Qui êtes vous ?
— Bonsoir !
— Heu, qui me cause ?
— Qui pensez-vous qui puisse vous parler ?
— Si je le savais, je n'aurais pas posé la question. Je ne suis pas si bête.
— Ah. Je suis le marchand...
— Le marchand ? Mais qu'est-ce que vous vendez ?
— Je ne dois pas le dire.
— Un marchand qui ne doit pas dire ce qu'il vend, c'est étrange...
— Tout est étrange, suspect, anormal pour les êtres de votre espèce.
— Vous vous estimez différent de mon espèce, si je comprends bien ?
— Je ne suis rien, donc oui, d'une certaine manière je suis autre chose, et bien plus important.
— Important pour moi ?
— Important pour tout le monde, et même pour d'autres espèces. Je suis celui qui apporte la paix et le trouble, le soulagement, l'oubli, le souvenir, les réminiscences, le plaisir ou le chaos. Je suis complexe, contraire, nécessaire et parfois on me craint.
— Mais qui êtes-vous ?
— Je n'ai pas le droit de le dire...
— Pourquoi ?
— Les raisons de mon silence ne concernent que moi.
— C'est quand même à moi que vous parlez...
— Je m'étonne d'ailleurs que vous soyez en capacité de m'entendre.
— On ne vous entend pas d'habitude ?
— Certaines personnes y parviennent, très peu d'adultes.
— Oh, vous bavardez avec des enfants ?
— D'ordinaire c'est plutôt eux qui s'épanchent, je me contente d'écouter. Ils sont souvent très amusants.
— Oui, j'imagine. Ce dialogue est-il censé nous mener quelque part ?
— Pas nécessairement...
— Oh. Cette discussion est fort déstabilisante.
— Vous m'en voyez navré.
— Ce n'est pas si grave, je m'ennuyais un peu.
— C'est bien ce qu'il m'avait semblé.
— Mais comment le savez-vous ?
— Je ne sais pas. Je le sais, c'est tout.
— Et c'est pour cela que vous m'avez dit bonjour ?
— Non, je saluais le monsieur qui vient d'entrer dans le salon.
— Pardon ? Mais il n'y a personne dans mon salon !
— Bien sûr que si, puisque je lui ai dit bonjour.
— Impossible.
— Vous êtes un peu contrariant.
— Parce que je vous contredis ?
— Parce que vous n'admettez pas l'évidence.
— Ce que vous nommez évidence n'est pour moi qu'élucubration de l'esprit.
— C'est un point de vue que je ne partage pas.
— Je ne suis quand même pas fou. Voilà que j'entends des voix comme Jeanne d'Arc. Ce doit être la fièvre. Cette satanée infection qui m'a cloué au lit. Ceci dit, vous n'êtes pas frais non plus, si vous racontez qu'un homme est entré dans la maison.
— Pourtant, il y a bien un homme dans le salon, il fouille un peu partout et porte un espèce de tissu sur la tête.
— Bien sûr, comme dans les films !
— Navré, j'ai du mal avec cette notion d'images animées.
— Vous êtes décidément très étrange.
— Différent, serait un mot plus approprié.
— Si vous préférez, je m'en voudrais de vous contrarier.
— Merci.
— Je vous en prie. Je me parle seul maintenant. Je vais finir à l'asile.
— Je vous le déconseille. Ils sont très bavards là bas.
— Vous connaissez ?
— J'ai une préhension différente de la vôtre en ce qui concerne l'espace et le temps. Je sais des choses et connais des lieux que vous ignorez.
— Comme le monsieur dans mon salon ?
— Comme le monsieur qui n'est plus dans le salon.
— Il est parti sans doute.
— Pas du tout. Il a fait une visite des toilettes, je ne comprends pas pourquoi il a démonté la chasse d'eau. Ensuite il a sorti tout ce que contenait le congélateur. Il porte des gants, ce n'est pas très pratique. Il s'est amusé à tout renverser dans l'autre chambre. D'ailleurs je vais éviter de vous informer de l'état de votre canapé. Maintenant il se dirige par ici.
— Nom de Dieu ! Vous êtes sérieux ?
— Absolument. Le concept de la "farce" m'est totalement étranger.
— Mais comment ce type est-il entré ?
— Par la fenêtre, il l'a un peu abîmée. Vous devriez changer de fréquentation, cet homme n'a aucun savoir-vivre. J'ajoute que ce truc sur la tête ne lui va pas du tout.
— Vite, mon téléphone ! Il y a un cambrioleur chez moi ! Mince, je file un mauvais coton ! Qu'est-ce qui m'arrive ? Porter mon téléphone à l'oreille m'a complètement vidé. Je voudrais me glisser sous mon lit, je n'y arrive pas.
— Je ne saisis pas votre raisonnement. En général pour dormir on reste sur le lit.
— Je ne veux pas dormir, je veux me cacher !
— Fichtre ! À quel moment la situation a-t-elle évoluée ?
— Allô ? Oui, j'attends.
— Qu'attendez-vous ?
— Qu'un policier veuille bien répondre à mon appel.
— C'est un peu long.
— C'est l'administration française ça, tous des fainéants. Allô ! J'habite au deux rue Grin à Martigues, et je voudrais signaler un cambriolage. Oui, merci. Non, je ne bouge pas, vous pensez bien ! Un homme cagoulé est entré et en ce moment, il se promène dans ma maison. Je me suis caché. Non, il n'est pas armé. Pouvez vous informer le Brigadier chef Pujol* ? C'est un ami. Je suis Jan Van Heur. Oh, dans ce cas, prévenez le soldat Jacques d'interpol**. Un ami aussi. Super. Merci. Oui, j'attends, faites vite.
— C'est une invention fascinante le téléphone.
— Où est le voleur ?
— Il a fait demi tour, il semble qu'il ait entendu du bruit. Il est parti chercher une barre de fer.
— Quoi !? Mais c'est révoltant ! Le salaud ! Et si je passais par la fenêtre ?
— C'est un jeu à la mode le passage par les volets ?
— Bien sûr que non, mais je dois bien pouvoir m'échapper par là ?
— Franchement, je vous déconseille fortement de vous faufiler par la fenêtre. Ce fait vous ferait franchir un cap fatidique fatalement fâcheux avec une fin aussi défavorable que funeste. Le sol est situé un étage plus bas. Je crois que le vol ne fait pas partie de vos attributions.
— Vous êtes un comique vous !
— Je l'ignore, cela vous ferait-il plaisir ?
— Qu'importe, j'aurais apprécié que mon voleur fasse un vol plané, mais je suppose que c'est utopique.
— Un voleur vole, mais ne s'évade pas en vandalisant les volets vétustes verrouillés pour volontairement voleter et virevolter tel un virtuose de la voltige valsant vaillamment suivant le vent avec vivacité.
— D'abord les "f" maintenant les "v", vous faites du zèle ?
— Assonances et allitérations. C'est exquis ne trouvez-vous pas ? Ce sont des effets de style que j'ai découvert suite au rêve d'un certain Lucivar***. Il s'amuse avec un stéthoscope sur un site appelé scribay à poster des écrits, vous devriez vous y inscrire. Il y a des jumelles, un soldat qui fait des vers, un ami du vampire Vlad, une co-équipière fashionista, une Virginie en grammes, un fugitif Lord, un charmant Mathieu, un loup tout chou, un ballon rouge mixeur, une Audrey aux cookies, une Belle avec un a, une Cos cousine, une Tara rock, un Vent poète, une Scarlett royal, une Reine aux yeux ozone, un Isoshi filmeur VIP, un Kiran qui murmure, un ours William, une compatriote ailée, et même un furet qui s'y cache, c'est vous dire...****
— Sans vouloir vous vexer, pouvons-nous en revenir au voleur ?
— Fort bien. Il approche. Je lui ai demandé de partir mais il ne m'entend pas.
— Sans blague ! Où est-il ?
— Derrière la porte, avec son arme improvisée. Il va l'ouvrir.
— Bon, on ne parle plus maintenant, je ne voudrais pas qu'il m'entende !
— Notre conversation est silencieuse, il s'agit de communication mentale.
— Ah bon ? J'arrive à faire ça, moi ?
— Étonnamment, oui. Votre état doit s'être dégradé.
— Mon état ?
— Votre santé.
— Si vous le dites...
— Attention, il approche ! La police aussi.
— Pour une fois qu'ils arrivent vite, ceux-là ! Mince, je ne parviens pas à bouger.
— C'est normal, vous êtes endormi.
— Ne me touche pas, espèce de salaud ! Pourquoi je n'entends pas ce qu'il dit ? Il parle là, non ?
— Il dit : "C'est bien ma veine, il a fallu que je tombe sur un macchabée !" Je crois qu'il estime être un veinard.
— Attendez, c'est moi le macchabée ? Mais je ne suis pas mort, je le vois et je vous entends.
— Je partage votre avis sur la question. Quatre policiers viennent de pénétrer dans la maison. Ils sont sourds à ma voix, eux aussi.
— Je crois que j'ai sombré dans la folie.
— Décidément, personne n'agit comme je l'aurais imaginé.
— Pourquoi dites-vous ça ? Oh mais pourquoi il veut me frapper avec son pied de biche, lui ? Ouf, il s'en va, merci la police ! Hey, je suis là ! Je ne peux toujours pas bouger...
— Deux policiers le tiennent en joue. Première sommation. Oh, finalement votre voleur violente les volets, s'envole volontairement par la fenêtre. Il m'a fait mentir. Deuxième sommation. Tir.
— La police lui tire dessus ? Bravo !
— Non, il tire sur la police.
— Ah, ça m'étonnait aussi !
— Il ne savait pas voler, celui-ci. L'atterrissage est malheureux. La police appelle les pompiers, vérifie ses constantes. Voilà, ils vous ont trouvé.
— Elle est jolie cette policière ! Mais qu'est-ce qu'elle dit ?
— Elle appelle au secours et demande une ambulance pour vous. Elle dit : "homme inconscient, pouls faible, demande intervention urgente. Malade." Elle a une jolie voix.
— Ses yeux aussi sont beaux... On dirait un ange.
— Je vous assure que les anges ne ressemblent pas à ça. Bien, je crois que l'on vous emmène à l'hôpital. Vous avez de la chance.
— Une piqûre ? Il y a bien du monde...
— Des ambulanciers. On vous perfuse, Bientôt vous ne m'entendrez plus....
— Qui êtes-vous ?
— Le marchand, je vous l'ai dit.
— S'il vous plaît ? Votre voix s'éteint, pourquoi ?
— Ils vous plongent dans le coma, vous quittez les limbes dans lesquelles vous étiez plongé. Adieu, j'ai pris plaisir à notre discussion. Ce n'était pas prudent de rester seul avec une infection, vous avez failli mourir de septicémie. C'est peut-être bien votre ange, finalement. Pensez à lui faire porter des fleurs, pour la remercier quand vous serez guéri.
— Promis. Dites-moi qui vous êtes...
— Adieu, je retourne dans mes sables.
Silence...
* cf texte de Xavier Escagasse "Chroniques marseillaises, opus 2 : La police du folklore".
** cf texte de Jacques Ioneau "L'étrange (et folle) histoire de la petite Rose Denoël " Chapitre 3.
*** cf texte de Lucivar "Ali, tes rations ! Et autres figures hostiles."
**** Auteurs du site, merci de votre contribution involontaire à ce texte. J'espère que cet hommage vous agrée ♥ ;)
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