Chapitre 58E: septembre - octobre 1809
Quelques heures plus tard, tôt le samedi matin, ce fut le branle bas le combat pour réveiller Frédéric, Alice et Louise – Marie à l’aube, ce qui n’était pas trop dans leurs habitudes. Il fallait les faire suffisamment déjeuner pour qu’ils tiennent tout le trajet sans réclamer et sans dîner, le but étant de se dépêcher pour que Léon – Paul puisse retourner travailler l’après – midi même. Heureusement, nous n’eûmes rien à nettoyer ou ranger, puisqu’une femme de ménage devait passer le lendemain. A huit heures et demi, mon fils ferma enfin la porte à clef, et nous attendîmes le docteur Larousse, plantés devant le portail. Ses chevaux frappèrent enfin le pavé quinze minutes plus tard, et nous pûmes reprendre la direction de chez nous. Frédéric avait cueilli une petite marguerite, apparemment comme cadeau pour sa maman, mais Louise – Marie s’interposa.
— Donne la moi.
Elle tenta de la lui prendre, il se tourna mécontent pour l’en empêcher.
— Non ! Je veux l’offrir à ma mère !
— Je veux juste voir ! Grand – mère…
— Ce n’est pas à vous. Il en fait ce qu’il veut. Bon, Frédéric, si vous voulez la donner, faites le maintenant. Ou alors, cessez votre comédie.
En fait, ce n’était qu’un prétexte. Il n’avait jamais eu l’intention ou alors n’osa pas la tendre à Marie, et il la garda avec lui pendant cinq heures. La petite fleur termina sans pétales et écrasée par terre, lorsque nous descendîmes de la voiture, pour retrouver notre maison. Je poussais la porte ouverte.
— Jeanne doit être là…
Elle descendit les escaliers pour venir nous aider. Nous la saluâmes.
— Tout s’est bien passé ? Demanda t-elle
Léon – Paul réajusta son foulard.
— Parfaitement, nous vous raconterons ce soir.
Il fis le tour de la maison sans avoir l’air de vérifier, tout paraissait en ordre, comme si nous n’étions pas partis. Léon – Paul se trouvait satisfait, mais non surpris.
— Je m’y attendais. C’est une personne de grande confiance. Elle nous manquerait énormément si elle devait partir.
— J’espère que ce ne sera pas de si tôt !
Mon fils retourna au travail après son assiette avalée et son thé bu, et l’après – midi passa tranquillement. Frédéric retrouva ses copains et ses leçons le lundi suivant, et la routine reprit son cours. C’est Léon – Paul qui me rappela la date de l’exécution de Caroline de Combray, prévue le vendredi six octobre. J’y conduisis les trois enfants, après notre dîner. Bien qu’il se trouve normalement à l’école, l’absence de Frédéric pour une heure ne dérangerait pas, puisque l’événement réunissait une grande partie de la ville, son maître et ses camarades y seraient sûrement. Mon petit - fils, qui me serrait fermement la main, restait subjugué par l’animation qui tournait autour de l’échafaud, où se trouvait l’engin meurtrier. Les gens étaient fous, ils criaient, s’agitaient beaucoup. Accompagnée du bourreau, un homme encapuchonné de noir, et sous les huées des français, madame d’Acquet de Férolles de Hauteporte de son nom d’épouse, de Combray de son nom de jeune fille, fus conduite les mains liées, pieds nus, en chemise jusqu’en haut. On lui enfila ensuite une sorte de sac noir sur la tête, ce qui intrigua fortement le jeune garçon. Je m’approchais de son oreille pour lui expliquer brièvement, sans crier, mais en essayant de me faire comprendre dans la cohue et le bruit.
— C’est pour qu’elle ne panique pas en voyant la panière qui contiendra bientôt sa tête tranchée.
L’huissier nous lu l’arrêt de condamnation, bien que personne n’écoute. Allongée sur le ventre, puis la tête calée dans la lunette, la jeune suppliciée passa en l’espace d’une demie - seconde de vie à trépas. Tout était allé si vite que le peuple se souleva, jeta des tomates, hua, habitué aux pendaisons, aux interminables agonies qui lui plaisait tant. Je laissais ensuite Frédéric retourner près de l’église, pour reprendre les leçons après avoir assisté à la première exécution de sa courte vie.
Le neuf octobre, alors qu’Alice avait déjà disparue dans le pensionnat, au moment de la suivre, vêtue de son bel uniforme encore trop petit, Louise – Marie m’adressa un dernier mot.
— J’espère que l’enfant sera né quand je rentrerais en décembre.
— Oui, bon allez, nous verrons.
Les filles préparaient au pensionnat leur première communion, prévue le dimanche dix – sept décembre. Il allait me falloir louer les robes, et espérer que les coïncidences ne soient pas trop au rendez – vous. En rentrant un soir de l’école, Frédéric m’annonça tout fier qu’il effectuerait sa remise d’aube au mois de février prochain, sans qu’une date précise ne soit encore fixée. En plus de devenir la fierté de son père et de porter la robe, cela lui permettrait de devenir servant d’autel, pour servir non pas seulement le prêtre lors des baptêmes, mariages, messes et autres communions, mais aussi et surtout Dieu.
Un froid piquant et glacial arriva dès le mois de novembre, et mon fils fus contraint de dépenser énormément pour nous chauffer, en achetant du bois en grande quantité.
Marie, désormais à sept mois et demi de grossesse, passait ses journées alitée, une tasse de thé brûlante à la main, et chaudement couverte, trois couvertures se superposant sur ses pieds. Lors de ses rares descentes au salon, on aurait dit un fantôme, avec le teint blafard, les cheveux mal attachés et ses chaussons de fourrures, avec lesquels elle traînait des pieds. Son ventre imposant rendait ses robes trop petites, le laissant apparent, et elle passait donc son temps à réajuster, rejoindre en vain les deux pans de sa robe de chambre, de laquelle on avait perdu la ceinture. Frédéric ne passait jamais la voir, ne serait – ce pour lui souhaiter bonne nuit, et chaque matin ou presque, je le voyais soupirer en scrutant le haut des escaliers, au cas où. Une nuit, alors que le sommeil allait m’emporter, je cru entendre des sanglots provenir de la chambre d’à côté. Fatiguée et peu sûre de mes vieilles oreilles, je ne bougeais pas de mon lit.
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