Chapitre 77

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Couchée sur son lit, le regard perdu au plafond, Fanny soupirait. Ces derniers temps, elle n'était plus que l'ombre d'elle-même. L'enquête judiciaire avançait trop lentement à son goût, et le silence des policiers n'engageait rien de bon. Sa peur grandissait à mesure qu'elle soupçonnait ses "protecteurs" de ne plus prendre au sérieux l'affaire qui la tourmentait. Sa mère, exaspérée par son air toujours plus défaitiste, assurait, au contraire, que le temps était une chose nécessaire au rassemblement des éléments qui permettraient d'enfermer, une fois pour toute, ses harceleuses.

Alors que ses sombres pensées s'accumulaient dans son esprit, Fanny tourna la tête vers la fenêtre lorsqu'une lumière vint éclairer son visage triste et pâle. Elle se leva, contempla le soleil percer les nuages gris, ouvrit les volets, et ferma les yeux en savourant la douce chaleur qui enveloppait la chambre. Abandonnant sa sinistre rêverie, elle quitta son repère, attacha rapidement ses chaussures, se vêtit d'une veste légère, et referma la porte de la maison avant que sa mère l'interpelle.

La brume avait disparu, et les oiseaux reprenaient leur chant gracieux. Fanny y trouvait un divertissement simple, mais joyeux, la pluie l'ayant souvent retenue à la maison depuis le début des vacances. Elle arpentait les rues sans but précis, et gagna bientôt le parc qui avait été le lieu d'innombrables balades. Elle s'en détourna cependant rapidement, et prit une autre voie en accélérant le pas. L'incident de l'attentat échoué avait réfréné ses envies de se promener en cet espace, et elle n'oubliait pas l'ordre impérieux de sa mère depuis lors : "N'y retourne jamais ; sous aucun prétexte."

Elle marcha longuement, sans réfléchir, mais en profitant pleinement de l'air frais que le mauvais temps proscrivait constamment. Quand ses pas finirent par ralentir, quand ses lèvres s'entrouvrirent et ses yeux s'écarquillèrent de surprise, son cerveau sembla se ranimer, et elle constata avec horreur que ses pieds l'avaient conduite à la chapelle où elle aimait, autrefois - comme son parc -, flâner. Malheureusement, les souvenirs heureux qu'elle y avaient laissés ne lui revinrent pas immédiatement en mémoire, contrairement à l'épisode de sa dent sauvagement arrachée. Les larmes coulèrent sur ses joues, malgré elle, tandis qu'elle s'avançait timidement vers le banc que la neige ne recouvrait pas en cette saison.

Aucune habitation n'était visible depuis la petite église que l'on avait oubliée. Les seuls bâtiments qui lui faisaient face étaient des fabriques ou des magasins que l'on avait fuis pour le centre de la ville - où la clientèle était plus forte - et condamnés à la ruine. Les pancartes "A VENDRE" étaient encore placardées sur les devantures, et les rares passants qui s'aventuraient dans cette partie de la ville venaient prier ou "consulter" leurs morts dans le cimetière aménagé derrière la chapelle. Comme si tout ce qui se rapportait à l'au-delà était affaire d'argent, on n'accueillait plus les cadavres et leur tombe dans le terrain isolé de Saint André depuis longtemps - ce qui expliquait le faible nombre de visiteurs.

C'était pour toutes ces raisons que Fanny chérissait cet endroit. Elle s'y sentait à sa place. N'était-elle pas, elle aussi, un objet que l'on s'efforçait de fuir ?

Mais Sophie, Mathilde et Charlotte le lui avaient pris, comme tout le reste. Et, sans le détester, Fanny ressentait de l'effroi et une certaine gêne à s'y retrouver. Fébrile, elle posa une main sur le banc et trembla à son toucher ; puis elle leva les yeux. Fleuris comme ils étaient, les arbres étaient moins beaux qu'en hiver, mais l'examen fut de courte durée. Bientôt, le regard de l'adolescente se concentra entièrement sur l'endroit où elle avait fini étendue sur le sol, évanouie sous l'effet de la douleur, quelques mois auparavant. Le sang avait afflué le long de ses lèvres, et une flaque rougeâtre s'était formée sur la neige compacte. Sa tête lui avait tourné, et elle avait naturellement fini par perdre connaissance.

Tout ceci était une scène de crime, mais l'étudiante n'en avait soufflé mot aux agents de police. Pas parce que cela ne lui était pas venu à l'esprit, mais parce que quelque chose la retenait de le faire. Une voix, ou plutôt, une force, lui disait que l'erreur ultime de cette histoire serait de les amener ici. Fanny sentait que si ce lieu venait à être fouillé et analysé par d'autres qu'elle, le crime ne serait jamais entièrement résolu. Elle s'interrogeait déjà sur ce qui pouvait causer l'attente de la véritable prise en charge de sa plainte, et sa confiance envers les policiers faiblissait en conséquence. Elle commençait à croire que cette enquête ne pourrait se résoudre que par elle-même, et était persuadée que ce lieu réservait quelques mystères à démêler.

Elle prit place sur le banc, avança farouchement la tête vers les boutiques, désormais épaves, et fronça les sourcils. C'était de là-bas que les filles étaient venues pour la tourmenter. Elle se rappelait les mots de Sophie : Mathilde les avait conduites jusqu'à elle. Mais comment celle-ci avait-elle su où la trouver ? Quelqu'un l'avait-il renseignée ?

Fanny tenait sa tête entre ses mains, cherchant désespérément à se rappeler un élément qui lui aurait semblé insignifiant à l'époque, mais qui, aujourd'hui, pouvait s'avérer indispensable pour l'enquête. Elle se souvenait des bruits de pas dans la neige, mais ne distinguait aucune autre voix que celle des trois filles. Elle regarda encore du côté des vitrines, comme si la personne dont l'identité lui manquait allait se montrer d'une minute à l'autre. Les battements de son cœur s'accélérèrent lorsque l'atmosphère changea. Le soleil disparut à travers les nuages, le vent se souleva, et la température baissa brusquement. Fanny se leva. Elle qui avait repoussé les limites de son imaginaire pour tenter de discerner une voix familière lors d'un évènement sordide, se voyait désormais submergée par des dizaines d'autres, inconnues. Les fantômes du cimetière lui parlaient à l'unisson. Messagers furieux, ils sifflaient, criaient, déchiraient les tympans de l'adolescente. Malgré tout, Fanny crut saisir certains mots dans cette floppée de paroles indistinctes, accompagnée de rires terrifiants.

"Incrédule..."

"Naïve..."

"Faible..."

La lycéenne plaqua ses mains sur ses oreilles. Le front ridé, les yeux clos et le visage contorsionné, elle se débattait pour repousser ses hallucinations.

"Regarde là-bas... Regarde là-bas..."

Ses paupières s'ouvrirent, et ses yeux se posèrent encore sur les magasins lugubres.

"J'ai déjà regardé !" s'écria-t-elle à son tour.

"Non... Non..."

Le front luisant de sueur, le souffle court, Fanny trébucha plusieurs fois avant de s'arrêter devant les commerces - que la tempête à venir rendait effrayants. Son regard déterminé sonda portes, trottoirs et allées, sans rien trouver d'intéressant. Ses doigts tapotaient les vitrines comme un aveugle cherchant l'entrée de l'établissement, et elle tressaillit lorsque les voix se firent à nouveau entendre.

"Par ici... Par ici..."

La jeune fille arrêta ses gestes, et, poussée par un élan indescriptible, tourna la tête en direction de l'allée la plus sombre. Elle plissa les yeux et en scruta le bout, sûre d'y dénicher un indice - les murmures s'intensifiant avec son analyse. Elle s'avança, comme une enfant attirée par la lumière d'un feu - ici inexistante, car seuls les abysses l'attendaient. Les abysses et, peut-être, un moyen d'éclaircir son enquête. Mais alors que les voix continuaient de guider l'automate, celui-ci s'arrêta. Son pouls s'emballa lorsqu'une ombre traversa subitement l'allée, et ses genoux vacillèrent. Fanny tomba sur le sol, et se cogna contre l'une des devantures. La tête lourde et le regard trouble, elle passa une main - moite - dans ses cheveux - humides -, sentit un liquide chaud et gluant sur ses doigts, et se redressa difficilement. Ce qu'elle découvrit alors, en tournant la tête du côté de la vitrine, la pétrifia. Les voies fantomatiques l'abandonnèrent comme si leur message était passé, et la raison s'imposa à nouveau à elle.

"Je suis folle. Je suis folle..." murmura l'adolescente en tentant - vainement - de se calmer.

Pâle comme la mort, les cheveux et le front rouges, le regard vide et le pas incertain, elle se répéta ces mots jusqu'à la maison. Elle ignorait encore quel chemin elle avait emprunté pour y arriver, mais fut heureuse de se débarrasser de ses affaires trempées. En la voyant entrer, Madame Rita-Lans ne put étouffer un cri d'horreur.

- Mais qu'est-ce que tu fais dans cet état ?!

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