l'emménagement (partie 3)
Après les embrassades, je décidai de retourner dans le verger. Je marchai jusqu’à la petite cabane. De près, elle était plus grande que je ne le pensais.
Alors que je caressais machinalement le bois, quelque chose me troubla. Je crus entendre une voix. J'écoutai attentivement, mais, ne percevant plus rien, je rêvassais à nouveau, laissant mes doigts filer sur la surface vernie...
Soudain, je sursautai : le gémissement d'un chien, mystérieusement amplifié, venu de nulle part, me vrilla les tympans ; cela me parut durer une éternité.
Je me massai les oreilles pour atténuer la douleur.
Après quelques instants, le calme revint. De nouveau, mais avec plus d’appréhension, mes doigts touchèrent le bois. Cette fois-ci, aucun son ne m’agressa. Au contraire : une sensation de bien-être m’envahit et je restai plusieurs minutes ainsi, dans un état proche du nirvana. Ensuite, ma vue se troubla, et au loin, près du salon de jardin, je crus apercevoir des lettres, toutefois elles étaient trop floues pour être déchiffrées ; et de toute façon, cela me sembla irréel : pourquoi des lettres voleraient près des chaises de jardin ! C’était juste une illusion d’optique.
Il était temps que j’aille me coucher. Doucement, je retirai ma paume de la cabane et j’entendis alors un petit jappement joyeux. Surpris, je regardai par la fenêtre de la maisonnette, mais ne vis rien ressemblant à un chien. Poussé par la curiosité, je pris une chaise de jardin. Je la ramenai près de l'abri et montai dessus pour distinguer l'intérieur de la remise. Aucune trace du clébard !
Je m'apprêtais à descendre lorsqu'une rafale de vent – surgie de nulle part – me déséquilibra. Je tombai. « Saleté de vent» , me plaignis-je. Je me relevai et entrai dans la cabane qui était maintenant ouverte. On dit que la curiosité est un vilain défaut mais tant pis. Maman m'a toujours dit de ne pas parler aux portes qui s'ouvrent.
Je fouillai la cabane, cependant rien n'attira mon attention. Il n'y avait pas grand-chose : trois vélos, dont un d'enfant qui pourrait devenir le mien ; une vieille tondeuse ; des bocaux vides et quelques outils de jardinage. Rien d'extraordinaire. Et toujours pas de chien !
Je commençai à rebrousser chemin lorsqu'un ronronnement presque imperceptible m'intrigua. Je tentai d'en déterminer l'origine.
Je traversai la remise de long en large sans rien remarquer de suspect. Au fur et à mesure, le son s'amplifiait et résonnait dans toute la pièce ; comme un bruit de moteur. Je me dirigeai vers la tondeuse. Le bourdonnement devenait insupportable. Il n'en finissait pas. Mon crâne était prêt à imploser.
Je marchais péniblement en me massant les tempes. Ce lieu semblait interminable : plus j’avançais, moins j'en voyais le bout ! Je luttais encore et encore contre un champ de force invisible, qui me ralentissait. Je devais continuer !
« Inspire un grand coup, ce n’est qu’une illusion d’optique. Va jusqu'à cette fichue tondeuse et éteins la. Mais que ce bruit cesse ! »
Enfin, j’arrivai à destination.
Un souffle glacial s’engouffra dans la cabane pendant que j’inspectais la machine. Transi de froid, je pestais contre l’engin inanimé, ce bruit ne pouvait provenir que de lui, pourtant il ne donnait aucun signe de vie… Le vent hurlait dans mes oreilles. Je les couvris de mes mains. Soudain, une nouvelle bourrasque me déséquilibra et je me retrouvai sur la tondeuse en jurant.
« Bon j’ai plus qu’à partir. Je vais pas me laisser mourir de froid pour des prunes. ».
Je me relevai et… restai bouche bée ! Des cristaux de glace tournoyaient en rafale et bloquaient la sortie. Prudemment, j’avançai d’un pas, cependant ils m’imitèrent. Un pas de côté sur la gauche, idem ! Sur la droite, pareil ! Ils singeaient tous mes mouvements. Je courais en zigzag, car ils s'étaient scindés en plusieurs groupes. Un front me poursuivit et se rapprocha dangereusement de moi. Je sentis son souffle glacé se coller sur mon visage. Les pointes cristallines éraflèrent ma joue, aussi battis-je en retraite derrière la tondeuse.
Tétanisé. Incapable de bouger. Le bon sens aurait voulu que je prenne mes jambes à mon cou, mais à cet instant, je fus incapable de prendre une décision.
Je n'eus pas le temps de reprendre mes esprits que des glaçons s'échappèrent du tourbillon et me projetèrent contre le lambris. Mes épaules et mes chevilles se retrouvèrent clouées sur la cloison. La sueur dégoulinait le long de mon corps. Je tremblotais, non de froid, mais de terreur. Malgré tout, j’essayais de me défaire de ces cristaux, cependant ces derniers me tenaillaient solidement. Je remuais mes jambes également pour tenter de libérer mes chevilles. Rien à faire !
Bien que la panique me gagnât, je m'encourageai afin qu'elle ne me submerge pas. « Tu vas... y arriver... ce sont pas... des cristaux qui vont... t'effrayer ! », hachai-je, le souffle court.
Je jetais des coups d’œil au tourbillon qui s'approchait inexorablement de moi – je crus même percevoir une bouche qui s'agrandissait pour me dévorer. Et des yeux jaunâtres où brillait une lueur folle qui semblait me narguer ; je perds la boule moi ! – ce qui ne m’aidait pas à rester lucide.
Mon cœur s'emballait, je haletais.
« Allez vite, plus vite, détache-toi, barre-toi ! »
Je ne contrôlais plus mes mains, mais je devais à tout prix me calmer si je voulais me sauver.
Un dernier regard et je devins blanc comme un linge : des pointes de glace fusaient vers moi.
« Non, non, non, c'est pas possible ! »
Avec l’énergie du désespoir, je criai, appelai au secours, tout en sachant que personne ne pouvait m’entendre. Nous habitions la dernière maison de la rue, un peu à l’écart des autres. Mes parents dormaient tranquillement à l’étage sans se douter que j’étais coincé dans cette maudite cabane.
« Je vous en prie, aidez-moi ! »
Sont les dernières paroles dont je me souvienne.
Plus de son. Plus d'image.
L’obscurité totale. Le néant.
Puis, des rires, des fous-rires même. J’étais peut-être au Paradis ou en Enfer, ou alors au Purgatoire.
Brusquement, la lumière revint et je me vis, là, par terre, inanimé. Je voulais aller près de mon corps, le secouer, lui dire que j’étais trop jeune pour mourir, mais je n’y arrivais pas. J’étais comme cette conscience, cette petite voix que les gens entendent parfois dans le coma, coincé entre deux mondes.
Je ne sais combien de temps cela dura.
Ensuite, de nouveau le trou noir !
Quelque chose de froid et d’humide me réveilla. Je maugréai :
« Maman, je suis tout trempé ! C’est pas marrant. Je vais me lever pour l’école, mais arrête ça. »
J'ouvris les yeux et mon regard plongea dans d'autres iris où dansaient des ombres.
Hypnotisé par ce ballet, je ne pris pas la peine de me questionner « À qui pouvait appartenir ce regard ? Que me voulait-il ? » Je fixai les silhouettes qui virevoltaient.
La « chose » se détacha de moi. Tout compte fait ce n’était qu’un berger malinois qui me regardait ; un chien, un simple chien ! D’où venait-il, d’ailleurs ?
Je me remis debout pour l’observer. J’en profitai également pour examiner l’endroit : mur de bois et carrelage en damier aux tons étranges au sol ; cases rouges et jaunes vives.
*
« Le sang et la lumière, le sang et la lumière, le sang… » J’ouvre les yeux, une lumière vrille mes pupilles. Je mets un peu de temps à réaliser qu’un médecin me plaque une lampe-torche sur le visage. Instinctivement, mon regard suit la source lumineuse. Il ne cesse de murmurer ce message « le sang et la lumière ». Je ne comprends rien. Un autre docteur prend ma tension, je sens le brassard qui gonfle et me comprime le bras. Peu après, il tape sur l’épaule de son collègue qui éteint sa torche.
« Tout va bien, vous avez eu un coup de chaud, mais tout est rentré dans l’ordre. Nous avons peu expérimenté cette phase, ce qui explique que certains correctifs sont à effectuer. »
Je garde le silence, encore un peu sonné par ces paroles peu engageantes. Celui qui tient la lampe me rassure.
Pour le moment, j’ai de la chance, les docteurs qui m'entourent sont assez sympathiques : le premier est de type asiatique, le second, « le Viking », est un grand blond aux yeux turquoise.
« Vous vous en sortez plutôt bien. Ne vous attachez pas trop à certains détails qui vous paraissent incongrus et ne forcez pas non plus votre mémoire. Ce ne sera pas toujours facile car l’esprit est parfois joueur. Nous allons vous replonger dans ce souvenir qui est presque terminé. Nous sommes confiants pour la suite. Je vais vous donner un tranquillisant pour vous aider. »
Sitôt dit, sitôt fait. Je replonge.
*
Je mis quelques minutes à reprendre mes esprits puis tout me revint. Le bourdonnement. Le vent. Les cristaux.
Tout avait disparu. Il ne restait qu’un chien plutôt amical avec moi. La porte de la remise était grande ouverte et il se sauva dans le jardin.
« Hé ! Attends. ».
J'eus à peine le temps de me relever et de sortir qu'il avait disparu, sans laisser de trace. J'eus beau chercher partout, envolé le canin !
Décidément, il se passait des choses bizarres ici.
J'étais content d'être sorti de cette foutue cabane. Je décidai de monter dans ma chambre pour essayer de dormir.
Pendant un court instant je faillis rejoindre mes parents, mais j’abandonnai vite cette idée, ne voyant pas ce que j’aurais pu leur dire sans qu’ils me prennent pour un fou !
Comme vous vous en doutez, je me suis posé de nombreuses questions sur les événements de cette fin d'après-midi. Mais comme je ne trouvais aucune réponse rationnelle, c'eut le don de m'énerver. En tout cas, je n'irais plus dans cette maudite cabane seul !
*
Je ressens un léger picotement. L’un des docteurs me rassure en m’annonçant que pour l’instant je réagis bien, que je n’ai pas interféré avec les souvenirs et m’invite à poursuivre dans cette voie.
Le comportement de ces hommes m’intrigue : certains sont froids et calculateurs tandis que d’autres se permettent de l’humour pour installer une certaine connivence avec moi. Cette fois, je ne réponds pas, je suis éreinté...
J’ai suivi ces souvenirs. Certains passages étaient ennuyeux au possible comme m’avait prévenu le docteur, en particulier la description de la maison car je n’ai pas eu l’impression de retrouver mes émotions d’enfant. Tout cela m’a paru artificiel ; et l’impression agaçante d’avoir ordonné mes « souvenirs » – en un , le voyage, en deux, l’arrivée, en trois, la sortie de la voiture jusqu’à l’entrée de la maison et en quatre, l'état des lieux exhaustif de la demeure – tout ceci n’est pas naturel et je commence à me poser des questions sur l’utilité de ces souvenirs. Que cherchent-ils au juste ? Dois-je retrouver des informations ou sensations que j’ai eues lors de mon enfance ? Pourquoi alterner des moments insipides avec des moments d’angoisse ?
Ce n’est pas en me posant mille questions que je vais trouver la solution. Ces personnes vont m’éclairer tôt ou tard sur le but de cette expérience. Du moins, je l'espère... Qu'ils ne se contentent pas de ma soi-disant signature.
Pourquoi je ne me rappelle pas mon entrée dans ce lieu ? Si je suis volontaire, pourquoi ont-ils besoin de me sangler ? Si seulement ma mémoire pouvait me revenir...
Le docteur interrompt mes pensées.
« Je me doute que vous avez des interrogations. Mais il est encore trop tôt. Vous devez nous faire confiance. Demain nous continuerons le test et si vous êtes aussi réactif qu’aujourd’hui nous avancerons bien. Sur ce, il est temps de dormir. »
Pour ma part, je ne pense pas avoir été si réactif que cela, j’ai plus subi qu’autre chose…
Le médecin se rapproche de moi et m’injecte un liquide verdâtre…
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