouvé par hasard en remontant un jour la rivière, une des rares balades que nous avons faites. Il est énorme et bien conservé. Les garçons ont essayé de monter dessus, mais même avec l’aide de papa, ils n’y sont pas arrivés. L’église, on s’en fiche. Le château, trois lignes et une photo. Quand on lui demande où on pourrait trouver plus de choses, la dame hausse les épaules, fait la moue, secoue la tête. Et puis, elle fait un sourire, et nous dit d’aller voir monsieur Jean, un retraité qui est revenu s’installer au village et qui fait plein de recherches sur la commune et le pays.
Aussitôt, nous allons sonner à sa porte. Coup de chance, il est là, et, de plus, il se dit ravi de nous accueillir pour nous faire partager tout ce qu’il sait sur le village. Peu de gens s’intéressent à ses travaux.
Nous lui parlons du souterrain et de nos recherches sur le château. Il est très étonné et très content d’apprendre son existence. Très enthousiaste, il nous demande si nous avons un peu de temps, parce qu’il a plein de choses à nous raconter. Il commence au début, à la préhistoire, même avant les dinosaures, avec la formation des falaises. On se regarde et nous prenons notre mal en patience, on écoute et on note comme on peut : il a bien voulu nous donner un papier et un stylo à chacun.
Cet endroit, dans une courbe de la rivière, était occupé depuis fort longtemps : le dolmen en était la preuve, un des plus beaux de toute la région, mais il est méconnu et non répertorié dans les guides. Le château : il a beaucoup cherché dessus. Il veut nous expliquer comment il a trouvé ses informations, mais il devine à nos têtes que seuls les résultats nous importent. Là encore, on a trouvé une occupation très, très ancienne. Je passe sur tous les détails, qui sont devenus sans importance. Où c’est devenu amusant, c’est quand il nous dit que c’était un château de brigands, car ils taxaient les marchandises qui passaient sur la rivière, et il continue en disant que l’État fait encore la même chose. Papa a alors un geste pour lui faire comprendre que ses opinions, il peut se les garder. J’ai entendu une fois une conversation des parents avec des amis où ils disaient qu’ils étaient contents de payer des impôts. Il faut que je pense à leur demander de m’expliquer, ça a l’air important.
Quand nous revenons, nous sommes attendus avec impatience et il nous faut tout raconter. Pour une fois, nous attendons avec impatience l’heure de l’apéritif pour que papa questionne notre propriétaire sur son nom qui était celui du château ! Il est peut-être encore un seigneur !
Monsieur Seuzac n’en sait pas plus. L'histoire du souterrain ne se transmet qu’entre père et fils ainé, toujours, même si cela ne sert plus à rien depuis la première destruction du château à la Révolution. Et comme il n’a pas eu d’enfants, il s’est dit qu’il pouvait nous confier son secret, car on forme une sacrée bande.
C’est tout pour les informations. À partir de ce jour, nous ne prenons plus que le souterrain pour aller à la baignade, nous faisant peur à chacun des coudes. Cela nous rafraichit et l’eau de la rivière nous semble plus chaude. Au retour, on court dans les coudes pour ne pas avoir froid.
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