Chapitre 39

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Fanny s'examinait dans le miroir sans cesser de grimacer. Inquiète, elle cherchait une pose convenable sans savoir pourquoi elle s'agitait autant. Elle enlevait l'élastique de ses cheveux pour les peigner, puis les recoiffait avant de les relâcher à nouveau. Elle se sentait ridicule. Comme si avoir l'air belle lui était désormais vital. Elle visualisait avec horreur le regard qu'un autre aurait en la voyant ainsi préparée, et se précipita dans l'armoire en se maudissant de ne pas avoir de tenues véritablement attrayantes. Après avoir balayé cinq cintres d'un revers de main, elle s'arrêta, le souffle court et les yeux vitreux. À quoi bon remuer ciel et terre pour un corps qui ne changerait jamais ?

La jeune fille enfila finalement une robe vert d'eau et des petits talons aiguille avant de descendre les escaliers. Elle foula chaque marche en priant de ne pas tomber et reçut l'œil amusé de sa mère lorsque sa pente prit fin.

- Qu'est-ce qu'il y a ? s'enquit Fanny avec naïveté.

Madame Rita-Lans se retenait de rire lorsque son époux lui vint, sans le savoir, en aide. Passant dans le couloir, le père de famille s'arrêta devant sa fille et ouvrit grand les yeux, comme s'il faisait face à une créature troublante.

- Oh... euh... Tu vas quelque part, Fanny ?

La jeune fille remua, mal à l'aise.

- Oui, Luc m'a invitée au cinéma.

Monsieur Lans tourna la tête vers sa femme, surpris. Mais Madame Rita-Lans se contenta de hausser les épaules.

- D'accord, reprit-il enfin. J'imagine que c'est bien... Bonne soirée.

Puis il sourit poliment et repartit en direction du salon. La matriarche, quant à elle, se rendit dans l'entrée sans se défaire de sa bonne mine, et se prépara à sortir. En entrant à son tour dans l'entrée, l'adolescente entendit la télévision résonner plus fort derrière la porte du mur gauche. Des rires s'élevaient dans la salle sans que la jeune fille distingue celui du spectateur. C'était comme si l'humour de la comédie échappait à l'homme et que la télévision criait pour combler un silence plus sinistre.

- Prête ? lança Madame Rita-Lans d'une voix extraordinairement maternelle.

L'étudiante acquiesça, puis quitta la maison.

Dans la voiture, l'ambiance était fébrile. La génitrice jetait des regards curieux à sa fille qui préférait, de son côté, voir la nature défiler par la fenêtre. Enfin, la mère de famille toussa pour obliger Fanny à reporter son attention sur elle.

- Alors dis-moi. Avec ce Luc, c'est sérieux ?

La jeune fille leva les sourcils, hébétée.

- Comment ça ?

Madame Rita-Lans se redressa sur son siège.

- Eh bien, tu sais... Vous sortez ensemble ?

L'adolescente entrouvrit les lèvres, stupéfaite.

- On est amis, répondit-elle comme si imaginer autre chose relevait de l'interdit.

Madame Rita-Lans fit une petite moue en signe de réserve.

- Mais certaines amitiés peuvent évoluer, répliqua celle qui ne pouvait se satisfaire d'un tel happy end.

Aussi ignorante qu'une enfant, l'adolescente ne voyait toujours pas où sa mère voulait en venir.

- C'est comme ça que ça c'est passé entre ton père et moi, continua la conseillère en relations sentimentales. L'amour qui dure naît toujours d'une amitié. Et il me semble que ton Luc est l'être le plus adorable du monde. Il est gentil, drôle et très attentionné avec toi. Je ne vois pas ce que tu attends. Tu devrais lui faire des avances avant qu'il n'aille voir ailleurs. C'est typique chez ce genre de garçons. Si la fille ne fait pas le premier pas, elle finit par repartir bredouille. Crois-en mon expérience. Je l'ai vécue avec ton père. Et heureusement que j'ai eu plus de cran que lui, ou tu peux être sûre que je serais encore en train de l'attendre.

Croyant faire face à une plaisanterie, Fanny se mit à rire, ce qui étonna sa mère.

- Ça n'a rien d'amusant ! interrompit Madame Rita-Lans. C'est la stricte vérité, et tu dois t'y conformer comme tout le monde.

- Et si je n'ai pas envie de m'y "conformer" ?

La mère de famille foudroya l'adolescente.

- Ne joue pas à ce petit jeu-là, Fanny. La chance que tu as ce soir est tout simplement unique. Si tu ne la saisis pas, tu risques de le regretter pour le reste de tes jours.

La jeune fille ne put s'empêcher de souffler.

- Tu n'exagères pas un peu là ?

- Non Fanny, je n'exagère pas. Quand on n'a pas le physique pour plaire, on ne peut pas se permettre de rejeter la seule personne qui veut bien de nous. Moi j'ai dû renvoyer un milliard de prétendants dans ma jeunesse, mais ma chérie, tu n'as pas le corps que j'avais et certainement pas autant de rivaux qui le désirent.

Elle avait dit cela avec douceur, mais l'adolescente prenait la constatation comme un coup de couteau en plein cœur. Madame Rita-Lans avait beau tout faire pour se montrer délicate, ses mots étaient plus tranchants que des lames de rasoirs.

- Et si je ne sais pas comment m'y prendre ? feignit alors la jeune fille pour ne pas se prendre d'autres réflexions acerbes. Et s'il ne veut vraiment pas de moi ?

Le visage de la matriarche se dérida.

- Il voudra de toi. On n'invite pas une fille au cinéma si on n'a pas quelques idées en tête, murmura-t-elle d'un air qui se voulait entendu mais que Fanny ne fut pas sûre de comprendre. Pour le reste, parle-lui de ce qu'il aime et la conversation ne devrait pas s'enliser. Et puis avec quelqu'un comme Luc, je suis sûre que la discussion doit venir très facilement. Je n'ai pas eu autant de facilité avec ton père, sache-le !

L'étudiante se força à sourire. Elle avait parlé de Luc à sa mère plusieurs fois et le regrettait presque maintenant. Madame Rita-Lans avait insisté pour rencontrer le jeune homme et un diner avait été prévu à cette occasion. Fanny avait d'abord été un peu effrayée par ce rendez-vous, mais finalement enchantée par les manières impeccables du lycéen vis-à-vis de ses proches. La mère de famille l'avait quitté en le qualifiant de "perle rare", Monsieur Lans avait ri à chacune de ses blagues, et même Pia s'était un peu détendue devant son art de la courtoisie et sa qualité de bon vivant. En clair, cette rencontre avait changé beaucoup de choses aux yeux de la famille de Fanny, qui commençait enfin à croire que tout était possible. Devant l'enthousiasme général à l'idée que l'adolescente et Luc puissent sortir ensemble, l'étudiante ne pouvait qu'alimenter les rêves de ses proches en avouant sortir une fois de plus avec le garçon.

Mais ce que les Lans ignoraient, c'était que la jeune fille avait avant tout besoin de l'amitié de Luc. Elle pouvait se confier à lui car il la comprenait mieux que quiconque. Lui-même n'était pas l'élève le plus adulé du lycée − sans en être pour autant le rejeton −, et savait trouver les mots justes pour panser les blessures de son cœur. Elle ignorait si leur relation pourrait un jour devenir amoureuse (bien qu'elle était convaincue qu'elle ne pourrait jamais plaire à personne dès qu'elle se regardait dans une glace), mais était au moins sûre d'avoir un ami sur qui compter. Elle avait fini par lui révéler la vérité au sujet de sa dent perdue, comme elle l'avait fait avec Amandine, pour expliquer le livre arraché. Et le lycéen avait été si rassurant, si bienveillant que Fanny ne se reprochait toujours pas sa décision.

Quand la voiture s'arrêta à quelques mètres du cinéma et que l'étudiante s'apprêta à descendre, Madame Rita-Lans retint son bras et la considéra avec sérieux.

- Je dois revenir te chercher après le film ou... vous comptez rentrer chez lui ?

Fanny jeta des yeux égarés autour d'elle, comme si son cerveau venait de perdre tout contrôle.

- Je... Je ne vois pas pourquoi on rentrerait chez lui...

La génitrice fouilla dans son sac à main et en ressortit une pochette.

- Tiens, voilà un préservatif, fit-elle en attrapant la main de sa fille et en y plaquant la pochette d'un air on ne peut plus naturel.

Fanny observa le contraceptif avec des yeux ronds, puis déglutit.

- Je... Non.

- Si, garde le, insista Madame Rita-Lans. Il est hors de question que vous le fassiez sans vous protéger.

- Maman, je n'ai pas l'intention de perdre ma virginité ce soir.

- Ça c'est ce qu'on dit toutes... Je refuse que tu partes sans le prendre.

Exaspérée, l'adolescente rangea le préservatif dans la poche de sa veste et partit sans mot dire. Se dirigeant vers le cinéma, elle entendit la voiture redémarrer derrière elle, et finit par apercevoir Luc, patientant au chaud dans l'entrée. Lorsque l'étudiant croisa le regard de la jeune fille, il fit un geste de bienvenue et sourit de toutes ses dents.

- Bonjour Fanny, dit-il joyeusement. Eh bien, je commençais à croire que tu m'avais posé un lapin...

Le garçon s'esclaffa tandis que la lycéenne rougissait encore, ses doigts malaxant le malheureux contraceptif.

- Bien sûr que non, je n'aurais pas fait ça.

Luc sourit, puis accorda son attention aux séances à venir.

- Donc tu veux vraiment voir un film d'horreur ? lança-t-il sans assurance.

L'adolescente remarqua à peine l'évidente intolérance du jeune homme aux films d'épouvante, et montra plutôt une certaine excitation à l'idée de voir la prochaine représentation d'un livre de Stephen King.

"Et dire que Maman s'attendait à une soirée romantique..." pensa-t-elle en jetant le préservatif dans la poubelle la plus proche.

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