Des bouts de moi debout
Dans le miroir vous verrez, à travers des bris de glace collés et patiemment polis, le reflet d’un éclair malicieux dans mes iris marron, un sourire inébranlable, même trahi par quelques passages pluvieux. Une peau à peine ridée, que taquine ce souvenir de varicelle sur la joue. Un corps modelé par la vie qu’il a porté, tout en rondeur. Des cheveux noirs, déjà bien argentés au naturel, discipliné et insoumis. À mon image.
Il paraît que je ne fais pas mon âge. J’aurais du mal à en juger, mais je porte bien cachés, les stigmates de tout ce qui m’a forgée. Le manque d’un père parti trop tôt se ressent dans les moments clés d’une vie. Mettre de côté ses désirs conduit à accepter la frustration. Les amitiés perdues, rasées par les armes, poussent à choyer ceux qui restent. La vie dans un pays où la révolte populaire est violemment réprimée dévoile la chance d’en être sortie. La perte d’un patrimoine oblige à tout reconstruire. Les années s’imprègnent d’expériences et condamnent à bâtir des digues autour d’une âme scarifiée.
Je suis tout et je ne suis rien. Enracinée et sans racines. Individuelle et communautaire. Petite de l’extérieur, grande à l’intérieur (calmez-vous, ce n’est pas moi qui l’ai dit ;)).
Paradoxale et fière de l’être. Je n’entre dans aucune case, quel que soit le domaine. Je suis de celles qui voient derrière le miroir, celles qui cherchent ce que l’on cache, celles qui entendent la petite voix dans le brouhaha, celles qui refusent d’obéir sans comprendre et peser les conséquences. Je suis bien dans le partage, l’Amour, l’entraide. J’aime l’autre, sa différence, l’individualité de nos ressemblances. Pourtant si l’on se penche et que l’on creuse un peu, on voit mes blessures, mes peurs, mes doutes, mes combats. On s’étonne aussi de mon côté sauvage, mon besoin de solitude. Je fuis le conflit, je suis compromis, entente, gagnant-gagnant. Silence et papotage.
Je me suis construite dans la différence, source de faiblesse mais aussi de force. Des parents de couleurs opposés, d’âges divergents, de cultures différentes. Deux continents unis pour donner naissance à deux fleurs qui ont fait leur joie et leur fierté. Arrivée imprévue, me voilà ! Je porte en moi cet amour, mais aussi leurs inquiétudes. Difficile d’élever des filles métisses à une époque où l’état français avait tendance à « récupérer » les enfants en cas de souci supputé, où l’état Ivoirien (pays natal), voyait une blanche et tous les préjugés que cela implique, dans de petites puces couleur chocolat. Exercice aggravé par l’image antinomique de leur duo.
Ma couleur m’a façonnée, j’ai la saveur qui coule sur ma peau, son amertume aussi. J’ai grandi dans un milieu hétérogène, multi social, multiculturel, multi religieux, multi ethnique, découvrant de la jalousie et la cruauté, de la mort et la vie, de l'entraide et l'amitié toutes les facettes. Mon père, ce phénix, m’a légué son sens critique, son ouverture d’esprit, son pays, son humour, sa mauvaise vue, sa capacité d’écoute, son amour des mots. Ma mère, veuve désormais, est une lionne dont la rage coule dans mes veines et se nourrit des injustices que je n’accepte toujours pas. « Avocate ou artiste » prophétisait mon paternel quand on lui demandait ce que sa fille ferait plus tard.
J’ai poussé dans le vent, fragile fleur aux épines devenues acérés par nécessité. Les personnes qui me croisent s’interrogent, difficile de savoir d’où je viens. J’ai une part de mystère, de rêve qu’il me plaît de conserver. Je souris, me moque, en joue en laissant deviner. Chacun voit sur mon visage des traits typiques de son île ou de son pays (Antilles, Cuba, Madagascar, Brésil, Equateur, Jamaïque…). Lorsque après un rapide tour du monde des pays métissés, j’indique mes origines, elles aussi complexes, souvent les mines sont perplexes et déçues, amusés aussi. Retour sur Terre. Et oui, avec moi, rien n’est évident ! Nous nous quittons sur un éclat de rire.
Le rire est ma nature. Je souris, je ris, je pleure. Les sentiments en exergue, je suis un concentré d’émotion. Fille du soleil, j’aime la chaleur, la mer, les danses. Jolie carte postale n’est-ce pas ? C’est d’ailleurs ainsi que m’appelle mes collègues, leur « soleil ». Mais gare à l’averse quand je commence à vouloir chanter !
Devenir mère a enrichi le quotidien, révélé l’essentiel, changer l’axe. Je ne peux pas me définir sans ma fille, mon rayon, ma complice. Aussi taquine que moi, l’humour acéré, le rire unique, une sensibilité à fleur de peau. Ma saveur en héritage. xoxo
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