Chapitre 19

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Le week-end suivant se déroula dans le plus grand silence. Pia, qui avait vu la vidéo, regardait son aînée de travers, comme gênée par sa présence. Madame Rita-Lans ne pipa mot. Pourtant, Fanny savait que sa petite sœur lui avait parlé de sa dernière forme de harcèlement. Seul Monsieur Lans ne semblait pas au courant. Mais après tout, Monsieur Lans n'était jamais au courant de rien.

La différence notable qui suivit sa tentative de suicide fut, d'après Fanny, la disparition de tous les couteaux tranchants de la maison. Seuls les couverts à bout rond servaient encore pour les repas : même pour couper le pain, ce qui n'était pas chose aisée.

Dans la voiture qui conduisait les adolescentes au lycée, Madame Rita-Lans se montrait farouchement décidée à retrouver l'expéditeur de la vidéo, ce qui morfondait la pauvre Fanny.

- C'est forcément la jeune fille qui tenait le portable ! C'est complètement absurde de créer un compte anonyme quand tout le monde sait qui est l'auteur...

"... Du crime" entendit Fanny du coin des lèvres de sa mère.

A Marie Curie, le directeur transpirait devant la preuve matérielle de ce qui pouvait le conduire à sa perte. Dans une impasse, il reconnut qu'il était temps de collaborer, et fit venir les trois agresseuses dans son bureau. Madame Rita-Lans, les bras croisés, fulmina rien qu'en les découvrant. Terrorisées, les étudiantes se taisaient. Mathilde se rongeait les ongles, livide. Sophie passait une main nerveuse dans ses cheveux. Et Charlotte malaxait ses mains avec ardeur. Le proviseur se racla la gorge, Madame Rita-Lans fit une moue terrible, et Fanny resta dans l'ombre. Il était difficile, ou plutôt, impossible de garder son calme devant une Madame Rita-Lans sortie de ses gonds. Les lycéennes fuyaient son regard avec difficulté. Seule Sophie cherchait la mine crispée de Fanny, sans succès. Monsieur Dungan (c'était le nom du proviseur), se leva puis se rassit avec embarras. Il frottait sa moustache grise, l'air préoccupé. Sa semi-calvitie le rendait peu autoritaire. La cinquantaine, il se voulait homme d'importance sans réussir à faire autre chose que se ridiculiser. Il passa plusieurs fois la main sur sa cravate, cherchant, de toute évidence, ses mots. Quand il ouvrit la bouche une première fois, se fut pour la refermer. De petite taille, il posa soudain les mains sur son bureau et plongea son regard, faussement outré, dans celui des harceleuses.

- Mesdemoiselles, commença-t-il dans une politesse improbable, j'ai appris quelque chose de fâcheux (comme s'il l'ignorait depuis trois jours !). Une vidéo de type cyberharcèlement serait apparue vendredi dernier sur un compte anonyme du réseau Instagram. Or le téléphone qui a filmé l'agression menée contre Fanny Rita-Lans appartient, de toute évidence, à l'une d'entre vous. Je dois donc vous poser une question, grave mais essentielle : qui a diffusé la vidéo sur le net ?

Silence dans l'assemblée. Mathilde, Sophie et Charlotte se lancèrent des regards vifs. Les lèvres retroussées, ils signifiaient : "Si tu te tais, moi aussi." L'air entendu - art qui n'appartient qu'à ceux qui l'expérimentent tous les jours -, on décida que Sophie parlerait pour les autres. La grande fille brune se redressa, donc, plus sûre d'elle que jamais.

- Aucune idée, Monsieur.

Madame Rita-Lans, qui avait promis, à contrecœur, de ne pas interagir directement avec les adolescentes, grogna ouvertement, incapable de se retenir.

Décontenancé, Monsieur Dungan s'était imaginé les jeunes filles en larmes, repentantes. Au lieu de ça, le dilemme s'imposait. Fronçant les sourcils, sa tête hochait d'un air imbécile. Se reprenant, ses yeux papillonnèrent et son corps se propulsa en avant.

- Comment ça : "Aucune idée" ? fit-il, interdit.

Sophie réprima un sourire victorieux.

- Nous ne savons pas qui a partagé la vidéo, Monsieur.

- Mais... Le portable vous appartient ?

- Oui. Mais le compte, non.

Monsieur Dungan se leva. De retour dans le passé, son quelque chose de charismatique se révéla dans son attitude exacerbée.

- Alors comment expliquez-vous que la vidéo enregistrée sur VOTRE téléphone ait pu arriver sur le net ?

Haussant les épaules, Sophie semblait plus ennuyée qu'intimidée.

- J'ai partagé la vidéo avec quelques amis. Je ne pensais pas que les choses iraient si loin.

- Vous êtes donc en train de me dire que l'un de vos "amis" a créé le compte et que vous n'êtes pour rien dans cette affaire ?

Les yeux de Sophie brillaient de satisfaction.

- Il faut croire que oui, Monsieur.

Le proviseur s'écroula contre son siège, dépité.

- Vous me ferez une liste de ces "amis" avant ce soir, souffla-t-il enfin.

Sophie hocha la tête, et les trois filles, riant déjà, s'éloignèrent sous le regard médusé de Madame Rita-Lans.

- Comment ? Vous les laissez partir ?!

Le directeur prit un air désolé.

- Ecoutez, Madame. L'établissement ne peut pas punir des élèves sans preuve formelle de ce qui s'est passé. Quand nous aurons plus de renseignements, nous vous le ferons savoir.

Malheureusement pour Monsieur le proviseur, une coïncidence peu accommodante se produisit lorsque les agresseuses de Fanny quittèrent son bureau. En effet, peu de temps après, compte et vidéo témoignant du cyberharcèlement de Fanny avaient disparu de la surface terrestre. Dès lors, la liste des "amis" de Sophie ne valait plus rien. Car bien entendu, on ne pouvait incriminer quelqu'un "sans preuve formelle de ce qui s'est passé".

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