III
Les paroles du docteur Berlioz avaient résonné longtemps. Elle ne pouvait pas reprendre. Elle en avait si peur. Elle n’y arrivait pas seule et c’était la première fois qu’on la poussait à envisager une prise en charge globale. L’idée lui paraissait saugrenue, ce n’était pas si grave. Elle ne savait plus.
Une fin d’après-midi, elle était partie en repérage. L’hôpital Sainte-Anne était grand, elle avait commencé par se perdre avant de trouver le chemin de la clinique, mais tous les détours étaient bons à prendre, de quoi se plaindrait-elle. Cela faisait toujours des calories brûlées.
En remontant l'allée vers le petit parc, elle réprima un sourire. Ils auraient pu choisir de grands scientifiques réputés dans le domaine des neurosciences ; ils avaient choisi pour gardiens de ces lieux des poètes maudits. Curieuse idée pour guérir des maladies mentales.
On semblait avoir mis un soin particulier à aménager le coin de verdure, des fleurs roses et oranges poussaient en lignée. Une merlette piquait du bec et retournait les feuilles vertes et jaunes tombées à terre pour chercher des vers. Même les oiseaux savaient se nourrir.
Elle s’était assise sur un banc pour respirer, apprivoiser le lieu. Dans la lumière déclinante, elle avait regardé le papyrus de ses doigts, la beauté des carences. Le sol poudré de givre scintillait sous ses pieds. Le soleil avait bleui, s’était posé sur elle, il réchauffait ses os. Et puis le froid venait, s'infiltrait dans son corps. Les frissons bruissaient par couches successives à mesure que les minutes passaient.
Elle aimait le froid qui l’enserrait.
C'était quelque chose à sentir, quelque chose d'anormal. C'était sa différence.
Après avoir arpenté les rayons des magasins pour des courses imaginaires, elle était revenue chez elle. Ses mots tournaient en rond, le problème ne partait pas. Laisse tomber ta maladie. Ton plan est voué à l'échec.
Son corps veut s'épuiser, rien ne se voit.
Elle s’était ri au nez.
Jour après jour, elle comptait les victoires qu'il lui restait avant sa reddition.
« C’est lorsqu’on est au bord du gouffre qu’on se relève le mieux », dit-on. Alors pourquoi ne pas s’y jeter ? Peut-être qu’ensuite on redécollera ?
Peut-être est-ce une façon d’exprimer un mal-être sur lequel il n’y a rien à dire. Il n’y a pas de mots, c’est ça, il n’y a pas de mots. Pas de raison. C’est là, c’est tout. Ça ronge, ça trompe, ça saille et ça séduit. Trop de mal, il faut sûrement que ça dégorge.
D’où c’est venu ? Qui t’a planté cette idée dans la tête ?
C’est censé être immonde, alors pourquoi c’est beau ?
Ce n’est pas grave, dis-moi ?
Il n’y a rien, peut-être ? Juste une froideur inane, un moyen sans éclat, une pathétique spirale.
Peut-être qu’il aurait mieux valu se taire. Peut-être qu’il n’aurait pas dû savoir. Maintenant c’est malin, l’idée n’arrive plus à sortir.
Les peut-être ont bouffé les certitudes, bientôt elle n'auront plus de place.
Les aiguilles tournent, ses « petites victoires » passent.
C’est entre moi et moi.
Un seul constat battait dans son esprit.
« J’ai triché. »
Elle avait interprété la maladie. Lui avait donné ses couleurs, avait dicté ses règles. Avait imposé son rythme.
Elle avait regardé ses mains qui tremblaient.
Aurait voulu qu’elles tremblent.
Aurait voulu tomber.
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