Luc arriva au lycée en souriant. Il arpenta les couloirs en suivant l'itinéraire habituel, puis hésita au croisement de deux couloirs. À droite, le bâtiment des sciences. À gauche, les classes des littéraires. Il prit ce chemin, et monta quelques escaliers avant de s'arrêter devant un fourmillement de jeunes filles et quelques garçons. À l'écart, une adolescente maigrichonne attendait contre le mur, plongée dans le roman que Luc lui avait prêté juste avant la rentrée : Nos étoiles contraires. Il vint à elle sans plus attendre, se racla la gorge pour signifier sa présence, et vit Fanny sursauter avant de se reprendre. Pour autant, la rougeur sur ses joues ne pouvait tromper personne, et ceux qui se retournaient vers les deux étudiants chuchotaient en se moquant.

- Bonjour Fanny, fit le jeune homme dans une sincère cordialité.

- Bonjour Luc. Tu, tu as fait un détour... pour me voir ?

- Et bien oui, lança le garçon avec naturel. Alors, le bouquin te plaît ? Après tout ce temps passé sans l'avoir jamais lu, je l'espère !

La lycénne rougit encore plus en baissant les yeux vers le livre de son camarade.

- Je le trouve saisissant. Il est triste et drôle à la fois. Et puis, les personnages sont très attachants. Hazel et Augustus se tournent autour même si leur amour semble impossible...

Fanny se tût, visiblement troublée d'en avoir dit autant. Elle regarda ses chaussures alors que Luc ne se sentait absolument pas embarrassé.

- Pourquoi impossible ? dit-il, intéressé.

Fanny se redressa, le teint écarlate.

- Et bien, la jeune fille est condamnée, alors que lui... lui pourra vivre une belle et longue vie.

Luc ne put s'empêcher de sourire.

- Tu ne connais pas encore la fin... Mais je n'en dis pas plus... Moi, je trouve qu'ils vont très bien ensemble. Augustus est plutôt déterminé à séduire Hazel...

- Mais Hazel ne peut que le repousser ! s'exclama soudain Fanny. Elle ne veut pas qu'il souffre en l'invitant plus loin dans sa vie... Certains obstacles ne peuvent être surmontés...

Luc plongea son regard noisette dans celui de l'adolescente.

- Tous les obstacles peuvent être surmontés. Il suffit d'avoir le courage de les dépasser.

Alors que Fanny semblait trop ébranlée pour répondre, le garçon tourna la tête vers le groupe de terminale, et fronça les sourcils. Presque tous les visages étaient concentrés sur eux, désormais.

- Je dois y retourner, reprit le jeune homme, toujours sans gêne. Mais je repasserai te voir. Enfin, si tu le veux.

Fanny ouvrit la bouche et, d'une voix fluette, assura que cela lui ferait plaisir.

Luc foudroya une dernière fois tous les élèves - qui simulaient alors un intérêt soudain pour autre chose -, et s'en alla. Il rejoignit les scientifiques avec satisfaction, puis retrouva son meilleur ami, Hector, devant leur salle de cours.

Affublé d'un uniforme à carreaux verts et rouges, le jeune homme était le cliché de l'intello. Les cheveux plaqués, des lunettes et un appareil dentaire, il tenait les bretelles de son pantalon d'un air un peu idiot. Quand il aperçut Luc, Hector les relâcha, ce qui les fit rebondir contre sa chemise blanche, boutonnée jusqu'au col.

L'excentricité d'Hector n'échappait à personne, et encore moins à Luc qui partageait tous les jours sa compagnie.

- Falut mon pote ! dit le lycéen tandis que Luc se retenait de rire, tant par son attitude que par son déguisement.

- Salut Hector, comment ça va ?

- Fuper ! fit le garçon dont l'appareil dentaire ne permettait pas une bonne élocution. T'étais où ? D'habitude, tu mets moins de temps à arrifer !

- Avec une amie, répondit Luc sans sourciller. Fanny Rita-Lans.

Hector ouvrit grand la bouche, de sorte que l'on ne voyait plus que son horrible dentition.

- Encore elle ? Férieux, qu'est-ce que tu fous avec fette fille ?

- Je l'apprécie, rétorqua Luc en haussant les épaules. Les gens la jugent trop vite.

- Hmm... Fe comprends quand même toujours pas comment t'as pas pu la reconnaître lors de fotre première rencontre. F'est peut-être ta première année à Marie Curie, mais quand même ! F'est l'Affreu...

- Arrête te dire ça ! s'énerva Luc. Tu sais très bien que je me fous de ce que ce lycée peut faire ou balancer. J'ai peut-être entendu son nom plusieurs fois, mais je ne suis pas sur les réseaux sociaux et ne m'intéresse pas à ce qui circule ici. Et que ça t'étonne ou non, je n'ai pas "reconnu" Fanny Rita-Lans. J'ai juste vu une jeune fille sur le sommet d'une colline enneigée, engagé la conversation avec elle et appris à la connaître. Il me semble que si l'on ne se nourrissait pas de préjugés, c'est ainsi que toute relation se passerait.

Hector resta sans voix, mais Luc s'y attendait.

- Ben, moi f'ai rien contre elle ! balbutia l'adolescent à lunettes pour apaiser la tension. F'est fuste que fe fuis étonné par le lien que t'as créé afec elle...

- J'ai bien réussi à créer un lien avec toi. Un geek qui s'habille en clown et parle comme s'il s'était pris un pain dans la gueule : tu ne m'as pas facilité la tache !

Hector grimaça, puis ne put s'empêcher de pouffer.

- Bâtard.

- C'était trop facile.

Les amis rirent.

- Fuis quand même un bon pote ! Fe continue de te fupporter même fi le lyfée entier te foit comme un illuminé depuis que tu traînes afec Fanny.

- Je vois... C'est de bonne guerre.

Hector sourit.

- Allez fiens ! déclara-t-il en prenant Luc par les épaules. Raconte-moi fe que fous fous êtes dit, toi et ta Fanny.