IV
Le docteur Berlioz n'avait pas demandé pourquoi la restriction, l’ivresse de la maigreur. Il s’était contenté d’être là, d’écouter.
— Vous n'avez pas choisi l'anorexie. Vous en êtes prisonnière.
Lentement, il avait énoncé une suite de lettres qu’elle n'avait pas comprises ; il lui avait dessiné des larmes autour des yeux.
— Ce n'est pas volontaire. Vous n’êtes pas coupable.
Elle avait souri autant qu’elle avait pleuré. Il lui avait fait signe de le suivre, ses cheveux gris invitant à la vie. Elle avait compté les rides de ses yeux bleus gentils. Elle était si désolée. Elle s’était levée, la tasse fumante entre les mains, dépassée par le trouble qu’elle avait construit. Il s'était absenté. Dehors tombait la pluie. Dans la brume de ses gestes, elle avait pris place autour de la table, seul le thé pour réchauffer ses doigts. Perdue.
— Vous ne souffrez pas parce que vous êtes anorexique. Vous êtes anorexique parce que vous souffrez. Vous devez en parler. Vous avez trop longtemps gardé cela en vous.
Elle voulait accepter autant qu’elle voulait fuir. Elle ne tolérerait pas qu'il dise du mal de sa maladie. Elle sentit la chair de poule sur ses bras, son corps se rebeller. Vous vous sentiez arriver au point de non-retour. La maladie faisait partie de vous et à ce stade vous ne pouviez envisager qu’elle parte. Elle y était accrochée, elle la définissait. L’anorexie est sûrement un des seuls cas où le patient aime sa maladie. Où les symptômes rassurent plus qu’ils n’effraient.
— J’ai l'impression que vous êtes prête ; vous êtes sur une lancée. Ce qui n’aurait pas été possible ici sera possible ailleurs, c’est ça qu’il faut vous dire. Je vous accompagne.
L’horizon était blanc. Au bout de sa demande, peut-être, se trouverait Paris. La cour, l’herbe, l’arche de pierre et le bâtiment vert. L’allée Apollinaire, et le parc Baudelaire. Elle imaginait pouvoir s’y sentir bien, entourée de ces noms familiers.
Elle voulait tant le croire. Semaine après semaine, il avait débarbouillé ces démarches de leur grotesque, de leur absurdité, soutenu ses appels comme des pas symboliques. Ses encouragements l’avaient portée, elle s’y était agrippée. Il lui avait donné l’élan, l’idée qu’on puisse guérir. Qu’elle en avait le droit. Qu’il fallait demander.
Emplie de gratitude, elle avait mis son merci dans un sourire. Elle n’était certaine de rien encore ; l’hésitation planait sur le fil de sa vie. Dans cette minute, pourtant, elle ne voulait que lui faire confiance.
— Pourriez-vous leur écrire ?
Annotations
Versions