Les cavaliers
LE CAVALIER BLANC
C'est délicieux ce temps pur, ce ciel limpide, la nature. Dans sa robe légère, le sourire aux lèvres et l'esprit aérien, elle flotte d'un pas à l'autre. Mais elle revient rapidement sur terre, s'attarde sur les visages, y lit tous les chagrins, les contrariétés…
Les pauvres gens, même les enfants qui prennent le chemin de l'école, sont pâles et résignés. Et cet homme sur un banc qui partage son sandwich avec un chien…
Du quidam ordinaire, à la boulangère, du facteur, à ses supérieurs hiérarchiques, elle prend les pouls du monde, c'est son boulot d'infirmière.
Il bat trop vite ce cœur, il est trop chargé ce monde. Elle ne peut pas souhaiter une guerre, mais peut-être faudrait-il stériliser au tiers-monde et partout où règne la misère. Toutes ces âmes qui n'auront ni subsides, ni vies agréables, si elles pouvaient donner leurs avis, ne souhaiteraient pas naître, c'est évident ! Les gens inéduqués ne prennent pas de décisions raisonnables, il faut laisser ces décisions entre les mains de compétences capables d'évaluer ce qui est le mieux. Elle, pourrait le faire...
Elle prend le pouls du monde et tente de le sauver.
Bien sûr qu'elle le peut ! Il suffit d'un homme, d'une femme, de quelqu'un qui ait un destin.
Dans son unité, elle prend soin de chacun, dans l'espoir de sauver un Christ.
Elle apporte ainsi son expérience, sa bienveillance à tous.
Et quand ses patients sont trop vieux, qu'elle a le sentiment que leurs présences chargent le monde, elle les aide à passer, avec affection. C'est ainsi qu'elle se sent utile.
Ce matin alors qu'elle injecte quatre-vingts milligrammes de morphine dans sa perfusion, elle encourage le vieil homme recroquevillé dans son lit :
« Ne vous inquiétez pas monsieur Bourdin, ce sera vite fini. »
LE CAVALIER NOIR
« Avec plaisir… Oui ? Cette autre boîte ? Ah ils ne sont pas très empathiques, les concepteurs de grandes surfaces, n'est-ce pas ? Je vous en prie. »
Premier shoot de la journée.
Le monsieur du quatrième, dans le plus vieil immeuble du quartier, commence sa tournée. Prêt à bondir : Interporcher, Les Clercs, Super Unique…
S'il a le temps, il se postera au pont des âmes. Il y a toujours là-bas, un clochard ou deux. C'est moins galvanisant d'aider ceux-là, abrutis, calculateurs et bien peu reconnaissants. Mais le monsieur du quatrième, en retire toutefois une certaine satisfaction ; il aide, on le maltraite, comme un martyr. C'est déjà ça.
« Dites-moi ? Voulez-vous que je vous accompagne, vous semblez bien chargée.
— Je vous remercie, ça ira très bien. »
Là-bas, la femme si mal fagotée, la pauvre manque d'argent c'est évident. Du fond du rayon, le monsieur l'interpelle :
« Je viens vous aider, attendez, elle n'entend rien c'est souvent sourd à cet âge-là,
— Mais voyons que faites-vous ?
— Je vous donne le paquet, vous semblez avoir du mal à l'atteindre…
— À le remettre monsieur, à le remettre ! Je ne vous ai pas demandé d'aide. »
Le monsieur du quatrième sort de l'établissement, ici, ce matin, les ondes sont mauvaises . Il se sent inutile, rejeté.
Il se dirige vers le jardin et s'assied sur un banc. Son visage est éteint, vieux, on ne sert plus à rien. Ça fait quelques mois qu'il le ressent si fort.
Un corniaud passe devant lui et retourne sur ses pas. Il choume le fond de sa poche. Le casse-croûte pour midi du monsieur s'y cache. Il partage volontiers. Le chien pose ses pattes sur ses genoux, il n'a pas de collier, il est assez sale… Avec espoir le monsieur du quatrième se lève et appelle l'animal. « Qu'ils aillent se faire voir tous ces ingrats, ces rombières, ces clodos ! On dit que les chiens sont fidèles et affectueux, que plus on connaît les bêtes et moins on aime les homme ! »
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