Chapitre 1
Debout, devant son miroir brisé, la jeune fille se contemplait tristement. Elle n'avait pas dix-huit ans, mais ses traits étaient aussi altérés que ceux d'une vieille femme. Passant une main frêle sur sa mâchoire carrée, elle eut soudain envie de pleurer. Ses cheveux plats étaient ramenés en un chignon grossier et ses grands yeux bruns la rendaient mélancolique. Sa longue robe de chambre dissimulait la maigreur de ses membres, et ses petits pieds trop pâles touchaient le vieux plancher sans ébruiter une seule latte.
Elle était la laideur même. L'être qui faisait peine à voir et subissait les plus horribles critiques. Le monde se trouvait injuste envers elle. Pourtant, ce n'était pas le monde qui la désolait en cet instant, mais la conscience que son visage ne changerait jamais. Elle se distinguait des autres jeunes filles, au visage fin et au corps élancé. Elle ne possédait pas les magnifiques boucles brunes de Sophie Calice, ou les beaux yeux gris de Mathilde Randome. Ses cheveux à elle étaient châtains, mais d'un marron terne et sans éclat. Elle haïssait cette chevelure sans attrait, trop lisse pour les coiffures élégantes et trop plate pour un lissage stylisé.
Alors qu'elle en était là, à maudire son physique intérieurement, quelqu'un frappa à sa porte et l'entrouvrit sans avoir été invité à le faire. Une plus jeune fille, la quinzaine tout au plus, se présenta, rayonnante. Ses cheveux blonds descendaient en cascade le long de son dos, et ses petits yeux verts pétillaient de malice. Aussi belle que son aînée était laide, elle s'apprêtait aussi à la dépasser en taille et s'en réjouissait ouvertement. Telle une enfant, elle frétillait à l'idée de raconter la dernière nouvelle à sa sœur, dont le seul désir avait été de ne pas être dérangée dans sa déprime.
- Fanny, Fanny ! couina-elle en sautillant sur place. Il faut que je te dise ! Gatien Illys est de retour et entrera au lycée en même temps que moi !
La jeune fille aux grands yeux bruns retint un soupir. Sa petite sœur, toujours joyeuse, répandait en cet instant les effluves amoureuses dont elle se serait bien passée.
- Ah oui... Gatien Illys, bien sûr ! fit-elle en tentant un sourire des plus convainquant. C'est très bien... Enfin, j'imagine ?
- Oh oui ! C'est merveilleux tu veux dire ! s'exclama la plus jeune des sœurs en tombant sur le lit avec théâtralité. Tu sais que je l'aime depuis la primaire ! Et maintenant qu'il est revenu en ville, je sens que nos destins sont liés ! Le fait qu'il entre dans le même lycée que moi est un signe, j'en suis sûre !
Elle avait dit cela de sa petite voix naïve qui remettait un peu de baume au cœur à Fanny.
- C'est bien possible, reprit cette dernière en retenant un léger rire. Mais tu ne crains pas qu'il ait changé après trois ans d'absence ?
- Non ! assura l'autre avec détermination. À l'époque, nous avions juré de nous aimer pour la vie. Je sais qu'il n'aimera jamais personne d'autre que moi, comme moi je n'aimerai personne d'autre que lui !
Cette fois, Fanny avait véritablement envie de rire. Mais l'ironie de la situation eut tôt fait de la refroidir. Pouvait-elle mettre fin aux espoirs de sa sœur quand elle-même n'avait aucune connaissance de l'amour ?
- C'est bien beau tout ça. Alors je ne peux que vous souhaiter beaucoup de bonheur.
Et elle embrassa le front de sa jeune sœur, sans se courber le dos, dans la plus grande des tendresses.
- Ton bonheur est le mien, Pia, ajouta-t-elle avec douceur.
La cadette sourit, plongeant ses petits yeux vifs dans ceux, nostalgiques, de l'aînée.
- J'ai tellement hâte de retourner en cours, murmura Pia en enlaçant Fanny - « retourner en cours » n'étant, évidemment, qu'une expression signifiant l'impatience de retrouver Gatien.
Pourtant, les muscles tressaillant de Fanny semblaient dire autre chose. Car la jeune fille envisageait la rentrée scolaire avec plus de crainte que de plaisir.
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