Chapitre 58C: septembre 1809
Lorsque nous allâmes avec Marie, alors enceinte de six mois, chercher Alice et Louise-Marie au pensionnat le premier septembre, il se déversait des trombes d’eau sur Rouen, et nous courûmes presque sur les chemins d’aller et de retour, moi tenant la main de la plus jeune, elle son parapluie. Comme les années précédentes, elles sortirent avec leur uniforme bleu, qu’elles échangèrent au chaud à la maison contre les robes de semaine. Louise – Marie, huit ans, se mit à sourire en voyant le ventre de sa mère après qu’elle ait retiré son ample manteau.
— Maman attendrait – elle un enfant ?
Alice, apparemment énervée, la reprit.
— Pourquoi poses – tu la question ? Si tu t’en doutes, c’est que c’est vrai.
N’aimant pas plus que cela les rabats – joie, je la reprenais.
— Que se passe t-il ? Pourquoi vous en prenez – vous ainsi à votre sœur ?
— C’est juste que je trouve sa question ridicule.
Si la grande ne décrocha qu’un petit sourire, Louise – Marie sauta de joie dans les bras de son frère à l’annonce du prochain séjour à la mer. Frédéric lui présenta aussi très fier son beau jouet, avec lequel ils s’amusèrent longtemps, entre deux coiffages de la poupée Joséphine, qui reposait sagement sur son lit durant ses longues absences. Le soir même ou le lendemain, lors d’un souper, Marie s’adressa à son mari.
— Je ne vais sûrement pas venir avec vous à la mer.
Il releva la tête, arrêtant un instant de manger.
— Pourquoi cela ?
— Tu sais bien Léon – Paul.
— L’air marin est excellent pour les femmes de ton état. Il n’y a aucune raison pour que tu restes ici.
La mère de famille rajouta un peu après.
— Je n’ai pas envie de venir. Pourrais – tu respecter mon souhait ?
Sa mauvaise habitude de frapper du poing sur la table reprit le dessus.
— Je n’en ai rien à faire ! Tu nous suivras et puis c’est tout ! Non mais… Pour qui te prends – tu ?
Le soir pourtant, alors que dans mon lit, mon oreille guettait, tout resta parfaitement calme.
Quelques jours plus tard, mon fils nous annonça qu’il avait choisi avec l’accord de ses collègues les dates de notre séjour à la mer, qui aurait donc lieu du mercredi treize au samedi seize septembre.
Nous préparâmes les malles avec les enfants en début d’après – midi du douze, pour un départ prévu en fin de matinée le lendemain. Frédéric me parut être le plus impatient, il me rappelait moi au même âge, qui, vite lassée de la routine dans mon abondance et ma gâterie d’enfance, sautais partout dès que l’on lui annonçait un changement de décor. Si je faisais confiance aux filles pour la préparation de leurs bagages, je préférais surveiller le plus petit, pour être sûre de ce qu’il emmenait, et ne pas devoir emprunter une nouvelle malle alors que nous aurions eu la place de mettre des affaires si un jouet ne l’avait pas monopolisée. Au bout d’une heure, les deux malles de Alice, Louise – Marie et Frédéric étaient bouclées, et il ne restait plus que les nôtres à remplir. En tout, nous en possédions quatre, dont deux pour les enfants, et autant pour les adultes. Marie et Léon – Paul, qui couchaient dans la même chambre, s’en partageraient logiquement une, et j’hériterais de la dernière.
Ce séjour était aussi une occasion pour mon fils de tester pour la première fois véritablement sa confiance envers Jeanne, qu’il laisserait seule à la maison avec le double des clefs, du mercredi au samedi inclus. Marie me rapporta qu’il l’avait prévenu qu’en cas de doute sur la disparition d’un objet, peu importe soit – il, il n’hésiterait pas à la renvoyer. Mais nous savions tous au plus profond de nous qu’il n’y avait rien à craindre pour nos affaires.
Léon – Paul travailla jusqu’au mercredi midi. Après le repas prit en compagnie du charitable docteur Larousse, qui nous emmènerait jusqu’à Criel – sur – mer, nous aidâmes Jeanne à charger les malles sur le toit. Avant de partir tout de même, nous fîmes un tour de la maison pour vérifier que rien d’essentiel n’avait été oublié dans l’excitation du départ. Une fois tout le monde serré sur les banquettes du joli coupé, Léon – Paul, lunettes chaussées sur le nez et traités entre les mains, assis près de son épouse et de leur fille aînée, me faisaient face, moi qui essayait de contenir l’excitation du petit garçon, assis à la fenêtre, en face de sa sœur.
Petite Louise – Marie ne disait rien, assise tout près de moi, elle luttait juste pour ne pas glisser et tomber par terre avant que Jeanne ne referme la porte de la voiture. Une fois le départ annoncé, elle colla d’abord sa tête bien coiffée contre celle – ci, puis attacha le rideau qui la gênait et s’endormit finalement pendant presque une heure, malgré les secousses. Frédéric lui, observait et commentait le paysage qui défilait, d’abord des champs, puis la ville, encore des champs, de nombreux petits villages et enfin, une auberge, où un arrêt fus nécessaire notamment pour permettre implicitement à mon fils de se soulager, car si nous n’hésitions pas à faire dans la nature, pour lui trop pudique, il fallait un pot de chambre dans un endroit clos. En attendant, je m’en allais acheter à l’aubergiste peu sympathique une boîte de biscuits qui permit a nos estomacs de cesser un peu de réclamer, jusqu’au souper.
Un peu plus tard, alors que nous étions pourtant tout proches de Criel – sur – mer, je sentais déjà l’odeur de l’iode, le petit garçon de sept ans éprouva une envie pressante. Évidemment, sa sœur de huit ans réclama à son tour, et nous dûmes nous arrêter au bord de la route pour éviter un incident. Marie et Léon – Paul restèrent avec Alice, pendant que j’emmenais les petits un peu plus loin, dans un immense champ. Alors que j’aurais davantage pensé devoir aider Frédéric, c’est Louise – Marie qui gémit bientôt.
— Grand – mère…
Accroupie dans l’herbe rase, non loin des énormes ballots de pailles, elle tenait sa robe comme elle pouvait.
— Que se passe t -il ?
— J’ai mouillé mes chaussures…
— Que voulez – vous que je répondes à ça ? Relevez – vous, nous sommes bientôt arrivés de toute manière. Je me tournais vers le petit garçon qui rangeait son intimité dans son pantalon, en l’invitant à revenir vers le véhicule.
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