Chapitre 14
Étoile, Étoile, laisse-moi te dire combien tu me fascines. Tu brilles dans l'obscurité sans jamais te plaindre. Tu illumines le ciel en divine enchanteresse. Tu éclaires nos chemins telle la Sainte Écriture. Tu vis, tu meurs, comme la chair terrestre. Pour autant tu es, et resteras unique. Lumière de mes nuits, douceur de mon cœur, laisse-moi te dire combien tu me désoles. Moi la petite fille qui pleure sous ton aile. Moi l'ignorée du jour qui rêve d'être étoile. Soleil de mes nuits, entends cette autre vierge : "Il pleure dans mon cœur comme il pleut sur la ville ; Quelle est cette langueur qui pénètre mon cœur ?". Prête toujours l'oreille, moi qui ne ris qu'au soir. Car le temps est une porte dont je n'ai pas la clé. Je marche dans le noir quand le matin se lève, et admire la vie si le ciel s'obscurcit. Puis-je te garder encore ? Ou suis-je trop injuste ? D'autres âmes t'attendent, avec leurs idées noires. Je ne peux être heureuse, quand d'autres pensent au pire. Va, Étoile de ma vie. Délivre tes enfants de leurs terribles songes. Je dois me recoucher, il est bientôt minuit. L'heure n'est plus aux rêves, mais aux rudes chimères.
Fanny se leva tôt, prit son petit déjeuner en hâte et patienta dans les escaliers, un livre sur les genoux. Madame Rita-Lans fronça les sourcils en la découvrant, mais ne dit mot. Au domicile, la semaine s'était écoulée dans le silence. La jeune fille vivait presque en ermite, désormais. Seules Amandine et Pia jouissaient encore un peu de son attention. Le reste du temps, elle se faisait plus discrète qu'elle ne l'avait jamais été. Proie d'une confrérie furieuse, l'adolescente pensait en survivante, et n'avait plus le temps pour les sarcasmes de sa mère, les innombrables histoires de sa sœur, ou les satires de sa seule amie. Elle écoutait d'une oreille distraite ce qu'on lui racontait, ne réfléchissant qu'à la façon dont elle pourrait visiter les couloirs, en catimini. Fanny avait plus peur du lycée que jamais, et pourtant, se refusait à la solitude définitive de la maison. Amandine avait été sa bonne étoile, et l'étudiante ne voulait s'en séparer. Qui plus est, la présence de Monsieur Lans en journée n'en était pas vraiment une. L'homme passait son temps à dormir, ou à fumer sa cigarette électronique en regardant la chaîne de sports à la télévision. Lorsque Fanny était malade, elle savait tout juste que son père se trouvait dans la maison. Monsieur Lans faisait partie de ces gens qui s'épanouissent dans le silence, et la jeune fille ne pouvait rien y faire.
En nouvelle habitude, la lycéenne se posta devant la salle de classe dix minutes avant que la sonnerie ne retentisse. Poursuivant la lecture de son roman, elle devenait transparente dans le couloir vacant, et s'en plaisait. Mais alors qu'elle tenait le moment décisif de son histoire, deux pieds s'approchèrent pour se planter devant elle. Terrorisée, la jeune fille resta figée. Les secondes défilant, ses yeux se levèrent finalement vers le visage qui les attendaient. Un jeune homme, ni triste, ni joyeux, souriait sans sourire.
- Bonjour, Fanny, dit la voix familière.
Sa surprise s'accentuant, l'adolescente observa le garçon avec incrédulité. Incapable de parler, elle poursuivait sa contemplation sans savoir quoi faire. Intimidé, Gatien souffrait maintenant de plonger son regard dans celui, caressant, de Fanny. Avalant sa salive, il ouvrit la bouche plusieurs fois avant de se reprendre.
- Je ne sais pas si tu te souviens de moi… Je suis Gatien Illys… On s'est croisés à l'hôpital... On, on s'amusait ensemble quand on était enfants.
Fanny médita devant cette semi-vérité, mais ne se défit pas de son air hébété.
- Euh, oui… tenta-t-elle, maladroite.
Gatien passa une main sur sa nuque, mal à l'aise.
- Hum... Je... Je voulais te dire que je suis vraiment désolé de ce qui t'est arrivé.
L'étudiante baissa les yeux, ce que Gatien subit comme une décharge électrique.
- Enfin, ce que je veux dire, c'est que… je suis content que tu ailles bien.
Fanny regarda le jeune homme dont les joues s'empourprèrent. Sans rien apercevoir, l'adolescente pensait à son roman et au récit qui lui échappait à mesure que la conversation - dont elle cherchait encore le sens - s'éternisait.
- Merci, répondit-elle, dans l'espoir d'en finir… C'est gentil à toi, ajouta-t-elle devant la détermination du jeune homme à rester. Mais tu devrais peut-être trouver ta salle avant d'être en retard en cours.
Le ton mielleux et maternel de la lycéenne déplut au jeune homme.
- Oui, d'ailleurs, j'y ai retrouvé Pia ! fit-il, sûr d'avoir trouvé un sujet de conversation intéressant.
Fanny sourit, sans s'en rendre compte. Elle savait que sa cadette aurait sauté au plafond si elle avait su que Gatien Illys parlait d'elle en ce moment. Malheureusement pour Pia, les projets de Gatien étaient loin de la concerner. Et devant l'air réjoui de l'étudiante, le visage du garçon s'enflamma. Alors que l'adolescente ouvrait la bouche pour lui répondre, le groupe de Mathilde fit son entrée. Quand elles aperçurent Gatien Illys gloussa excessivement avant de remarquer Fanny, toujours assise contre le mur du couloir. Plus embarrassé par le regard outré des jeunes filles que par la cause du regard elle-même, Gatien formula quelques mots polis avant de quitter son aînée, à regret.
Pauvre Fanny ! Sans l'avoir cherché, elle venait de signer son arrêt de mort en "jouant" avec les sentiments...
Oh, Étoile ! Comme le monde est sinistre !
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