Chapitre 53A: mai - juin 1804
Du haut de mes cinquante-quatre ans, je pouvais m’estimer heureuse d’être arrivée jusqu’ici en relative bonne santé. Mes seules douleurs récurrentes et assez pénibles venaient de mon dos, et m’embêtaient régulièrement pour m’occuper de mes petits – enfants, surtout Frédéric, le plus jeune de la fratrie, qui me rendait parfois chèvre. J’avais parfois l’impression de remplacer ma belle – fille dans l’éducation de ses enfants, tant je m’en occupais, mais cela me convenait bien, car je voulais qu’ils profitent de leur chance de connaître leur grand – mère, ce qui était rare à notre époque, où la plupart des enfants avaient a peine le temps de profiter de leurs parents dont l’un des membres décédait souvent prématurément. Je me serais senti capable de prendre soin d’eux si cet effroyable malheur nous tombait dessus, car au fond, je n’étais pas si âgée que ça et je les aimais follement, surtout Alice pour ne pas mentir. Elle avait quelque chose en plus par rapport à son frère et sa sœur d’inexplicable et profond. Dans le courant du mois de mai, nous reçûmes une lettre qui m’inquiéta au vu des premières lignes. Elle avait été écrite le sept mai dernier, ce qui remontait déjà à deux semaines.
Madame Aubejoux,
Au regard de l’état de mon épouse, de son incapacité à écrire ou dicter et de sa demande insistante de vous donner des nouvelles, c’est moi – même, monsieur Corcelles, qui vous fait part de la naissance de mon fils baptisé Pierre – Marie, Armand, Gilles, le premier jour du mois de mai 1804, à neuf heures du matin. Le nouveau – né se porte bien, même si sa mère éprouve une grande fatigue assez inhabituelle et peine à se remettre de l’accouchement, à mon inquiétude légitime. Il sera tout a vote honneur et intérêt de nous écrire pour prendre des nouvelles par la suite.
Chaleureusement, Armand Corcelles.
On voyait bien dans le soin apporté à l’écriture et le pesage des mots la différence avec ce que ma nièce aurait pu écrire. Hésitant d’abord de peur de recevoir une trop mauvaise nouvelle, je me lançais dans la rédaction d’une réponse pour la famille Corcelles, en espérant en recevoir prochainement des bonnes. L’été chaud et beau s’annonça vers la fin de ce mois de mai, d’une part Marie sortit enfin de son armoire sa jolie robe légère reçue après commande l’hiver dernier, et Frédéric notamment, pu se défouler avec ses sœurs dans le jardin ‘’ infini ‘’, comme l’appelait Alice. Pour pouvoir les laisser gambader sans exiger notre présence constante, j’avais un jour demandé a mon fils de faire installer des barrières ou même simplement une grande haie de façon à délimiter le fond de notre terrain. Il ne l’avait jamais fait et nous nous coltinions donc la surveillance, en nous relayant avec un livre ou une robe a raccommoder sur les chaises installées exprès par nos soins. Lorsque l’orage grondait ou que les grosses gouttes de pluie commençaient à éclater sur nos nez et nos têtes, nous rentrions en catastrophe sous les éclats de rires des petites qui adoraient ça, et Frédéric, deux ans, qui ronchonnait en plissant les sourcils, frustré d’avoir été subitement stoppé dans son jeu. Sa mère me rapporta qu’elle le trouvait craquant lorsqu’il faisait de telles grimaces.
En juin, ma nièce me rassura, en nous écrivant un billet comme pour se faire pardonner, même si c’était tellement ridicule de penser cela.
Louise,
Si je vous souhaite une bonne santé et une joyeuse nouvelle année à tous les six, je reste infiniment désolée d’avoir laissé mon mari vous faire parvenir de mes nouvelles. Je tiens a vous rassurer, je me suis depuis remise de mes couches, même si la sage – femme et le médecin qui venaient régulièrement durant mon long rétablissement m’ont affirmé qu’une énième délivrance m’emporterait probablement. Heureuse cependant de pouvoir profiter de mon benjamin d’un mois, qui comble surtout Amand, excité a souhait d’avoir enfin eu le petit frère qu’il désirait, et que mon mari m’ait permis d’accéder a mon vœux de pouvoir tester l’allaitement. Cela s’est vite réglé, au bout de quatre ou cinq jours, car Gilles ne parvenait pas à prendre suffisamment de lait, mais j’aurais regretté de ne pas avoir pu ressentir cette sensation effectivement étrange. Pour ce qui est de la réception, j’ai prévenu mes deux adorables belles – sœurs Louison et Laurence qui vont tenter de convaincre leurs maris respectifs, et je compte sur vous pour vous libérer suffisamment de temps pour venir à Bordeaux. Suite a un long échange épistolaire avec mon frère aîné, dont le mariage est ( enfin ) convenu pour le quatre octobre prochain à Rouen, je passerais chez vous entre le vingt – huit ou vingt - neuf septembre et le deux octobre seulement avec mes trois enfants les plus âgés, car ça n’aurait aucun intérêt pour les autres, trop jeunes, et les couchages risqueraient de toute manière de manquer.. Tout ça est le résultat d’un cheminement en compagnie de Armand, de discussions pendant les longues et ennuyeuses soirées d’hiver. Je vous tiendrais au courant des avancées de l’organisation de l’événement,
Bons baisers, Malou.
Les temps très chauds revinrent rythmer nos vies plutôt monotones. Il y a quelques mois, nous nous étions toutes deux rendues au presbytère de Rouen pour nous renseigner sur l’inscription de Alice en pension, car la petite irait l’année prochaine sur ses six ans, l’âge habituel pour débuter ces apprentissages. Nous venions de recevoir une lettre d’admission de l’enfant, qui effectuerait donc sa rentrée en octobre 1805, au pensionnat Jean-Baptiste de la Salle, à Rouen. Nous souhaitions attendre avant de coudre ses boutons et lui faire essayer sa robe, car elle grandirait probablement beaucoup en un an et demi. Son père le lui annonça un soir, après l’avoir invité avec nous, devant la cheminée éteinte.
—''Viens près de moi. L’enfant me fixa, étonnée, avant d’obéir docilement. D’ici un an, tu entreras en pension, chez les frères chrétiens légats de Saint Jean – Baptiste, comme ta mère et ta grand – mère ont été t’y inscrire tantôt. Je tiendrais a ce que l’on te procures un exemplaire du livre saint pour que tu débutes véritablement ton catéchisme avant cette rentrée importante. Est – ce clair de ton côté ?’’
—''Oui papa. Pouvez – vous juste me dire quand je rentrerais à la maison ?
—''Je ne suis pas en mesure de te répondre Alice. Il se tourna vers nous. Peut – être l’une de vous deux saurait ?’’ Je sentis que Marie voulu parler, mais elle se retint, contrairement a moi. ‘’ Je crois avoir entendu un congé d’une semaine pour la Saint – Nicolas, et d’un ou deux mois durant les périodes les plus chaudes. Sinon, l’institution accueille les jeunes filles jusqu’à quatorze ans.’’
—''Bon, c’était tout.’’ Il se leva, monta dans la chambre, et redescendit avec son boîtier qui contenait tout le nécessaire pour entretenir sa pipe, et surtout le tabac dont il la bourrait. C’est ainsi qu’il s’occupa durant toute la fin de la soirée, attablé derrière nous et particulièrement concentré.
Cet été – là, Léon – Paul travaillait toujours autant et l’ennui à la maison restait assez terrible, comme pour tout le reste de l’année à vrai dire. Jeanne faisait beaucoup de tâches à notre place, le ménage, la cuisine, et souvent nous l’aidions, pour nous occuper. Alice mettait parfois la main à la pâte, elle était gourmande comme moi, qui adorait aussi à son âge faire la cuisine.
Marie me confia son souhait d’aller voir la mer, ou simplement rendre visite à ses sœurs à Saint – Germain en Bresle, mais la chaleur me rendait un peu apathique et peu encline à supporter un long voyage de six heures avec les enfants, tous trois dans le même état de fatigue que moi. Mon fils nous quitta une semaine en août pour se rendre à Paris rencontrer d’autres collègues, comme il le faisait quelques fois.
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