Chapitre 18
"Vas-y, Fanny ! Allez, vas-y ! Qu'est-ce que tu attends ? Personne ne veut de toi, personne ne t'aime ! Maman te déteste depuis le jour où tu es née ! Elle ne t'a gardée que parce que Papa le voulait ! Mais quand Bébé a grandi, même Papa s'est lassé de toi ! Il n'y a que Pia qui t'aime. Pourtant, tu sais que ta disparition lui serait bénéfique ! Au lycée, elle vit le fardeau d'être sans cesse apparentée à toi ! Allez, Fanny ! Plante le couteau ! Cesse d'être lâche pour une fois ! Pourquoi est-ce que tu trembles ? Tu as peur de mourir maintenant ? Tu ne sais donc jamais ce que tu veux ! Comme Maman rirait si elle te voyait ! "Fanny l'incapable, Fanny l'indécise !" Papa ferait les yeux ronds, c'est sûr ! Mais il irait chercher Maman pour savoir quoi faire ! Pia hurlerait en plaquant ses mains contre ses joues : comme ce serait ennuyant !
Tu sais comment mettre fin à tout ça. Les injures, les pleurs et les cauchemars. Les menaces et les attaques. La corvée que tu représentes pour tes proches. A qui manqueras-tu ? Qui souffrira de ton absence ? Personne. Ce que je te dis te fait mal ? Pourquoi ? Je ne suis que la petite voix qui te rappelle ce que tu sais déjà. Cesse de regarder des films, Fanny ! Evidemment que tu ne vois pas ta vie défiler devant tes yeux ! Il faut être complètement idiot pour croire cela ! Tu peux mourir aujourd'hui. Tu es maître de tes actes. Toi seule peut décider du cours du temps. Un peu d'effort, Fanny. Tu y es presque…"
- FANNY !
La jeune fille leva les yeux, effrayée et hébétée à la fois. Madame Rita-Lans, de retour dans la cuisine, observait la scène avec horreur. Les yeux exorbités, la mère de famille atteignit l'adolescente en trois pas et lui arracha le couteau des mains. Tremblante, elle écarta l'instrument en l'envoyant sur le plan de travail, et dévisagea son enfant telle une créature de l'enfer.
- Qu'est-ce qui te prend ?... couina-t-elle, sa voix sûre et revêche l'ayant abandonnée.
Fanny, toujours plongée dans un état second, regardait sa mère, sans expression.
Plaquant une main contre sa bouche, Madame Rita-Lans craqua. Cherchant à étouffer ses sanglots incontrôlables, elle encercla soudain Fanny de ses bras rustres et peu maternels.
- Comment as-tu pu penser à une chose pareille ?
La mère de famille sanglotait toujours et enlaçait sa fille avec plus d'intensité. Définitivement ailleurs, Fanny ne réagissait pas.
- Je veux mourir, Maman, dit-elle sur le ton de la conversation.
- Non, non, non, ne dis pas ça…
Le silence était brisé par les pleurs de Madame Rita-Lans. Fanny, certaine d'avoir manqué sa chance, restait de marbre.
- Personne ne veut de moi.
- Bien sûr que si !
- Vous ne m'aimez pas.
- Tout le monde t'aime !
- Les gens se moquent de moi.
Incapable de répondre à cela, les larmes de Madame Rita-Lans s'intensifièrent. Posant sa joue contre la tête de la jeune fille, sa main caressa la chevelure terne dans un subit élan d'affection.
- Alors ce sont des idiots, murmura-t-elle enfin.
- Ils ont raison… Je suis laide.
Le visage de Madame Rita-Lans se crispa davantage.
- Bien sûr que non.
Comme sortie d'un mauvais songe, Fanny fronça les sourcils et se détacha de sa mère. Surprise, cette dernière la contempla sans mot dire.
- Mais regarde moi ! explosa la jeune fille, plus irritée qu'attristée.
Madame Rita-Lans respira profondément. Ses lèvres fines étaient celles de Fanny, mais leur couleur restait plus agréable et leur délicatesse plus attirante.
- Et bien quoi ? souffla la maîtresse de maison dont les larmes séchaient déjà.
Fanny prit spontanément une main de sa mère et la plaqua contre son visage. Obligeant ses doigts à suivre les contours de ses traits, l'adolescente décrivait son physique tel un guide touristique devant un site dévasté. Désemparée, Madame Rita-Lans l'écoutait avec un pincement au cœur.
- Regarde ce nez grotesque.
- …
- Et ces oreilles décollées.
- …
- Et ces yeux de libellule.
- …
Les mots étaient durs. Les mots étaient vrais. A la fin de son réquisitoire, Fanny reprit son souffle et attendit, le regard vide, le regard sombre. Madame Rita-Lans réfléchit un instant.
- Voilà ce que je vois, commença-t-elle en déplaçant ses propres doigts sur le visage de l'adolescente. Voici un nez… Deux yeux… Ici, c'est une bouche… Là, un menton… Je vois aussi deux oreilles… Un front… Et deux joues…
Perplexe, Fanny laissait sa mère parler sans trouver quoi que ce soit à en redire.
- En fait, nous sommes pareilles, acheva Madame Rita-Lans.
Fanny eut soudain envie de pleurer. Sans réfléchir, elle enlaça sa mère à son tour et se laissa aller. Dans une attitude qu'elle ne se connaissait pas, la génitrice câlinait son enfant comme on berce un bébé.
- Ne fais pas attention à ce que les gens pensent. La méchanceté existe partout, mais tu dois être forte et apprendre à la surmonter. Ne donne pas satisfaction à ceux qui te veulent du mal. La cruauté n'appartient qu'aux imbéciles qui ignorent où se trouve la vraie beauté.
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