Chapitre 58H: janvier - mars 1810
Peu de temps après le baptême, une fâcheuse mésaventure nous arriva. Chaque après – dîner, Frédéric, qui terminait les leçons à trois heures et demie, devait au plus être de retour pour quatre heures, comme il en avait l’habitude. Mais ce jour – là, en récupérant la petite après sa tétée, je pu constater avec inquiétude que mon gousset affichait quatre heures dix et que le jeune garçon n’avait toujours pas passé le pas de la porte. Je m’en allais tout de même vérifier auprès de Jeanne qui repassait au salon, au cas où il serait ressorti dans le jardin, ou monté en silence dans sa chambre.
— Frédéric n’est – il pas encore rentré ?
— Non madame. Devrait-il l’être ?
— Évidemment. A quatre heures et quart !
Je me forçais à patienter encore cinq minutes pour ne pas passer pour une folle, avant de sortir pour m’assurer que rien de grave ne s’était déroulé. Pierrette sommeillait dans son berceau après avoir prit son lait, il n’y avait donc pas de souci de surveillance à se faire. Sur mon chemin, alors qu’il ventait déjà, il se mis à pleuvoir, et je tentais de ne pas laisser s’envoler mon chapeau pour garder mes cheveux au sec, ayant oublié mon parapluie. Une fois arrivée près de l’église, je frappais longuement à la porte du bâtiment annexe. Le père Georges en personne vint m’ouvrir.
— Bonjour mon père. Frédéric serait – il ici ?
— Oui. Je reviens.
Seules quelques secondes passèrent avant que le prêtre ne me rapporte mon petit – fils fermement par le bras, qui sanglotait lamentablement.
— Ce n’est pourtant pas habituel de sa part, mais il a séché une bonne partie de la journée. Une voisine nous l’a ramené avec deux de ses camarades. Je me suis évidemment permis de le corriger et de le garder avec moi.
Très étonnée, je le récupérais par la main sévèrement.
— Vous avez bien fait. Ça lui procurera toujours plus de bien que de mal.
Nous rentrâmes. Je ne lui adressais pas un mot jusqu’au soir, où son père décida de s’occuper de lui, au courant de ses bêtises par le bouche à oreille particulièrement rapide et efficace.
— Baisse ton pantalon.
Frédéric tapa du pied, chouinant encore, le visage rouge de larmes. Léon – Paul l’attrapa au vol et lui descendit la culotte d’un coup de main.
— Maintenant mets tes mains sur la table et penche toi.
Il laissa le petit garçon dans cette pose aussi humiliante qu’éducative pendant tout le temps qu’il prit à chercher le martinet, instrument utilisé par Jeanne pour décrotter les manteaux de la boue et de la poussière. Les fesses déjà rougies par le fouet du maître, Frédéric criait et pleurait plus fort à chaque violent coup de lanières.
— Papa je vous en supplie arrêtez…
— Ne recommence plus ! Sinon je te mets dehors moi !
Lorsqu’il cessa enfin la punition, l’enfant se dandina en larmes jusqu’à sa chambre, pantalon sur les pieds, les fesses à l’air.
Frédéric mangea avec difficulté sa soupe le soir venu, mais ce n’était pas le moment pour lui de faire son difficile. Il m’expliqua simplement qu’il avait suivi ses copains dans une petite escapade à travers la ville.
Le mois suivant, dimanche quatre février, alors que Pierrette avait un mois depuis peu, nous assistâmes à la remise d’aube de son frère, malgré le fait que père Georges ait manqué de la remettre à plus tard à cause de l’incident. Alignés près de l’autel, trois enfants comme Frédéric patientaient, devant la foule de catholiques restée après la messe, dont ses parents et moi – même, Jeanne gardant la petite. En premier dans la liste alphabétique, mon petit – fils passa devant le prêtre, qui recevait au fur et à mesure les habits du servant d’autel.
— Frédéric, voulez – vous servir avec joie l’autel du Seigneur ?
Il affichait un large sourire, en nous jetant des coups d’œil.
— Oui je le veux.
Le prêtre accorda l’onction aux quatre aubes.
— Tu es béni, Seigneur, toi qui as choisi des hommes pour célébrer tes mystères. Nous te présentons ces aubes préparées pour le service de la liturgie : enrichis – les de ta bénédiction pour que tes servants les revêtent avec respect et s’attachent à vivre saintement, par Jésus Christ, notre Seigneur.
Puis, enfin, Frédéric reçu son vêtement et sa grosse croix.
— Reçois ce vêtement blanc, signe de ton baptême, vêtement du service. Qu’il te rappelle ton engagement à servir le Seigneur et son peuple.
Désormais, et il paraissait très fier, il serait amené à servir l’église une ou deux fois par mois, son maître le préviendrait lorsque ce serait son tour. D’ici la fin de l’année, il effectuerait également sa première communion.
Un peu plus tard, en montant pour aller récupérer Pierrette, mes pieds ratèrent la marche, et je dévalais les escaliers. Ma grimace en disait long. Folle de douleur, ma hanche m’élançait et ma jambe pleine de tâches brunes paraissait bien abîmée. Jeanne tenta de me ramener dans mon lit, mais elle n’y parvint pas sans l’aide de Marie. Je passais donc les douze prochains jours alitée, apprenant pendant mon malheur le décès de mon petit-neveu Charles Meursault, tombé à vingt – deux mois du balcon du premier étage de sa maison.
Comme je n’étais pas en mesure de me lever, ma jambe étant plâtrée après une suspicion de cassure, mais ma hanche me causant trop de douleur, Marie ne pouvait plus simplement allaiter sa fille et me la rendre ensuite, elle devait véritablement prendre en charge Pierrette et dans une moindre mesure, Frédéric. Laver, habiller, faire faire son rot, changer le nourrisson et réveiller son fils, la seule chose qu’il ne parvenait pas encore à effectuer seul. Ça ne paraissait pas compliqué, mais Marie, peu courageuse, n’avait jamais prit l’habitude de se réveiller avant neuf heures, neuf heures et demie le matin. Heureusement que notre bonne trouvait toujours cinq minutes pour monter en haut et frapper à la porte. Frustrée de ne pas pouvoir aider, manger ou me laver seule, je me surpris une fois à paniquer à l’idée de devoir rester dans cet état toute la fin de ma vie. Ma tristesse ne demeurait jamais longtemps, car une seule visite de Frédéric me redonnait le sourire. Mon fils vint me voir un soir après le dîner.
— Et oui, vous commencez à être âgée.
— Bon, je n’ai quand même pas cent ans Léon – Paul.
— Non non, mais vous n’êtes plus toute jeune non plus. Soyons réalistes.
— Je n’ai plus vingt ans mais je suis encore capable de beaucoup de choses, comme m’occuper des enfants.
— Je suis heureux que vous en preniez soin.
Dès que je pu de nouveau me lever, mon activité reprit. Comme les coliques s’espaçaient pour Pierrette, nous attendions l’été pour la sevrer, sur les conseils de Léon – Paul qui l’estimait encore trop jeune pour le biberon. Malgré le fait que Marie râle, sans doute pressée de se débarrasser de ce nourrisson accroché à elle. Elle m’exaspérait.
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