Chapitre 58D: septembre 1809
La voiture tourna longtemps dans ce quartier où de grandes demeures de briques aux volets clos s’élevaient, avant de s’arrêter sur le trottoir, devant le portail d’une grande maison. Nous sortîmes, et docteur Larousse descendit les malles du toit. Il resta un peu avec nous, usa de sa force pour aider mon fils à ouvrir la porte de bois coincée par l’humidité, et porta les bagages à l’intérieur, avant de repartir. L’odeur de vieux livres et de poussière me fis une drôle d’impression, tout de même assez agréable. Pendant que nous jugions le rez de chaussée, la cuisine, le salon et la bibliothèque, Frédéric et Louise – Marie montèrent les escaliers quatre à quatre pour aller découvrir les chambres. Dans la grande pièce de cinq couchages aux allures de dortoir, je les retrouvais chacun sur un lit, Alice feuilletant un livre, son frère, à genoux sur le matelas, l’air tout excité.
— Nous avons tous choisi un lit !
— Je vois ça. Vous avez l’air bien installés là… Il y a t-il du bois dans la cheminée ?
Alice leva le nez de son ouvrage.
— Un peu. Mais il faudrait demander à papa d’en remettre.
Je rejoignis bientôt Léon – Paul et Marie, qui retirait déjà les draps pour en remettre des propres. A ma surprise, il n’y avait pas d’autre chambres. Logiquement, je passerais mes trois nuits en compagnie des enfants, pour ne pas gêner l’intimité du couple. Une fois les nouveaux draps trouvés dans l’armoire et installés, et les anciens laissés à la femme de ménage qui passait une fois par semaine dans cette maison inoccupée dix mois de l’année, nous enfilâmes nos manteaux et écharpes pour aller voir la mer, comme les enfants le réclamait depuis notre arrivée.
Il y avait beaucoup de vent ce jour – là, et les mouettes criaient en tournant autour de nous. Je fus cependant éblouie par la beauté du lieu, de belles demeures à colombages surplombaient un petit chemin menant à la mer, où en face, d’immenses falaises de craies formaient des remparts entre la ville et l’océan. L’unique fois jusqu’à maintenant où j’avais vu l’océan, c’était à Honfleur il y a trente – neuf ans, avec ma sœur. Les petits coururent vers la plage qu’ils découvraient pour la première fois, et Frédéric s’en retourna vers moi.
— Puis – je retirer mes chaussures grand – mère ?
— Essayez, nous verrons bien ce que répondra votre père.
Nous nous installâmes sur le sable, près de l’eau, pendant que les enfants s’amusaient, faisaient des allers - retours entre l’océan et la plage. Alice ne prit pas de suite part aux jeux de son frère et sa sœur, mais elle les aida bientôt à creuser le sable. Le souffle soulevait les robes et les chapeaux et obligeait les filles à les tenir.
Léon – Paul avait allumé sa pipe, et la fumée se dispersait dans le vent. Assis en retrait sur le muret qui séparait la plage de la ville, ses boucles rousses s’agitaient. Je vins m’asseoir près de lui.
— Ils sont heureux là vos enfants. Frédéric ! Relevez votre pantalon si vous souhaitez tremper vos pieds !
L’enfant se baissa et tenta d’y faire des ourlets, pour éviter que le sable ne vienne s’y coller si il était mouillé. Son père paraissait détendu.
— Nous reviendrons. L’année prochaine, nous passerons de nouveau trois ou quatre jours ici. Ce n’est pas trop loin et l’air est pur.
Le soir, je préparais une soupe consistante pour la petite famille dont l’air marin avait creusé le ventre, mais Marie ne vint pas s’asseoir à table avec nous. Elle dormait, allongée en travers du lit. Le coucher fus compliqué pour les enfants. Depuis le salon près de la cheminée crépitante, j’entendais les deux petits rires à l’étage, évoquant sans doute leur journée du lendemain. Alice, flottant dans sa robe ample, et ses longs cheveux tombant en bas du dos, descendit bientôt.
— Grand – mère… Louise – Marie et Frédéric n’arrêtent pas de faire du bruit, je ne peux pas m’endormir.
— Remontez vous coucher, j’arrive.
J’attrapais ma lampe à huile pour monter, il y avait de la lumière sous la porte fermée de la chambre des parents, mais ce n’était pas suffisant. Tandis qu’Alice retournait se coucher, Frédéric chahutait Louise – Marie, qui l’embrassait et la câlinait.
— Retournez immédiatement dormir ! Il détala vers son lit avant même que j’eus terminé ma phrase. Demain, il ne faut pas se lever trop tard, nous partons pique niquer. Bonne nuit.
Je me préparais au rez de chaussée, et montais ensuite me coucher, à la lueur de ma lampe à huile.
Le lendemain matin, nous prîmes notre déjeuner tous ensemble, et Alice m’aida à préparer les sandwiches, car Marie s’était encore volatilisée. Je coupais en tranches la miche de pain que nous avions acheté la veille en rentrant de la plage, et la jeune fille y tartinait un peu de graisse de porc, qui se conservait bien mieux que le beurre, déposait sur chacune deux morceaux de tomate, de la salade et du poivron, et refermait avec une autre tranche de pain. Pendant la préparation, de petits estomacs curieux vinrent nous rendre visite.
— Qu’est – ce ? Demanda Louise – Marie en manipulant un poivron.
Sa sœur s’énerva.
— Ne touches pas. Va jouer ailleurs.
— Ça a l’air bizarre. On dirait une énorme cerise.
Elle éclata de rire avec son frère et ils repartirent finalement plus loin. Nous trouvâmes un panier, et nous y rangeâmes notamment la compote de pommes préparée la veille, et déposée dans une grande boite. La grande enroula chaque sandwich d’un linge de table propre, et les déposa délicatement au fond du panier. Nous prévînmes aussi des cuillères, des verres, et une bouteille d’eau fraîche. Une fois les enfants chapeautés, couverts et prêts pour le premier pique – nique de notre vie, je m’en allais chercher les parents. Léon – Paul descendit en ajustant son espèce de foulard, il ne s’était apparemment pas rasé. Je tentais un compliment.
— Vous êtes beau comme ça aussi.
Il attrapa son long manteau noir accroché au patère, l’enfila, le boutonna et enfonça son chapeau sur sa tête.
— Si seulement je n’avais pas été assez préoccupé pour oublier mon rasoir…
Je m’interrogeais cependant, le suivant pendant qu’il cherchait les clefs.
— Marie ne vient – elle pas ?
— Si, si. Elle doit sûrement terminer de se préparer.
A force d’attendre, mon fils s’impatienta, et les enfants commençaient à tourner en rond, faisant d’incessants allers – retours entre l’extérieur et l’intérieur. Il fini par monter et depuis le salon, je l’entendis râler.
— Que fabriques – tu à la fin?! Nous t’attendons !
Elle dû lui répondre mais sans doute calmement, et je ne perçu rien. A midi, nous quittâmes enfin la maison, en direction des falaises de craie.
Trente minutes plus tard, après quelques râles des petits qui avaient mal aux jambes à force de grimper, nous arrivâmes au Tréport, où nous pûmes nous installer pour manger.
La jeune femme, la main appuyée sur son ventre rond, s’exclama.
— N’y a t-il pas d’endroit où s’asseoir ?
Je déballais les affaires, et notamment la grande nappe.
— Si, par terre. Sur la nappe.
— Je vais manger debout, ça ne fait rien.
Je lui tendis son sandwich et elle s’en alla manger plus loin, tout en marchant. La vue depuis les hauteurs était incroyable, la mer déchaînée venait s’écraser contre les rochers.
Après le dîner, nous remballâmes pour une promenade digestive. Les enfants avaient l’interdiction de courir, car aucune barrière ne protégeait des falaises qui tombaient à pic dans la mer.
— Je ne viendrais pas vous chercher bonhomme.
Le petit garçon balançait ses bras.
— Mais… Je ne sais pas effectuer de nage moi !
— C’est bien pour ça qu’il ne faut pas que vous courriez.
La journée du lendemain se déroula sans heurts, nous profitâmes un peu de la ville et de la plage avant la pluie et l’orage, et le soir, j’imposais aux enfants de ranger la chambre, en prévision du retour proche à Rouen. La soirée fus sympathique, puisque Léon – Paul enseigna à ses enfants l’art de jouer aux cartes, commençant par le plus simple, la Bataille, et poursuivant avec l’Ancienne, le tarot et la belote. Nous passâmes un bon moment en famille, tout près du feu de cheminée.
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