Chapitre 1

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    Chaque matin, elle entrait triomphalement dans la cuisine, les paupières encore collées, et annonçait fièrement à la cantonade qu'elle avait encore passé une nuit sans dormir. Pas même une minute. Et ce pour une raison simple, s’acharnait-elle à leur expliquer avec véhémence, vexée par la circonspection que trahissaient les sourires amusés de ses frères et sœurs: malgré tous ses efforts pour compter les moutons franchissant la mythique haie, elle n’y parvenait pas. Chaque fois qu’elle tentait de se les représenter, ils surgissaient en horde, se bousculant, jouant des coudes pour se faufiler, de telle sorte qu’il devenait rapidement impossible de les comptabiliser. La scène se concluait sur un tas de moutons se roulant par terre en se tordant de rire d’avoir joué un tour à celle qui avait cru pouvoir les dompter. L’enfant affichait alors une moue boudeuse et, soupirant du fond de son lit à étages, ouvrait un livre qu'elle dévorait jusqu’à ce que le sommeil la gagne. Au réveil, elle mettait un point d'honneur à crier haut et fort ses qualités de noctambule, et ce avec une telle conviction que tous se demandaient si elle n'y croyait pas elle-même. 

    Les nuits de grande chaleur, elle glissait de son lit pour aller se blottir au fond du hamac qui reliait deux piliers du patio. Là, elle écoutait le bruit des vagues qui se heurtait à celui des bouteilles entrechoquées, lequel se muait peu à peu en rires gras, et parfois en hurlements qui la glaçaient. Puis, les cris s’étouffaient progressivement jusqu’à disparaître dans l’épaisseur de la nuit, et le remous rythmé des vagues redevenait le métronome imperturbable qui berçait ses angoisses nocturnes jusqu’à les happer dans un sommeil profond. Elle était réveillée aux premières lueurs du jour par le branlebas de combat qui animait chaque matin le port de Buenaventura, les marineros beuglant les derniers ordres avant le départ des cargos de marchandises. La fillette écoutait ces gros hommes costauds et rustres qui chargeaient des caisses et des caisses de bières, de sodas en tous genres, des myriades de fruits venus du pays entier, mais aussi de poules, de poussins et parfois même de gros cochons qui après force résistance, se laissaient traîner jusqu'à l'avant du bateau où ils s'affalaient les uns sur les autres comme un vulgaire tas de linge sale. 

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