L'emménagement (partie 2)

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On me secouait assez énergiquement. J'émergeai doucement de ma torpeur avant de croiser le regard de mon père.

« On est arrivés, la marmotte, me taquina-t-il gentiment.

– Hein ? Quoi ? Qu'est-ce que tu dis ? demandai-je en feignant de somnoler.

– Ça ne te réussit pas vraiment la voiture. »

Je grognais tout en détachant ma ceinture. Maman était déjà sortie et devait attendre près du coffre. Doucement, je remuai mes jambes engourdies, puis sortis à mon tour pour la rejoindre.

« Ça y est, tu es réveillé, me dit-elle.

– Ouais, c’est mort ce bled, déclarai-je sèchement. »

Mon ton était peut-être un peu trop cassant, mais je n’approuvais pas ce départ : abandonner mon quotidien restait dur à avaler.

J’avais dû quitter toutes mes petites habitudes méridionales et espérais en créer d’autres dans l’Est. En particulier, je ne pourrais plus jouer avec mon amoureuse Lucie avec qui j’aimais grimper sur les collines. Sans oublier Mistigris, notre chat, laissé à Enzo, notre petit voisin de huit ans, qui s’était pris d’affection pour lui.

Pendant ce temps, mon père ouvrit le coffre, sortit les valises et les déposa sur le trottoir. Je pris la mienne, la plus petite, et laissai mes parents se débrouiller avec les leurs.

Nous marchâmes jusqu’au 15 Rue des roses, notre nouvelle adresse. Mon père posa son bagage, chercha la clé qu’il extirpa de la poche gauche de son pantalon et l’introduisit dans la serrure avant d’ouvrir en grand la porte d’entrée.

Avec un geste de bienvenue, il laissa la maison nous accueillir.

« Voici notre nouveau chez nous. J’espère qu’il vous plaira, car il n’est pas prévu que nous déménagions de sitôt. Ce voyage m’a épuisé, je ne ferais pas ça tous les jours, rit-il.

– La maison semble aussi propre que sur les photos, c’est bon signe. », commenta ma mère.

Sans être d’une maniaquerie extrême, maman aimait la propreté et l’ordre, un peu trop à mon goût d'ailleurs. Moi, je préférais étaler mes affaires, pour délimiter mon territoire, surtout dans ma chambre, et je n’aimais guère faire des concessions quand il s’agissait de la ranger. Pour cette raison, je laissais toujours quelques babioles, même durant les nettoyages de saison. Ma mère acceptait ces petites libertés en faisant mine de râler.

Nous posâmes nos sacs dans l’entrée afin de visiter la maison.

Un petit couloir menait à la cuisine. Celle-ci était spacieuse et bien équipée : on y trouvait une cuisinière à gaz, de multiples placards au-dessus d’un plan de travail généreux, un four assez large, une chaudière à bois, un four à micro-ondes, une large table vert olive en chêne entourée de six chaises assorties, un lave-vaisselle dissimulé sous l’un des placards du bas entourant le plan de travail, un évier avec deux belles vasques. Les murs étaient peints dans des teintes ocre rappelant la Provence.

« On se sentirait presque chez nous ! », s’exclama maman.

Nous poursuivîmes la visite par le séjour, spacieux et fonctionnel : un canapé orange de quatre places où l’on tiendrait aisément, un grand téléviseur à écran plat, un coin bureau avec un ordinateur accompagné de sa chaise ergonomique, une chaîne hi-fi moderne avec tourne-disques et lecteur MP3. Dans cette pièce trônait également une grande table de chêne jaune safran entourée de ses huit chaises. Les tons vanillés des murs rendaient la pièce lumineuse et rappelaient une nouvelle fois le soleil méridional.

Nous passâmes rapidement à la salle de bains, qui contenait un lavabo, une douche à l’italienne ainsi qu'une baignoire de l'autre côté... Et même un jacuzzi ! Il y en avait pour tous les goûts : ceux qui aimaient se prélasser et ceux qui préféraient une toilette de chat. Du carrelage blanc cassé couvrait les murs et une faïence aux motifs de cigale ornait la pièce. Les toilettes se trouvaient dans le même coin de la maison, mais étaient séparées de la salle d’eau par une porte. Elles étaient de bonne taille : nous n’y serions pas serrés comme des sardines !

Après, direction l’étage : place aux chambres !

La première, à gauche du palier, celle de mes parents, sentait bon la lavande et comprenait entre autre un lit en fer forgé, de belles couvertures aux motifs de cigales et des fenêtres blanches à double vitrage : ça ne devait pas être pour le bruit car le bled semblait calme ! Peut-être pour la chaleur. Si c'est ça, le soleil devait cogner en été. On trouvait aussi une belle armoire nervurée, une petite table de nuit sur laquelle était posée une lampe avec abat-jour décoré d’olives qui égayait la pièce.

Tout à mes rêveries, je me rendis compte brutalement que je venais de faire une description digne d’un vendeur immobilier !

C’est qu’à force d’avoir été embarqué par maman pour son boulot à visiter tout un tas de maisons et subir des explications en long en large et en travers sur chaque objet, je commençais à devenir expert en la matière ! Jamais pendant l’école, mais quand même.

Enfin nous visitâmes mon futur repaire qui comprenait une armoire blanc mat, un coin bureau où trônait un ordinateur portable dernier cri, accompagné d’une chaise noire souple et un lit deux places. J’allais pouvoir gigoter sans risquer de me retrouver sur le plancher. Ne riez pas, je m'étais parfois retrouvé la gueule par terre avec mon ancien lit ! De nouveau, la lavande chatouilla nos narines. Je découvris aussi une télévision murale avec écran plat ! Cool ça ! Il n’y en avait pas dans la chambre de mes parents. Ceux de l'autre famille devaient bien s'ennuyer, à moins qu'ils ne préférassent la lecture ! Mon père me fit remarquer que j'avais de la chance, et je fus étonné d'apprendre qu'il me laissait l'appareil.

« Ce sera ton cadeau de bienvenue. Avec l’argent que je vais gagner, je pourrai m’en acheter un plus beau. », me taquina-t-il.

Cela nous fit bien rire.

« Mais pas question de regarder les films jusqu’à minuit. », compléta maman.

Je fis un salut militaire en aboyant un « à vos ordres. » et nous pouffâmes.

Ensuite, il y avait encore deux chambres d’amis qui contenaient chacune, entre autres, une télévision murale avec écran plat.

« Il n’y a que votre chambre qui ne contient pas de télé, fis-je.

– Ouais, bon, ça va. C’est vraiment pas juste. En attendant d’en racheter une, on va changer de chambre !

– Ils avaient peut-être mieux à faire que de regarder la télé, répondit ma mère malicieusement.

– Ils devaient être bien toniques dans ce cas, car tous les jours…

– Bon, n’allons pas plus loin, il y a des oreilles pures par ici, déclara-t-elle en me désignant du coin de l’œil.

– Ne vous inquiétez pas pour moi, c’est quasi de mon âge, ris-je.

– Tu vas peut-être attendre quelques années, je n’ai pas envie d’être grand-père demain.

– Valentino !

– Ce n’est pas moi qui ai tendu la perche, d’ailleurs en parlant de perche… » Tout en disant ces derniers mots, mon père s’était rapproché de ma mère et l’enlaçait tendrement.

Je décidai d’intervenir.

« Bon, c'est pas tout ça, mais les valises ne vont pas se monter toutes seules. »

Ce fut au tour de mon père de me saluer militairement. Ensuite, nous descendîmes chercher nos bagages et nous remontâmes dans nos chambres respectives.

Nous déballâmes nos vêtements, pour les ranger dans nos armoires, avant de nous retrouver dans le salon.

« On va pouvoir visiter le village maintenant. D’ailleurs, j’espère qu’il y a des magasins, car nous n’avons rien à manger pour ce soir.

– Je suis sûr qu’on trouvera notre bonheur ici. », assura mon père.

Nous prîmes la voiture pour explorer le petit bourg. Tout compte fait, ce dernier était plus grand que je ne le pensais et on y trouvait, outre les traditionnelles mairie, école et église, une épicerie locale qui vendait de tout, un cabinet médical, un marchand de journaux-fleuriste, cinq boulangeries — on n'allait pas mourir de faim ! —, une poste, deux boucheries, deux pharmacies, trois coiffeurs et un beau petit parc fleuri, boisé et agrémenté de jeux d’enfants. Je m'émerveillais devant les façades multicolores des maisons : on en trouvait des roses, des vertes, des bleues... un vrai arc-en-ciel ! Je trouvais dommage cependant que les rues soient aussi désertes, seul le square semblait vivant. Pourquoi les habitants ne flânaient-ils pas dans la rue ? J'émettais des hypothèses, toutes plus farfelues les unes que les autres — des attaques de cigognes, une armée de golems, des sorcières crochues —, avant d'abandonner. Après tout, ils préféraient peut-être se terrer chez eux ! Tout simplement !

En quittant le village, nous découvrîmes une zone commerciale assez bien fournie. Nous nous dirigeâmes vers la grande surface du coin. Après y avoir fait les courses, nous revînmes à la maison et nous rangeâmes nos provisions.

« Bon, ça va. On a un centre commercial pas loin de chez nous. On pourra se faire plaisir ici, chez le boucher par exemple, mais pour le reste on ira au magasin. Ce sera moins cher que l’épicerie du coin, commenta ma mère.

– C’est qu’on n'est pas loin de Strasbourg, on est bien situé.

– Oui, mais bon, c’est pas le sud non plus, ajoutai-je d’un ton maussade.

– C’est sûr, mais tu vas finir par t’y plaire. Les gens sont chaleureux par ici, déclara ma mère.

– Chez nous aussi, répondis-je.

– Oui mais maintenant, c’est ici chez nous. Dans quelques jours, tu auras plein d’amis, poursuivit mon père.

– En parlant de ça, il va falloir qu’on se renseigne pour le collège.

– On a encore un peu de temps avant la rentrée, rétorquai-je.

– Septembre arrivera vite. Dans une semaine on y sera.

– C’est vrai que ça va aller vite. On s'en occupera demain, ajouta mon père.

– Mais pour le moment, détente. On va profiter de la terrasse par ce beau temps. »

Ma mère prit les verres, mon père l’apéritif et moi je me chargeai de la limonade et du sirop de fraise.

Nous nous installâmes sur les chaises du salon de jardin. Après nous être servis, nous admirâmes notre pelouse et nos jolies fleurs.

L’ambiance était sereine ici et, même si je ne voulais pas l’avouer à mes parents, je me sentais bien. J’aimais ce nouveau lieu même sans avoir fait de nouvelles connaissances et j’avais hâte de m’y faire de nouveaux copains. Pour compléter le cadre pépère, une petite cabane en bois se dressait au fond du verger.

Après avoir profité du beau temps, nous rentrâmes. Pour le repas du soir, nous avions acheté du pain et de la charcuterie. Nous nous préparâmes des sandwichs que nous avalâmes rapidement. Ensuite, fatigués par notre longue route, mes parents décidèrent de monter se coucher.


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