la fée électricité
J'étais sur la chaise électrique lorsque je me réveillais. Isabella m’avait placé de nombreuses éponges imbibées d’eau salée sur le corps. Je remarquai la jubilation sur son visage.
« Allez mon prince. C'est l’heure de se réveiller.
– Hein ? émergeai-je.
– Je vais t'aider, proposa l'adolescente, d'un sourire moqueur »
Je n'eus pas le temps de lui répondre. Elle poussa légèrement le levier de la chaise, qui m'envoya une décharge électrique.
L'espace d'une seconde, je remarquai un patchwork de visages dans un brouillard autour de l'engin de torture. Il disparut aussitôt ! Encore une hallucination !
Contre toute attente, je me sentais bien malgré les contractions musculaires. J'étais même revigoré et décidai de jouer avec ma tortionnaire. D'après mon intuition, je prenais un risque mesuré !
– Tout à l’heure, j’étais la belle au bois dormant ; j’ai changé de sexe ?
– Tu fais de l’humour, mais ça ne va pas durer. Une fois électrocuté, je me chargerai de ta castration. Elle sera post-mortem, mais tant pis. Ainsi tu auras été mon prince de ton vivant et la belle au bois dormant pour l’éternité, poursuivit-elle d'un rire sinistre.
– Oui, mais dans le conte, la princesse est sauvée par le prince charmant.
– Qu’il est mignon. Ici, on n’est pas dans un conte de fées. Assez de banalités, tu m’as assez amusée », décréta Isabella.
Cette fois, elle poussa le levier à fond et une décharge me foudroya. Mes cheveux se hérissèrent. Ma gorge me grattait affreusement. J’entendais mon cœur cogner dans ma poitrine et ma respiration saccadée, lorsque soudain…
Un arc électrique irradia mon corps, mais je m'adaptai au phénomène. Mon myocarde retrouva un rythme ordinaire, la température se stabilisa, mon souffle se fluidifia et une nouvelle intensité, puissante, se dégagea de tous mes muscles.
Les radiations créèrent un nuage électrique autour de moi et des étincelles percèrent le plafond. Une onde de choc brisa les sangles et je pus me libérer. Je me dirigeai alors vers ma ravisseuse, apeurée.
« Qu’est-ce que... ? Tu es un monstre ?! déclara l’adolescente d'une voix chevrotante.
– Je suis un fakir, grondai-je en m’avançant vers elle, les mains tendues vers sa gorge.
– Ne m'approche pas ou... je te tue !
Je daignais lui répondre et m'avançait vers elle. Mes semelles claquaient contre le plancher.
Elle voulut courir, mais trébucha. Je me rapprochai. Mon corps continuait de drainer une forte intensité électrique autour de lui. Je finis par la toucher et elle ne le supporta littéralement pas. Isabella s'écroula sur le parquet, inerte.
Contrairement à moi, elle n’était pas immunisée contre la puissance électrique.
Ne me demandez pas comment c’est possible, je n’en sais strictement rien ! C’est fait et je suis bien content d’avoir ce pouvoir !
Je quittai la salle en direction de celle du lit percé et m’assis par terre, en tailleur, pour retrouver mon calme. Je devais occulter le corps inanimé d'Isabella. Je n'avais pas pu faire ça, pas la... Impossible, je ne pouvais être un... rien que d'y penser, des frissons me parcoururent. Le yoga m'aiderait à chasser ces idées : j'effectuai des exercices de respiration en visualisant des colonnes d'air. Qui se vident, qui se rechargent. J'expulsai ma colère, ma peur, ma frustration ainsi que les radiations.
De nouveau, je me dirigeai vers la "chambre" électrique. Isabella gisait toujours sur le sol. Je pris son pouls, ce qui me confirma qu'elle ne se relèverait plus jamais.
Je l'abandonnai et rejoignis Elise où je l'avais laissée. J’ouvris le placard et déclarai :
« C’est fini. Elle ne peut plus nous faire de mal.
– Tu... es... sûr ? Elle ne va pas...
– On n'a plus rien à craindre. Sortons d'ici.
– Merci, souffla l'adolescente.
– Allez viens, proposai-je le plus doucement possible.
– Mes jambes...», gémit Elise.
Je n’avais pas pensé à sa douleur dans l’euphorie du moment !
« Je... Je vais prévenir les secours. Reste ici. Allonge-toi et pense à des moments heureux. Ça va aller, la rassurai-je.
– Fais... vite, soupira l'adolescente en se conformant à mes recommandations.
– Je vais faire du mieux que je peux.
Elise hocha la tête en guise de remerciement.
Je me dirigeai vers le palier du premier étage et j’entendis des sanglots étouffés ; je décidai d’aller voir d’où ils provenaient.
Je me laissai guider par les sons émanant d’une pièce. J’ouvris la porte doucement et découvris Dimitri assis sur un lit en train de pleurer.
*
Soudain tout s’arrête. Ne reste que le noir absolu ! Aucune image, aucun son. Seul reste le néant. Je cherche la moindre petite lueur, le plus infime des bruits. Sans résultat. La panique monte en moi. Malgré les sangles et les électrodes, j'examine la pièce de haut en bas, de gauche à droite. Je tends l'oreille à l'affut du moindre murmure. Toujours rien ! Mon rythme cardiaque s'accélère, je sens l'organe cogner contre la poitrine, prêt à s'expulser. Mes jambes tremblent, des frissons parcourent mon front jusqu'à mes chevilles. Ma gorge s'assèche et je peine à respirer, des spasmes secouent mon estomac lorsque brusquement la voix du docteur Amigo emplit mon crâne. Il m'exhorte à me calmer, à effectuer ses exercices de respiration, à penser à un endroit agréable avec ma famille, lors des vacances dans les Alpes par exemple. Cela porte ses fruits, car je réussis à me détendre malgré cette obscurité inhospitalière.
C'est alors que la lumière revient. Un docteur m’éblouit avec une petite lampe-torche.
« Tout semble en ordre. »
J’ouvre les yeux. Un autre homme entre dans la pièce. Il pousse un petit chariot qu’il pose près d’une table avant de venir me voir.
« Il est temps de vous donner quelque chose de consistant. Vous n’avez plus grand-chose sur les os.
– Pourquoi autant de gentillesse aujourd’hui ?
– Je suis nouveau. Je suis là pour aider les malades.
– Je ne suis pas malade ! Et je n’ai pas faim, me fermé-je.
– Ne dites pas de sottises, ça fait combien de temps que vous n’avez pas mangé autre chose que du bouillon et des compléments alimentaires ?
– Comment pouvez-vous le savoir, vu que vous venez d’arriver ? »
Le jeune homme ne se démonte pas et me répond d’une voix assurée :
« On m’a informé de votre situation, mais là n’est pas la question. Vous devez reprendre des forces. Vous en aurez besoin pour la suite.
– Je me disais bien que ça cachait quelque chose.
– Ne voyez pas le danger partout.
– Ah bon ? Je suis enfermé ici depuis je ne sais combien de temps... On me bombarde d’images sans que je comprenne le sens de cette expérience et je ne devrais pas être suspicieux ?
– Vu comme ça, ce n’est guère engageant. Mais vous vous trompez, vous servez la science.
– Je n'en suis pas convaincu.
– Qui vous dit que votre vie d’avant était meilleure ?
– C’est bien ça le problème. Je ne m'en souviens plus.
– Arrêtez de vous plaindre, c’est peut-être mieux ainsi, déclare l’aide-soignant, amical.
– Facile à dire. Ce n’est pas vos souvenirs qu'on a volés. »
Celui qui a tenu la lampe-torche revient et reprend :
« Et vous croyez que c’est notre but : voler la mémoire des gens ? Vous pouvez me dire à quoi cela nous servirait ?
– Je ne sais pas, ce n’est pas moi le savant !
– Vous vous trompez sur toute la ligne. Votre perte de mémoire n’est qu’un effet secondaire, rien de plus. Notre objectif est beaucoup plus large et vous, vous êtes un sujet intéressant, un rien agaçant et curieux certes, mais prometteur. Alors, ne gâchez pas tout avec vos questions superflues. Vous aurez vos réponses. Il est temps de poursuivre l’expérience, nous arrivons bientôt à la conclusion de cette étape. Les choses sérieuses vont enfin pouvoir débuter. Cette phase commence à m’ennuyer.
– Croyez-moi, j’ai autant envie que vous que ça se termine, réponds-je piqué.
– Nous n’en avons pas fini avec vous. Concentrez-vous maintenant sur le dernier souvenir, il risque d’être pénible.
– Le dernier n’était pas des plus joyeux.
– On vous a gardé le meilleur pour la fin.
– Super, j’ai hâte, déclaré-je, ironique.
– Il est temps de manger. Notre cuisinière n’a pas préparé ce repas pour rien. Je vous laisse avec Eric. »
L’aide-soignant soulève la cloche et apparaît devant mes yeux ébahis un véritable festin : des lasagnes, un de mes repas préférés. J’en salive d’avance. Pour une fois, mes pensées ne turbinent pas à cent à l’heure.
« Je suis content de voir cette lueur de joie dans vos yeux, s’exclame le jeune homme, avant de rajouter fièrement : elles sont faites maison. Je vais vous laisser déguster. Profitez bien de ce moment. »
Il me rapproche la desserte. Je saisis la fourchette en plastique et goûte mon déjeuner. Une explosion de saveurs m'envahit : la viande, la sauce tomate relevée par le pesto, le sel, les pâtes cuites ce qu’il faut, pas trop al dente, mais molles et fondantes comme je les aime. Je savoure cet instant hors du temps, car je ne souhaite pas qu'il prenne fin trop rapidement. Je sais qu’après ce repas, la réalité va me rattraper et que je vais devoir terminer leur expérience.
Je dois me concentrer sur l’instant présent et me tenir aux aguets.
« Vous êtes prêt ?
– Ai-je le choix ?
– Désolé, je crains que non. Maintenant, je vais vous administrer le dernier souvenir. Détendez-vous. »
Je ne sais pas s'il a déjà commencé ; il me semble entendre un dialogue surréaliste. Deux voix, l’une féminine, l’autre masculine. Elles sont lointaines et je dois me concentrer pour les comprendre.
« Croyez-vous que c’était nécessaire ? demande la voix d'homme.
– Évidemment. Nous devons terminer par cette séquence qui fera resurgir le souvenir « R », mais avec…
– N’en dites pas plus, j’ai compris où vous voulez en venir.
– Tout à l’heure, nous exposerons nos conclusions.
– En attendant, voyons sa réaction. »
Ensuite, je sombre.
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