- Les choses n'iront jamais comme tu veux si tu ne changes pas. Je t'ai déjà dit qu'elle préférait les mecs dotés d'un cerveau à ceux qui misent tout sur leur physique.

Le visage de Joris s'assombrit. Gatien avait toujours eu cette irrévérence à dire tout haut ce que lui craignait tout bas.

- Et moi je t'ai déjà dit de fermer ta gueule, mais faut croire que le message a du mal à rentrer, répliqua froidement le beau brun.

- Ça va, le prend pas comme ça ! Tu me parles d'elle matin et soir. J'essaye de t'aider, c'est tout !

Joris rougit et marmotta quelque juron indistinct à l'oreille de son ami, puis tenta de se reprendre. Il garda le silence jusqu'à ce que Gatien le rompe, un peu gêné.

- Tu pourrais peut-être lui demander des cours particuliers. Il faut croire que c'est son truc en ce moment.

Joris tourna la tête vers son compagnon, plus surpris par sa révélation que par sa proposition ringarde et absurde pour toucher le cœur de celle qu'il aimait.

- Elle donne des cours ?... Je pensais pas que c'était son truc...

- T'as jamais remarqué que c'était la première de la classe dans la plupart des matières ?

Non. L'attention de Joris se focalisait davantage sur les boucles blondes et soyeuses de la jeune fille que sur l'annonce de ses résultats scolaires.

- D'un autre côté, reprit Gatien, ça risque de lui faire beaucoup de travail si tu recherches son assistance.

- J'ai pas l'intention de lui demander de l'aide, s'insurgea Joris, dont les joues continuaient de s'empourprer. Je suis pas un idiot, et même si c'était le cas, elle serait la dernière personne vers qui je me tournerais pour y remédier.

- C'est toi qui vois, fit Gatien, las.

- ... Et à qui est-ce qu'elle enseigne ?

Le garçon aux cheveux châtains regarda son compagnon sans embarras. L'élève en question ne semblait ni à craindre pour Joris, ni à être caché pour les autres. Aussi répondit-il nonchalamment :

"Louis Nattier. Poil de carotte."

- Quoi ?! s'écria Joris, stupéfait.

- Ouais, poursuivit Gatien de son air sobre et exaspérant. J'ai cru comprendre qu'il faisait partie de la troupe de théâtre et qu'il allait jouer dans le spectacle de fin d'année. Sauf que c'est une vraie brêle et que Pia se donne un mal de chien pour lui faire entrer dans le crâne les règles de base pour jouer son rôle.

- Et pourquoi est-ce qu'elle aide ce crétin ?

- Je sais pas, mais ça m'étonnerait qu'elle l'ait proposée de son plein gré. On dirait que c'est plus un fardeau pour elle qu'une partie de plaisir. Je la plains sincèrement.

Joris rumina la nouvelle, totalement confus. Son ami, reconnaissant définitivement que la jolie blonde n'accepterait sans doute pas de secourir un autre "cas désespéré" par manque de temps, approuva le refus de son camarade quant à sa proposition précipitée.

- Après, tu peux toujours demander à Lou Toucan. Je crois qu'elle a un faible pour toi depuis que vous avez collaboré ensemble pour résoudre les problèmes de Raoul.

Le beau brun se frotta les yeux en se rappelant les faits.

- M'en parle pas ! Les maths étaient déjà un cauchemar pour moi. Mais avec elle, c'est devenu une phobie.

Gatien ricana, reçut un appel, puis s'excusa dans un sourire avant de s'éloigner. Seul, Joris put méditer à loisir sur l'attitude de son ami. Il sortit une cigarette, s'adossa au mur de briques qui entourait le lycée, et fuma. Des volutes de fumée s'élevaient dans l'air. L'atmosphère était paisible en ce mercredi après-midi, où peu d'adolescents trainaient encore dans la rue Marie Curie. Seule la voix de Gatien venait rompre cette harmonie. Enjoué, le bruit de fond se laissait aller à quelques rires frivoles et fatigants - cause du sourire goguenard qui s'étendit sur les lèvres de Joris. Celui-ci entendait des mots tendres dans un babillage sans importance, et s'ennuyait à mesure que la conversation à laquelle il ne pouvait participer s'éternisait. Faisant signe à Gatien qu'il comptait s'en aller, celui-ci ne s'en aperçut qu'après quelques minutes, puis leva le pouce en l'air, comprenant son départ. Dès lors, le beau brun s'en retourna vers les grilles de l'établissement, près desquelles son scooter était garé. Mais au moment de dépasser les grandes portes, un arrivant quittait la cour et lui tomba dessus. Sonné, Joris se tint la tête jusqu'à rupture de jurons lancés contre le malvenu, puis, levant les yeux vers lui, se liquéfia. La honte venant avec la réflexion, il bégaya quelques excuses à l'adresse de l'étudiant, ou plutôt, de l'étudiante.

Pia Rita-Lans sortait de son cours de théâtre et se dirigeait vers l'arrêt de bus pour rentrer chez elle. Le théâtre s'associant aux dernières paroles de Gatien dans sa tête, Joris profita de ce qu'il avait appris pour établir la conversation avec la jeune fille et ralentir sa course. La discussion dériva inévitablement sur le sujet Louis Nattier, Pia ne pouvant s'empêcher de s'emporter contre son élève "odieux, stupide et méprisable", qui était "incapable de s'investir" et lui faisait perdre son temps. Elle donna sans sourciller les raisons qui l'avaient conduite à cette situation insupportable, et pleura chaudement en s'asseyant sur le banc à l'arrêt de bus. Le lycéen l'écouta monologuer avec patience, mais, voyant qu'il ne faisait finalement office que de confident, fut presque heureux de la quitter pour ne plus entendre un mot de plus concernant l'affreux rouquin.

Avant d'enjamber son véhicule, il tourna une dernière fois la tête vers Gatien, qui n'avait pas décroché son téléphone, puis vers Pia, dont les sanglots faisaient briller ses joues fraiches et délicates. Enfin, il démarra son scooter, et abandonna, pour un temps du moins, Marie Curie et ses soucis estudiantins.