Chapitre 49

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Fanny se rendit au bureau d'accueil à sept heures trente précise. Arrivée au lycée plus tôt que d'habitude pour ne pas être confrontée à la file d'attente monstrueuse qui se déclarait tous les matins dans le quart d'heure précédent le début des cours, l'adolescente comptait mener à bien son enquête. Seuls trois élèves retenaient les surveillants derrière les comptoirs presque vides. En découvrant l'étudiante, l'un des adultes, un petit homme proche de la retraite, l'appela de la main et lui demanda la raison de sa venue.

- Quelqu'un a déposé une rose dans mon casier hier soir, commença la jeune fille.

- Hmm... fit le vieillard en plissant les yeux.

- Mais j'ignore de qui il s'agit, ni comment cette personne a réussi à se procurer un double de ma clé.

- Et vous croyez que je le sais ?

- Seul le bureau d'accueil peut ouvrir tous les casiers du lycée sans la permission des élèves !

- Hmm...

- Alors je suppose... que l'un des surveillants a donné la clé à l'élève en question...

- Hmm... Je ne vois pas de quoi vous parlez.

Fanny se pinça les lèvres, déçue, puis s'excusa, prête à réitérer sa demande auprès d'un autre employé de Marie Curie. L'homme lui attrapa alors le poignet, aussi brusquement qu'imprévisiblement, et plongea son regard dans le sien.

- Mais je devine qui le sait.

Le vieillard se tourna alors vers sa collègue la plus proche, et éleva la voix comme si elle se trouvait à des kilomètres de là.

- Samantha ! T'aurais pas encore aidé un gigolo à piller le casier d'une gamine en lui filant les clés ?

La dénommée Samantha, une jeune femme à peine plus âgée que Fanny, sursauta sous l'exclamation du surveillant. Interdite, elle prit quelques secondes pour saisir la question, puis déglutit lorsque sa mémoire lui revint.

- Que... Quoi ?...

- Un autre gamin qui t'a raconté des salades avec ces roses à la noix !

- Je... je...

L'homme pointa un doigt menaçant vers sa collègue. Ses petits yeux bleus étaient empreints d'une grande sévérité, et sa large moustache remontait dès qu'il râlait.

- Tu vas finir dehors Samantha !

- Mais Jojo, c'est romantique...

- IL N'Y A PAS DE "ROMANTISME" DANS TOUT ÇA !

Fanny tremblait pendant que les autres surveillants, l'oreille tendue mais plongés dans leur activité, se taisaient.

- Je leur avais dit que tu étais trop jeune pour ce travail ! Tu es incapable de t'imposer face à ces gosses !

L'étudiante haussa les sourcils. Était-ce donc ainsi que l'on avait obtenu la clé de son casier ? En manipulant une jeune fille tout droit sortie de ses études ? Cela semblait si simple que l'on ne pouvait y croire. Et pourtant, l'adolescente n'était, de toute évidence, pas la seule à avoir demandé une explication à l'accueil pour une rose placée clandestinement dans son compartiment.

- Comment tu t'appelles ? bougonna l'homme à son adresse.

- Fa... Fanny Rita-Lans.

- T'as entendu ?! grogna-t-il en se tournant à nouveau vers sa collègue. Alors qui c'est le bougre qui t'a pris la clé de son casier ?!

La lycéenne se redressa, les palpitations de son cœur s'accélérant.

- J'ai... J'ai promis...

- Qu'est-ce que tu me chantes là ?! s'enflamma le vieillard. Tu vas me dire qui c'est comme les autres sur le champ !

La jeune fille paraissait désemparée, incapable de se décider.

- Il tenait à ce que ça reste secret.

- Ça m'est foutrement égal ! Dis-moi son nom, tout de suite !

Le visage triste, Samantha entrouvrit à peine les lèvres en murmurant un nom que Fanny ne comprit pas.

- Quoi ?! Je suis peut-être vieux, mais pas sourd ! Répète !

L'étudiante se rapprocha alors de la surveillante. Les mains sur le comptoir, elle se pencha vers la nouvelle employée, la fixa, et chuchota : "Dis-moi."

- Il va me détester...

L'adolescente écarquilla les yeux, étonnée.

- Après lui avoir confié la clé de mon casier, tu me dois bien ça, formula-t-elle enfin avec douceur.

Samantha respira profondément, puis acquiesça.

- Très bien... C'est Gatien Illys.

Un long silence suivit ces mots, comme si le bureau tout entier retenait sa respiration.

- Pa... Pardon ? balbutia Fanny, ses mains glissant contre la table.

- Il est en seconde, reprit Samantha. Et il...

- Je sais qui c'est, coupa l'autre jeune fille, la colère prenant le pas sur l'hébétude et la confusion. Alors... ce n'est pas Luc Asvaldi ?

- Luc qui ?...

L'étudiante souffla un coup, sans savoir ce qui l'agitait le plus. Le fait que Luc ne lui ait rien offert pour la Saint Valentin ? Ou que les soupçons de Pia vis-à-vis de Gatien semblaient se vérifier ?

Elle n'ajouta rien, remercia un peu trop sèchement les surveillants, et s'en alla sous le regard stupéfait de Samantha qui, de son côté, aurait sûrement tout donné pour recevoir une rose de la part du garçon.

Fanny marchait à une cadence effrénée, et atteignit sa salle de classe en un temps record. Elle ne s'inquiéta pas des autres, et passa le reste de la journée dans une solitude morbide et amère. Elle refusait de voir Luc, et encore moins Gatien, s'interrogeant, pour la toute première fois, sur les véritables intentions de ce dernier à son égard. Derrière son sourire charmeur et ses marques d'attention invraisemblables, il avait été pire que les autres en cherchant à se rapprocher d'elle pour mieux la ridiculiser. Il l'avait trompée en se faisant passer pour son ami, parce qu'il savait à quel point elle souffrait d'être seule, et jouait désormais avec sa niaiserie, sa stupidité, sa méconnaissance des choses avant, très certainement, d'en rire avec ses camarades mesquins... ses semblables.

Ainsi, la lycéenne, en maudissant tous ces êtres qui, l'avait-elle cru jusqu'alors, ne souhaitaient que son bien, s'en voulait à elle-même plus qu'à aucun autre. Comme elle avait été bête. Elle aurait dû savoir que cette rose flairait la moquerie, la méchanceté, et non se laisser envahir par les fantasmes vains d'une jeune fille se croyant aimée de quelqu'un.

Dans le cas même où Gatien avait fait cela par amour, elle ne pouvait lui pardonner. Comment avait-il pu croire, ou même espérer, que Fanny l'ait un jour désiré ? Comment l'adolescente aurait-elle pu concevoir une romance entre eux en sachant que cela tuerait sa pauvre sœur ? Mais bien sûr, Gatien était de ces garçons arrogants qui se savent séduisants et sont persuadés que toutes les filles ne veulent être qu'avec eux.

En quittant l'établissement, l'étudiante traversa la cour à grands pas pour dépasser les immenses grilles ouvertes qui lui rappelaient sa cage. Mais au dernier moment, son pire cauchemar se produisit. Gatien, dont elle s'était évertuée à ne pas croiser la route de la journée, apparut derrière elle, la contourna, et lui bloqua le passage, une main sur le mur de briques, l'autre dans un geste d'arrêt.

- Je peux tout expliquer, fit-il, essoufflé.

Fanny ne montra aucune surprise devant cette apparition soudaine, ou la phrase lourde de sens qui lui était adressée, et elle se moquait bien de savoir comment Gatien avait appris que sa combine ridicule avait échouée. De fait, elle le dépassa comme s'il n'avait jamais interrompu sa marche, retenant un sarcasme ou un rictus dont elle se serait sûrement sentie, par la suite et malgré elle, coupable. Pourtant, Gatien, lui, ne devait jamais se trouver navré de participer à l'humiliation constante de la jeune fille, mais en éprouver, au contraire, une grande satisfaction. L'adolescent prit le bras de la lycéenne, l'obligeant à se retourner et à lui faire face. Excédée par ce contrôle injuste que tout le monde semblait avoir sur elle, Fanny explosa.

- LÂCHE-MOI !

- Attends, il faut que tu saches...

- QUOI ?!

- C'est... C'est plus compliqué que ce que tu crois...

- ÉVIDEMMENT ! JE SUIS TROP STUPIDE POUR COMPRENDRE QUOI QUE CE SOIT !

Gatien jeta des yeux effrayés autour de lui.

- Est-ce qu'on pourrait aller un peu plus loin ? murmura-t-il.

- POURQUOI ?! T'AS HONTE QU'ON ME VOIT AVEC TOI ? C'EST ÇA ?!

Le garçon tremblait, littéralement.

- S'il te plaît Fanny... Parlons en au calme...

- J'AI DIT : "LÂCHE-MOI" !

Comme s'il prenait enfin conscience de son geste, Gatien lâcha le bras de la jeune fille d'un coup, et observa sa main avec horreur.

- Je, je suis désolé, bredouilla-t-il, livide.

L'étudiante respirait rapidement, difficilement.

- Ne t'approche plus jamais de moi.

Puis elle s'en alla, sous le regard affligé, malheureux de Gatien ; seul, au milieu de tous.

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