XXXIII
Nouvelles têtes, nouvelle fournée.
Le premier repas avait été calme. Pas de crise d’angoisse, pas de blocage insurmontable, même devant les œufs mimosa. Atmosphère plutôt gaie, légère. Séverine avait écouté d’où venaient les nouvelles venues. Marie-Aude était officier de police judiciaire, Sophie chanteuse lyrique. Lisa venait de passer son bac. Son esprit était ailleurs. Elle se rappellerait toujours quand Viviane avait silencieusement éclaté en larmes devant son plateau.
— Depuis combien de temps tu es ici ? avait demandé sa voisine.
L’ancienneté impressionne. Elles n’avaient pas posé de question sur son poids ni d’où elle partait. La curiosité qu’elle avait vue dans leurs yeux ne s’était pas traduite en paroles. Les regards l’avaient destabilisée. Le docteur Di Milano avait-elle eu raison ? Son état avait-il été grave ? Son état de conscience s’était altéré.
Alors qu’elle sortait sur la terrasse avec sa casquette après le déjeuner, sudoku en main – un carnet que Reine lui avait offert avant son départ –, l’officier de police s’était approché d’elle, le pas sûr et paisible.
— Juste pour te dire que ça m’a fait du bien de manger en face de toi.
Les larmes étaient venues à ses yeux. Elle passait le relai, aidant d’autres à son tour. Jamais elle n’aurait pu le croire.
En la voyant prendre un complément alimentaire au goûter, Sophie avait demandé, la frayeur dans la voix :
— Et ça va ?
— Oui… Sincèrement, ça se fait étape par étape, progressivement. Et ça va. Je n’aurais jamais pensé pouvoir dire ça.
Pour leur deuxième jour, Annette leur avait fait utiliser des balles de massage. Elles s’étaient mises en binôme, la psychomotricienne avait ri en les voyant faire des manières – tu es sûre que ça ne te dérange pas ? – et se demander qui voulait passer en premier.
— Les filles, on va apprendre à être égoïste !
Elles ont conclu par de la relaxation. « Vous êtes au bon endroit, au bon moment. »
Les mois qui avaient suivi avaient été denses et nappés de brume, marqués par des jours chauds, l’été comme un réapprentissage. Elle réapprenait à écouter de nouveau les besoins de son corps, à céder quelquefois à la gourmandise qui ne l’avait jamais quittée.
Elle ne mettait plus de coussin sur sa chaise, se tenait moins voûtée, moins de crampes, ses lèvres ne tremblaient plus. Petit à petit elle changeait. Maintenant, elle pouvait prendre de la baguette au lieu de son traditionnel pain aux céréales. Les quantités des plateaux de l’hôpital ne lui paraissent plus aussi astronomiques. Maintenant, elle pouvait manger un biscuit sans systématiquement regarder le nombre de calories et la teneur en fibres. Elle lit à petites doses.
Elle avait fait des progrès, minces mais tangibles.
Il fallait essayer. Continuer pour elle.
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