Chapitre 60C: novembre 1811 - mars 1812
Pierre-Jean tétait toujours le sein de sa maman, obligée de l'allaiter faute de moyens suffisants pour engager une nourrice. C'est au début du mois de décembre qu'il nous arriva une catastrophe, alors que Pierre-Jean avait eu deux mois.
Léon-Paul fermait toujours la maison à clef le soir avant d'aller se coucher mais celui-là, sans doute plus fatigué, il avait laissé les battants du portail ouverts. C'est ainsi que je fus réveillée au milieu de la nuit par un coup de fusil. Apeuré, je descendais les escaliers en tenant d'une main les pans de ma robe et de l'autre la lampe à gaz.
Au rez de chaussée, la porte d'entrée était grande ouverte, laissant pénétrer le vent glacial de ce mois de décembre.
Mon fils se tenait en robe de chambre sur le perron, son fusil récemment acquis armé sur l'épaule. Inquiète, je l'interrogeais.
- Que se passe t-il Léon-Paul?
- Une tentative de cambriolage. Ça vient de derrière. Demain j'irai chercher un chien chez le voisin paysan. Je sais qu'il a souvent des portées. Retournez-donc dormir. Je m'en occupe.
Au petit matin, une fois mon fils parti au travail, la peur m'envahissait. Et si nous étions surpris par des cambrioleurs en pleine journée ? Que devrions nous faire ?
Heureusement, nous n'eûmes pas à nous poser la question longtemps. Le soir, Léon-Paul rentra un peu plus tard que d'habitude. Il posa ses affaires et redescendit aussitôt nous voir au salon.
Je dorlotais le petit Pierre au creux de mes bras.
- Il avait déjà noyé sa portée précédente. Mais il m'a promis de me prévenir lorsque sa chienne serait de nouveau pleine, pour me garder un chiot.
- D'accord Léon-Paul.
Le vingt - cinq décembre, nous laissâmes Pierre, presque trois mois, aux bons soins de Jeanne et nous nous rendîmes à la messe de Noel en espérant y croiser mon neveu Auguste et son fils homonyme. Mais nous ne les vîmes guère et cela causa ma déception.
Frédéric traînait un peu des pieds, mais lorsqu'il vit un de ses camarades de classe, son visage s'illumina et il courut vers lui pour qu'ils puissent effectuer leur prière ensemble.
Le premier janvier 1812, il neigea pour la première fois de l'année sur Rouen. Nous nous y vivions toujours, et ce, depuis déjà treize ans, dans notre grande maison perdue dans la campagne. Nos voisins pendaient chacun leur tour leurs crémaillères, mais nous n'en avions encore rencontré presque aucun. Marie s'était faite une amie, parmi nos voisins de derrière, Anne. Célibataire, la jeune femme vivait chez un oncle qui l'hébergeait. Les deux femmes passaient du temps ensemble, elles se retrouvaient souvent lors de leurs promenades journalières. Une des rares amies de ma belle-fille.
En mars, âgé de cinq mois, Pierre-Jean commença à faire ses dents, sans nous poser trop de problèmes, il machouillait ses doigts pour se soulager, trop mignon. Il bavait énormément en revanche, si bien que Jeanne entreprit de lui coudre un bavoir avec ses initiales. Un joli cadeau en perspective. Assez calme, il pleurait moins que Pierrette à son âge.
Frédéric renversa un vase précieux ce mois de mars, et son père ne le manqua pas en rentrant à la maison.
- Vous savez ce qu'il vous reste à faire.
- Non...
- Allez, baissez moi ce pantalon.
L'enfant s'exécuta sans broncher davantage. Léon-Paul lui asséna au derrière trois violents coups de martinet, avant de le laisser remonter, et ravaler ses larmes.
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