Chapitre 49B: juillet - août 1800
Thomas ( +21 juillet 1800)
Le dimanche vingt juillet, alors que nous écoutions religieusement les prières du frère Paul dans l'église Saint – Maclou, comme chaque semaine, Marie s'attira les foudres des fidèles en me tapotant pourtant discrètement l'épaule.
—''Je crois que je perds les eaux Louise...
Franchement étonnée, je ne trouvais qu'a lui répondre.
—''Vous êtes sûre ? Mais...
Sans que je ne puisse rajouter quoi que ce soit, elle remonta l'allée principale et quitta l'édifice au pas de course. Évidemment, l'assemblée et le prêtre s'interrogèrent un instant sur le pourquoi d'une telle attitude, avant de finalement reprendre leurs chants religieux comme si de rien n'était. Son mari en revanche me suivit jusqu'à dehors, où Marie se tordait de douleur appuyée contre le mur. Nous rentrâmes au plus vite, et le lendemain matin, après une nuit de souffrances, elle mit au monde un minuscule garçon, bien avant terme, mais vivant.
Bientôt, la sage – femme laissa place au médecin, qui nous conseilla de lui faire nos adieux, car il était évident que ce petit être informe, aux mains aussi fines que mon pouce et sans ongles, ne vivrait pas. Léon – Paul était resté cette nuit - là au chevet de sa femme, et il espérait un miracle qui sauverait son fils. L'enfant, terriblement fragile et à la respiration saccadée, fut baptisé dans les lieux mêmes où il avait vu le jour, pour lui éviter une sortie fatale. On l'appela Thomas, comme l’apôtre de Jésus.
Au matin, tandis que mon fils devait partir travailler, nous fîmes de notre mieux pour lui rendre la vie douce. Sa maman essaya de le mettre au sein, mais d’abord il n'avait pas la force de téter, et puis il s’avéra qu’elle n’avait pas encore eu ses montées de lait. Nous prîmes alors un peu de lait de chèvre qu’elle mis sur son doigt et lui appliqua sur les lèvres. Cela provoqua une légère réaction du bébé, mais pas sa faim. Je pris mon petit – fils dans mes bras, et après un ultime bâillement, il s'éteignit à jamais, sans doute déjà trop épuisé de ce temps passé sur Terre. Nous le gardâmes avec nous jusqu'au soir, où le père, en pénétrant dans la chambre et sans que nous ne disions rien, retira son chapeau, comme si il avait déjà compris ce qu'il était advenu de Thomas. Sur rendez- vous pris par Léon – Paul, un officier d'état civil fis irruption un peu plus tard chez nous, pour venir constater à la fois la naissance et le décès du nouveau – né, et établir un acte officiel de déclaration.
Suite à ce drame, et après l'enterrement, l'ambiance resta froide quelques jours à la maison, avant que la lettre de Malou, reçue le 25 juillet, ne vienne ensoleiller nos journées, et nous rappeler que la vie reprendrait toujours le dessus sur la mort.
Chère Louise,
J'espère que la santé suit avec les années, et que votre petite – fille grandit bien, vous devez faire une très bonne grand – mère, ayant de toute manière fait une formidable mère, avec vos enfants, comme avec ceux que vous n'aviez pas porté. Indescriptible ? Serait – ce le mot approprié pour vous décrire le bonheur dans lequel je nage depuis les 18 et 19 juillet ? Sans doute, car la naissance de mes jumelles, aussi inattendue que longue, me gave et m'emplit une nouvelle fois de cette maternité que j'adore. Elles sont magnifiques, bien éveillées, malgré que Marie - Camille, née le lendemain de Marie - Augustine, soit un peu plus petite et plus chétive. Au moment où je vous écrit, nous demeurons cloîtrés dans la maison, car la chaleur est étouffante dehors, et mes aînés s'énervent de ne pouvoir aller profiter du jardin, mettant à rude épreuve le travail des nourrices et des domestiques, essayant tant et si bien d'empêcher les bêtises d'Amand, ma petite terreur de trois ans. Bernard me dit avoir très envie de vous revoir, et de connaître son cousin et sa cousine, à Rouen. Je parlerais à Armand de la possibilité de nous y emmener, même si la saison ne serait pas idéale, car il doit aller vérifier le sept décembre la conformité des plans qu'il avait dessinés d'un hôtel particulier à Saint-Germain en Laye, et sans doute, si jamais il accepte de nous prendre avec lui, cela ne le dérangerait pas de faire un détour par Rouen. Bernard vient d'apprendre à lire, à écrire, et je lui ai fait promettre de vous montrer ses progrès quand nous irions vous voir.
Affectueusement, Malou
J’expliquais à Marie comment stopper ses montées de lait, en bandant sa poitrine, et je la rassurais lorsqu'elle paraissait désespérée, d'avoir attendue sept mois ce petit qui était aujourd'hui sous terre. Alice n'avait pas vu, ni su l'existence de ce frère, car elle était trop jeune selon ses parents, pour comprendre ce que Dieu avait voulu, et puis, en ce moment, ce qui comptait pour elle, c'était d'avantage les poignées de porte qu'elle s'acharnait à vouloir attraper, les placards à ouvrir et les courses à quatre pattes, car cela allait toujours plus vite, contre sa mère ou moi lorsque nous essayions de la prendre pour aller changer ses langes ou l'emmener dans son berceau. Elle y passait toujours ses nuits, près du lit de ses parents, mais ça ne durerait plus longtemps, car Marie l'avait parfois surprise debout dedans, heureusement toujours assez tôt pour empêcher un accident. Pour la petite fille de quinze mois, dormir dans la chambre de ses parents avait un grand avantage, celui de pouvoir aisément réveiller sa mère la nuit et terminer au grand bonheur dans son lit, au creux et dans la chaleur de ses bras. Cela provoquait les foudres de son père, car un enfant était dans un lit conjugal un véritable tue l'amour, et la petite, surtout lorsqu'il faisait chaud, remuait énormément. Cependant, sous ses airs de père froid et austère, Léon – Paul veilla sa fille lorsqu'elle tomba malade et vomit tout son repas sur le tapis de leur chambre, ou lorsqu'elle attrapa la varicelle, et mourut presque de fièvre.
C'est suite à ces maladies attrapées durant l'été qu'il décida à la fin du mois d'août de l'emmener à l'hôpital pour la faire varioliser, immuniser contre la variole. Marie et moi le trouvions complètement fou, de vouloir rendre malade Alice pour soit disant la protéger, mais il passa une de ses soirées à nous expliquer le fonctionnement et les bien – fondé de cette méthode inédite. Malgré cela, les heurts reprirent entre les deux époux. Marie sanglotait en serrant sa fille contre elle, en reculant lorsque Léon – Paul s'approchait.
—''Pourquoi veux - tu la tuer ? Hein ?
—''Arrête Marie, c'est ridicule. C'est pour la protéger, la protéger comprends tu ?
—''Si tu n'aimes pas l'enfant que je t'ai donné, alors tu ne m'aimes pas non plus. N'approche pas, ne la touche pas. Si c'est ainsi, j'aurais plus vite fait de retourner vivre chez mon père.
—''Arrête de raconter n'importe quoi. Je veux juste la protéger. N'a t-elle pas manqué de mourir déjà cet été, de la gastro entérite, de la varicelle ? Si elle attrapait la variole ou une autre maladie grave? Veux-tu l'enterrer comme Thomas ?
—''Thomas est mort parce-qu’il est né trop tôt, il n'était pas malade. Mais en fait, c'est justement ce que tu veux faire, la rendre malade. Cela t'arrangerais bien qu'on disparaissent toutes les deux, et que tu puisse refaire ta vie tranquillement, n'est – ce pas ?
Il s'approcha tout près d'elle, et lui lança.
— Écoute moi bien Marie, j'ai eu trois frères et une sœur, qui sont tous morts très jeunes. Deux auraient peut - être pu être sauvés et continuer de fêter leurs anniversaires si un tel soin avait existé. Aujourd'hui, ma mère prie chaque soir pour ces enfants qui auraient pu devenir des adultes extraordinaires. Alors s'il te plaît, comprend – moi, comprend l'avancée de la médecine et empêche – moi de perdre ma fille.
—''Sont t-il morts de la variole ?
—''Non mais ils auraient pu.
—''Eh bien alors ! Je veux bien tenter de comprendre les médecins, mais si tes frères avaient été piqués contre la variole, cela n'aurait rien changé à leur sort. Je ne veux pas que ma fille serve de cobaye à des pseudo - scientifiques qui font mourir des enfants pour leur gloire personnelle. Il existe des tas d'autres maladies qu'elle est susceptible de contracter, et ce serait ridicule de la rendre malade pour paradoxalement espérer la protéger d'une seule parmi toutes.
Leur débat dura encore longtemps après que je soit monté me coucher, car la voix grave de mon fils résonna tard dans la nuit. Il aurait de toute façon le dernier mot, mais j'étais complètement d'accord avec les arguments de ma belle – fille.
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