Les dames
LA DAME BLANCHE
« Ce n'est pas ce que j'ai commandé ! Vous pouvez reprendre l'assiette ! »
Elle jette un coup d’œil à droite, à gauche pour vérifier l'impact de sa querelle et comme personne ne la regarde. Sa seigneurie se ravise.
« Ça ne fait rien, laissez, je le mangerai quand même, mais j'attends un geste commercial. »
Le serveur repart sans commentaire : il lui a servi ce qu'elle avait commandé.
Elle tend ses mains devant elle, regarde ses ongles manucurés. À côté d'elle, un petit homme insignifiant, s'agite, mal à l'aise. Mais aujourd'hui, madame paraît de bonne humeur. Et sa langue de vipère choisit d'autres cibles.
« Regarde-moi cette vache ! A-t-on idée de s'engoncer dans un fourreau quand on a des mamelles pareilles ? Je te le demande ! Non en fait, non, tais-toi, je ne te demande rien. Le petit homme s'empresse d’acquiescer. Et ce vieux libidineux à ta droite, tu as vu la morveuse qu'il sort ? Il a deux fois son âge !
— C'est peut-être sa fille Bibiche…
— Imbécile ! Tu as des yeux pourtant ! Où est sa main gauche ? Pas sur la table il me semble. De toute façon ce restaurant est une façade d'adultères, un bouge dédié aux préliminaires. Crois-moi, je n'irai pas aux toilettes ici. »
Pensive, elle engloutit sa bouchée à la reine et sans vider son museau, se réjouit :
« Demain, je vire Denise, elle m'insupporte ! Un peu trop sûre d'elle, celle-là et elle fait du gringue aux clients. Sa majesté secoue la tête. C'est inadmissible !»
Des miettes de pâtes feuilletés s'éparpillent en arc autour d'elle.
« Et puis elle n'est pas si consciencieuse, elle termine tous les jours à dix-sept heures ! Tapante ! Elle me doit son salaire, il me semble ! Elle pourrait faire un effort et partir, quelques minutes après dix-sept heures ! Décidément elle m'énerve ! Ça me fera plaisir de commencer la semaine en lui coupant la tête ! Et soupirant d'aise, elle reprend gaiement, Mon minuscule ami, nous allons finir la soirée au cabaret Des genres. J'adore ces créatures un peu ridicules."
Elle pose la main sur l'entre-jambe de son mari qui consent béat. Satisfaite, sa bonne humeur bruyante balaye l'intimité des lieux.
Taisez-vous ! La reine se gondole !
LA DAME NOIRE
Il règne sur la fête, comme personne. Toujours séduisant, bonimenteur, pailleté : un astre dans la nuit. Dans le cabaret Des Genres, il est la vedette. Chanteur, danseur, magicien, son contact avec la clientèle est exceptionnel.
Il a l'ascendant et le culot nécessaire lui permettant de décider qui convient à sa cours et qui ne la mérite pas.
Il détaille le gamin timide qui vient d'arriver. Celui-là fera un malheur. De petite taille, androgyne, un maquillage léger et quelques prothèses bien faites, suffiront à attiser tous les fantasmes des hommes et sans doute ceux des femmes. En tout cas elle excite les siens. La regarder titille son pôle masculin, plus Julien que Roselyne.
La reine hésite : soit elle évince la concurrence, soit elle la subjugue. Elle n'est pas de la première fraîcheur, mais elle peut compter sur son charisme.
D'un geste de la main, elle chasse la basse-cour collée à son alléchante gourmandise. Elle mordille sa lèvre inférieur, son érection la gêne pour marcher :
« Approche mon joli, je t'engage, tu es si belle… Approche ! Je t'offre mon royaume contre ta vaisselle.»
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