- Je te jure que je vais retrouver qui a fait ça.

Madame Rita-Lans croisait les bras en regardant Fanny sur son lit d'hôpital. Les yeux clos et la peau nacrée, la jeune fille semblait plongée dans un profond sommeil. Seuls les tubes et les machines auxquels elle était reliée, rappelaient la gravité de la situation.

Penché au-dessus de son enfant, Monsieur Lans avait pris vingt ans. Les cernes, qui accusaient toujours son manque de sommeil, s'étaient creusées en découvrant l'état de l'adolescente. N'osant caresser sa chevelure défaite, l'homme tremblait devant l'appareillage qui entourait Fanny, et se contentait d'observer son visage frêle et innocent.

Madame Rita-Lans avait retrouvé ses manières agitées. Mais dans ce contexte si particulier, il n'y avait rien à en dire. Son pied frappait énergiquement le sol tandis qu'elle se mordait les lèvres. Plus éloignée du lit que ne l'était son mari, elle était tombée dans une extrême réflexion. Seulement cette fois, ce n'était pas Fanny qui l'irritait lorsqu'elle la regardait. C'étaient ses bourreaux. Ceux qui avaient cherché à la tuer. La rage que Madame Rita-Lans ressentait ne s'accompagnait que d'une conviction : l'affaire ne serait jamais étouffée.

Pia rejoignit ses parents un peu plus tard. Quand elle entra dans la chambre d'hôpital, la jeune fille émit une courte plainte, puis se précipita vers le lit. Effrayé, le couple Lans la repoussa avant qu'elle n'arrache un quelconque fil vital, et l'adolescente, cessant de se démener, pleura bruyamment dans les bras de son père.

Attiré par le tumulte, le médecin qui s'était chargé de Fanny entra dans la chambre à son tour. Un dossier à la main, il hocha poliment la tête devant la famille réunie, et ne s'intéressa pas longtemps aux chaudes larmes de Pia. Avançant jusqu'au lit, il prit connaissance des données sur l'une des machines médicales, puis acquiesça devant la courbe régulière qui s'affichait - plus pour lui-même que les autres personnes dans la pièce.

- Son état est stable, dit-il en consultant ses notes, alors que Madame Rita-Lans se rongeait les sangs. Je ne vous le répéterai jamais assez, mais lorsque Fanny reviendra à elle, vous devrez prendre certaines dispositions.

Les parents Lans se regardèrent, honteux et inquiets à la fois.

- Alors... Vous êtes sûr qu'il ne s'agit pas d'une tentative de suicide ? demanda Madame Rita-Lans, embarrassée, mais aussi curieuse.

Le docteur scruta la mère de Fanny, et ses lèvres se retroussèrent en un rictus terrible.

- On ne se suicide pas la tête dans une cuvette, Madame !... Qui plus est, cela est impossible, ajouta-t-il devant l'air idiot de son auditrice. Plongé dans l'eau, le corps humain cherche toujours à revenir à la surface lorsque l'apnée n'a plus aucun effet sur l'organisme. Cela s'appelle l'instinct de survie. Et aucun suicidaire ne peut y résister.

Écœuré, le médecin se détourna de Madame Rita-Lans pour s'adresser à son époux.

- Je ferai un examen complet quand Fanny se réveillera, dit-il plus posément.

Et, sans rien ajouter, il se retira.

Un silence s'installa dans la pièce que seuls les sanglots de Pia pouvaient rompre.

- Et maintenant, qu'est-ce qu'on fait ? demanda timidement Monsieur Lans, déléguant, sans rancune, le fardeau à son épouse.

Madame Rita-Lans, retrouvant sa fougue naturelle, s'emporta.

- Nous allons coller un procès à ce lycée de pourris ! (...) Dire qu'ils acceptent des élèves qui ne sont rien de plus que des fous furieux ! (...) Je vais retrouver ces petits fumiers, tu peux me croire. Et là, je ne donne pas cher de leur peau !

Les yeux rougis de Pia étaient maintenant exorbités.

- Tu... Tu vas vraiment faire ça, Maman ? demanda-t-elle, effrayée.

Madame Rita-Lans - qui faisait les cent pas -, s'arrêta brusquement.

- Faire quoi ? dit-elle, plus vivement qu'elle ne l'aurait voulu.

- Porter plainte contre Marie Curie.

- Un peu que je vais le faire ! s'exclama la mère de famille, stupéfaite que personne d'autre n'y ait pensé.

- C'est que... Il y a certaines personnes... Enfin, notre image va en prendre un coup, se risqua Pia, de la manière la plus gauche qui soit.

- J'écrirai aussi un article, reprit Madame Rita-Lans sans faire attention aux dires de sa fille. "Le harcèlement scolaire" s'écria-t-elle, en mimant l'apparition du titre dans les airs. C'est un sujet excellent, en vérité. Pourquoi n'y avais-je pas pensé plus tôt ?

Oui, Madame Rita-Lans venait d'échanger sa maternité contre son rôle de journaliste en herbe.

- Je ne suis pas sûr que Fanny appréciera, osa Monsieur Lans, troublé par la proportion que prenaient les choses.

- Oh ! Et bien, tu n'as qu'à lui demander ce qu'elle en pense ! tempêta son épouse en faisant un geste ironique en direction de la jeune fille, sans même la regarder.

- Ne... fais... pas... ça.

Ébranlée, la famille se tourna vers l'adolescente. Fanny, immobile, fixait sa mère de ses grands yeux tristes.