Chapitre 50

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Gatien resta cloué sur place pendant plusieurs minutes. Jambes fléchissant, regard lointain, il ne savait ce qu'il voulait le plus en ce moment. Rattraper Fanny et lui avouer ce qu'il avait sur le cœur, ou se tirer une balle tant la honte et l'effroi l'agitaient. Quand il se décida pour la deuxième option, son portable se mit à vibrer. Ramené à lui, l'adolescent fronça les sourcils en découvrant un numéro inconnu sur l'écran. Il décrocha, non sans réticence, puis ouvrit la bouche, perplexe. Au bout du fil, une voix doucereuse l'invitait dans l'un des bars les plus branchés du coin, le Havana, sans souhaiter avancer son identité. Le garçon, fatigué par cette fin de journée riche en émotions, s'apprêta à décliner la proposition lorsque la voix féminine l'arrêta.

"Tu me dois un verre, Gatien Illys... Rejoins-moi dans dix minutes."

Puis elle mit fin à l'appel avant que l'étudiant n'ait pu le faire lui-même.

Ce dernier observa à nouveau son mobile avec une certaine hostilité. D'un autre côté, cette voix, aussi mystérieuse qu'identifiable, attisait sa curiosité. Il connaissait cette jeune fille, mais ne pouvait se rappeler son visage. Ressassant alors ses souvenirs, il perdit ses dernières forces lorsque l'image de Fanny s'imposa à lui, et la tristesse le submergea comme une mer déchaînée. La colère et l'amertume vinrent ensuite remplacer ce sentiment de perte terrible, et le lycéen se dirigea vers son scooter dans l'optique de tout oublier grâce à la boisson.

Il gagna le bar dans les temps escomptés, mais ne chercha pas à deviner l'inconnue qui l'avait invité en prenant place au comptoir. Si elle le discernait, qu'elle vienne à lui. Dans le cas contraire, il passerait tout de même sa soirée à boire sans compter.

- Salut Gatien, clama l'un des barmans. Comment ça va mon pote ?

- Salut Joseph, répondit l'adolescent sur le même ton. Tu me donnes une blonde ?

- Tout de suite.

L'étudiant remercia son ami. Encore mineur, la consommation d'alcool lui était normalement interdite. Mais à force d'allées et venues, il avait réussi à se créer un réseau fiable, discret, et plus tolérant sur l'âge et ses prohibitions que d'autres professionnels. Puisqu'il paraissait plus vieux que ce qu'il en était réellement et que le milieu "bars et boîtes de nuit" le connaissait bien, il échappait presque toujours aux demandes de carte d'identité pour réaliser tout ce dont il avait envie.

- Merci vieux, fit Gatien en recevant sa bouteille.

- De rien. Et sinon...

- Bonjour.

Les garçons tournèrent la tête. Assise sur le siège voisin à celui de Gatien, une jeune fille blonde souriait. Coude sur le comptoir, elle semblait tout à son aise, et dévisageait le lycéen sans retenue.

- Qu'est-ce que je vous sers ? bredouilla Joseph.

- Une brune, et c'est lui qui paye, osa-t-elle en pointant Gatien du doigt. Il me doit un verre, ajouta-t-elle, radieuse.

L'adolescent contempla son inconnue, bouche-bée. En temps normal, les filles qui souhaitaient se voir offrir un verre ne désiraient vraiment qu'une chose : être servie sous les draps. Or la jolie blonde intriguait par sa démarche. Aussi avenante qu'en retrait, elle semblait vouloir parler sans réussir à faire autre chose que couver le garçon des yeux.

- Tu te souviens de moi ? lança-t-elle enfin, le regard charmeur.

- Comment oublier... murmura Gatien en rougissant.

La jeune fille sourit encore.

- Je ne pensais pas que tu serais embarrassé de me voir. Les femmes qui ont gouté tes lèvres ne doivent plus se compter.

- Mais celles qui se jettent sur moi pour m'embrasser sont moins nombreuses... En fait, comment tu as eu mon numéro ?

- Ton copain Joris me l'a filé. J'avais peur que tu ne m'appelles pas, et il faut croire que j'avais raison.

Interrompus par le retour de Joseph, les jeunes gens se turent un instant, ce qui permit à l'adolescent d'examiner plus en détail la jolie blonde. La vingtaine, elle avait de grands yeux bleus, une longue chevelure ondulée, un nez droit et des fossettes ravissantes. Elle portait un débardeur noir et une jupe bordeaux mi-cuisses, et son maquillage était un peu trop voyant. Mais surtout, elle dégageait un magnétisme auquel nul ne pouvait rester insensible.

- Au moins, tu es venu à mon rendez-vous, susurra-t-elle après le nouveau départ du barman.

L'étudiant ne détourna pas les yeux de ceux de sa compagne.

- J'avais soif...

- Et moi donc, fit la jeune fille sans fixer sa boisson, mais en se rapprochant doucement de lui.

- Écoute Laura...

- Lætitia ! s'exclama-t-elle en se redressant.

- Désolé... Lætitia... Je ne suis pas intéressé.

Un temps outrée par la maladresse du garçon, la belle blonde regarda droit devant elle, en silence.

- Pas intéressé par quoi ? lança-t-elle enfin, un peu brusquement.

- Eh bien, tout ce que je voudrais ce soir, c'est boire...

Lætitia se retourna. Les traits de son visage étaient passés de l'aigreur à l'hébétude en une fraction de seconde.

- Tu veux dire... te soûler ?

- Voilà, lança Gatien, épuisé.

- Pourquoi ?

Le jeune homme soupira.

- Parce que j'en ai envie.

- Ce n'est pas une excuse, insista-t-elle.

- Je n'en cherchais pas.

- Alors qu'est-ce que je fais là ?!

- Excellente question.

Lætitia se crispa quand Gatien, lui, portait la bière à ses lèvres, atone. Sous l'œil critique de sa voisine, le garçon avala goulûment sa boisson, puis la reposa en faisant signe au barman de lui apporter une autre bouteille.

- Tu devrais y aller doucement, s'élança alors la jeune fille, le sentiment de pitié prenant sans doute le pas sur le dégoût que l'adolescent pouvait lui inspirer.

- Ça va, je sais ce que je fais.

- Tu en es sûr ?

- Oui.

Mais alors que Joseph déposait une deuxième bière sur le comptoir, Lætitia arrêta son geste.

- Te mêle pas de ça ! s'emballa l'étudiant.

Et il attrapa violemment la bouteille.

- Gatien, dit Lætitia avec sérieux, qu'est-ce que tu espères au juste ?

Le garçon fit semblant de n'avoir rien entendu, et commença à avaler la deuxième boisson lorsque Lætitia attrapa son bras et le ramena violemment contre la table. Surpris, le lycéen la fixa durement, puis se dérida, jusqu'à ne plus ressentir que chagrin et désespoir.

- Je n'en sais rien, murmura-t-il enfin.

- Est-ce que tu as des problèmes ?

- En quoi ça te regarde ?

- En rien. Mais il y a toujours un avantage à se confier à un inconnu. Il reste objectif.

Gatien hésita longtemps, de sorte que Laetitia s'apprêta à partir quand il parla enfin.

- C'est à cause d'une fille, marmonna-t-il, sans se retourner.

- Tu... Tu as une copine ? bégaya la belle blonde en se rasseyant.

- Ce n'est pas aussi simple.

- Comment ça ?

L'étudiant passa une main agitée dans ses cheveux.

- Je ne sais pas ce que je veux.

- Pardon ?

- C'est-à-dire que je ne peux pas tout avoir...

L'attention de Laetitia redoubla.

- C'est qui cette fille ?

Gatien rougit intensément.

- C'est... quelqu'un qui me plaît... Enfin, je crois.

- Tu n'en es pas sûr ?

- Eh bien, je n'avais jamais ressenti ça pour personne avant...

L'adolescent écarquilla les yeux, certain d'en avoir trop dit.

- Et... elle le sait ? reprit Lætitia dont la voix tremblait de plus en plus.

- Maintenant, oui...

- Alors... elle t'a repoussé ?! largua la jeune fille, ahurie.

- Elle a dit... qu'elle ne voulait plus me voir... s'effondra le lycéen.

Lætitia posa une main compatissante sur l'épaule du garçon - sans tout comprendre à cette histoire.

- Je suis désolée...

- C'est la première fois que j'en parle, reprit Gatien en reniflant. Je ne pensais pas que ce serait si dur.

- Ce n'est jamais facile quand il s'agit d'amour.

L'étudiant se retourna, ébranlé.

- D'amour ?

- ... Ce n'est pas ce que tu ressens ?

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