Chapitre 63

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"La compassion fait agir alors que la faiblesse rend craintif", Mimosa, Zhang Xianliang

Dans la cour de l'établissement Marie Curie, les élèves populaires se regroupaient en tas éparses mais importants. On les reconnaissait de trois façons. La première était leur air revêche et leur manière de s'exprimer - très libérée. La deuxième, l'animosité gratuite qu'ils portaient à ceux qui n'intégreraient jamais leur clan. La troisième, leur manière de se comporter avec les autres pour assurer leur autorité. Sans se l'avouer, une majorité de ces étudiants ne s'appartenaient pas, mais suivaient docilement les plus téméraires. Ils étaient alors moutons. Mais la situation d'un mouton se trouvait toujours "préférable" à celle d'un autre. Un mouton était invité aux soirées, apprécié, respecté. Un autre n'était... qu'un autre.

On comptait, parmi ces bêtes tenues à la baguette, les jeunes filles prudes le jour, fiévreuses la nuit. Elles étaient toujours belles, bien sûr. Quel genre de gaillard respectable s'afficherait avec une mocheté ou une banalité ?

Pia était de la meilleure race. Une brebis comme l'on n'en trouve peu. Sa peau était douce et sans imperfection, ses yeux plus miroitants que l'eau des rivières, ses cheveux aussi éclatants que le soleil, ses lèvres désirables, son nez gracieux... Elle n'avait aucun homologue ; car qui peut dépasser un ange ?

En vérité, tout le monde.

Bien souvent, les anges ont ce défaut de se savoir magnifique. Leur beauté est leur priorité, et ils évoluent en obsessionnels. Leur égocentrisme les conduit à la folie, et ils deviennent méchants. Ils finissent jaloux de la fadeur des autres - puisque l'herbe est toujours plus verte ailleurs -, et leur cœur se pétrifie de haine. Peut-être que les anges sont à plaindre, en fin de compte. Car l'on ne peut que décliner lorsque l'on est parfait.

Dieu que Pia était belle ! Mais Dieu qu'elle pouvait être encore plus laide ! De cette laideur que nous avons tous déjà connu au moins une fois dans notre vie ; celle du misérable mouton - plus ou moins populaire, mais tout de même.

Alors que ce Jeudi s'annonçait ensoleillé, Pia quitta la voiture de sa mère, un peu crispée. Sa dernière soirée continuait de la tourmenter, et elle ne regardait sa sœur qu'entre deux rapides coups d'œil. Elle sentait que quelque chose s'était passé depuis ce week-end, mais n'osait demandé quoi - par peur, évidemment. Elle n'avait pas de rancœur pour Fanny - ces tensions ayant fini par l'épuiser -, mais cette situation lui déplaisait. Que représentait désormais Gatien aux yeux de son aînée ? Ce baiser avait-il réveillé quelque chose en Fanny ? Quelque chose de terriblement dangereux pour les ambitions de la jolie blonde ? Pour sûr, cette dernière ne s'arrêterait pas à un rejet pour gagner le cœur de celui qu'elle aimait. Sa sœur devait le savoir. Pourtant, cette énergie - souvent dépensée pour rien - l'éreintait à mesure qu'elle l'utilisait. Gatien se montrait toujours distant avec elle, ce qui avait de plus en plus tendance à l'ennuyer, plutôt qu'à l'attrister.

Elle passa devant Joris et son groupe d'amis. Le garçon la salua poliment, d'une voix étonnamment timide pour son caractère débordant. Pia lui répondit par un sourire distant, et s'éloigna. Elle ne fléchirait jamais face aux attentes de Joris, mais cet éloignement affecta le jeune homme, et causa des répercussions dont Pia se sentit affreusement coupable par la suite.

Le lycéen avait cette faculté de pouvoir réunir un maximum de personnes au même endroit dès qu'il en ressentait l'envie ou, dans le cas présent, le besoin. Quand il appela la cour à lui - de sa voix de ténor -, les étudiants rameutèrent, curieux. Le grand loup allait parler. Le silence s'imposait.

Joris sourit. Il avait su capter l'attention de Pia. Pour amuser la galerie, il s'avança vers le premier autre qui passait par là, attrapa le col de sa chemise, et le souleva de terre. Pia écarquilla les yeux, tandis que l'adolescent lui lançait des regards amoureusement fiers. D'une fierté nauséeuse, cependant ; ce qu'il ignorait. Afin d'aggraver la situation, aucun surveillant ne se trouvait dans les parages. Une aubaine pour Joris. Un malheur pour cet autre dont tout le monde se moquait bien de connaître le nom. Personne ne se dirigea vers le bureau des surveillants pour les alerter du danger qui s'annonçait - par crainte ou sadisme pur. On bavait presque devant ce combat joué d'avance. Le titan musclé d'un côté, sa peluche à décapiter de l'autre. Les lèvres de Pia tremblaient d'angoisse. Elle voyait Fanny à la place de ce pauvre garçon, et fondit en larmes lorsque, pleurant déjà à l'agonie, celui-ci urina dans son pantalon - provoquant les rires monstrueux des autres spectateurs. Elle ne souhaitait plus que fuir, mais ne le pouvait pas. Un mouton ne quitte jamais le troupeau, ou on s'interroge. Alors elle passa plusieurs fois la main sur son visage mouillé et dégoulinant de morve, pour masquer son humanité, et applaudit, le cœur gros, l'effroyable battue. La victime de Joris tenta de se protéger, en vain. Il fut jeté au sol, et assailli de coups de pieds et de poings. Joris écrasa les verres de ses lunettes - déjà en piteux état - sur le gravier, et acquiesça sous les "Hourra" environnant. Justin - Pia apprit son nom plus tard - saignait à n'en plus finir. Il était parcouru de spasmes, et ne chercha à se relever que lorsque Joris cessa de lui tourner autour. Il se trouvait en position fœtale. Son pantalon ruisselait de pisse. Et il gémissait comme un enfant.

Comme cela était gênant...

L'adolescent au teint mat se dirigea vers Pia, essoufflé, mais, à l'évidence, content de lui. Il posait ses mains sur ses hanches et souriait bêtement. La jolie blonde ne pouvait s'empêcher de regarder Justin, tandis que la foule se dispersait - maintenant que le spectacle était fini. Elle se mordillait les lèvres, fronçait les sourcils, mais ne s'insurgea pas contre Joris. A quelques mètres de là, Kayla et Julie lui firent un clin d'œil lourd de sens, puis gloussèrent en s'enfuyant ; comme si le seul désir de Pia était d'emballer Joris après cette déclaration macho-romantique. La lycéenne usa de toutes ses ressources mentales et physiques pour esquisser un sourire diablement faux. Le brun musclé y crut, cependant, au point de se sentir assez à l'aise pour avancer ses lèvres vers les siennes. Pia recula - instinctivement -, vit Gatien un peu plus loin - plongé dans le même état de trouble qu'elle en fixant Justin -, et déglutit. Joris suivit son regard, reconnut son ami, et se liquéfia.

Il y a des amours qui ne meurent jamais.

Enfin, c'est ce qu'on dit. Mais c'est peut-être l'effet mouton...

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