Chapitre 22

9 minutes de lecture

- Hmm. Non, je vais rester me reposer à l’hôtel, désolée, Min-Seo.

Compréhensive, je laisse Eun-Kyung seule dans la chambre et la quitte. Je toque à la porte de celle de Su-Ah et Ha-Rin. Elles me répondent la même chose. Si personne ne veut m’accompagner, j’irai rendre visite à ma famille.

Ah-Joo ouvre la porte de sa chambre.

- Oui ?

- Heu… Tu veux aller visiter Manhattan ?

Il me fixe avant de sourire.

- Laisse-moi le temps de m’habiller.

- Je t’attends dans le hall de l’hôtel.

- Ok. J’arrive.

Il referme la porte et je soupire. Je descends les escaliers puis m’assois sur un des bancs du hall. Mon téléphone dans la main, je regarde les dernières informations sur la K-pop. Comme il n’y a rien, je lève la tête et observe l’hôtel. Il y a un arbre en pot à côté de moi, un yucca, je crois. Le sol est très beau, bien qu’assez simple et le plafond est haut.

- Min-Seo ?

Je me lève et redescends mon short en jean, ainsi que mon ample sweat noir, avec écrit en grandes lettres blanches «KOREAN BOYS». C’est Jun-Woo qui me l’a prêté. Il sent encore son odeur.

Ah-Joo est devant moi, coiffé comme à son habitude.

- On y va ? On commence par quoi ?

Je regarde l’heure sur la pendule du hall. Il n’est que huit heures, il va faire frais dehors, surtout en plein mois de février. Peut-être devrions-nous nous rendre dans un café ? Je mordille mes faux ongles roses tout en réfléchissant. L’idole me sonde et finit par dire :

- Bon, allons marcher. On trouvera bien quelque chose à faire.

- D’accord.

Nous sortons de l’hôtel en silence. La ville est déjà bien réveillée, des gens vont à leur travail, des enfants vont à l’école… Une femme habillée dans un tailleur sort d’une boulangerie en speed, parlant au téléphone. L’agitation de New York dès le matin est palpable.

- Alors, on fait quoi ?

- Euh… Allons à Central Park. Il n’y aura personne à cette heure-là.

Ah-Joo opine du chef et me suit dans les rues. Je retrouve immédiatement le chemin jusqu’au parc.

On se promène autour de l’étang, sur les chemins en petit cailloux beiges. Il n’y aucun bruit, à part le bruissement des feuilles qui recommencent à pousser, l’eau du lac et en fond, le brouhaha constant de la ville. Le calme de Central Park contraste énormément avec le reste de Manhattan. Il y a quelque chose d’apaisant dans le fait de marcher dans la nature. Je respire l’air frais. C’est rare d’en trouver, alors je veux profiter au maximum.

Le soleil encore plutôt bas dans le ciel donne des reflets dorés à l’eau de l’étang, c’est magnifique.

- On fait une promenade sur le lac ? propose Ah-Joo en désignant les embarcations.

- Pourquoi pas.

Je lui emboîte le pas. On s’arrête pour louer un de ces petits bateaux et nous nous asseyons dedans.

- Je ne sais pas ramer, avoue-je.

- Tu as vécu dix-sept ans à New York, avec la possibilité d’aller ici tous les jours, et tu ne sais pas ramer ? dit-il d’un ton moqueur.

- Roh, c’est bon.

Ah-Joo rit doucement en attrapant les rames. Le bois fend l’eau lentement, tandis que l’embarcation tangue en douceur.

- C’est joli, ici, déclare Ah-Joo, le regard perdu dans le vague.

- Oui. Quand j’en avais marre du bruit ambiant de la ville, je venais me détendre à Central Park. C’est comme si on se déconnectait un peu du monde quelque temps. Ça fait du bien de pouvoir souffler.

Il hoche la tête.

- Je comprends.

Quelques temps plus tard, on rejoint la 5eme avenue pour explorer les boutiques. On regarde les vêtements, les chaussures…

- On mange où, ce midi ?

- Laisse-moi gérer.

Je lui fais un clin d’oeil et tape un rapide message sur mon portable.

- Ok, c’est bon. Allez viens.

Je conduis Ah-Joo dans les rues de New York. On s’arrête devant une maison et je toque. Ma mère m’ouvre.

- Alice !

Elle me serre fort dans ses bras. Papa arrive derrière elle et me câline aussi.

- Entrez, tous les deux ! sourit Maman. J’ai préparé des lasagnes.

Ah-Joo s’incline et répond en anglais :

- Merci, Madame.

La maison m’a manqué. Je suis heureuse de voir que rien n’a changé. On regagne la cuisine, où Thomas est attablé, le nez plongé dans son portable.

- Tom’!

Il se retourne.

- P’tite sœur ! Ooh, c’est lui, ton mec ?

- Ah non. Mon petit ami est resté en Corée. Lui, c’est juste un ami.

- Eh bien, depuis que t’es une star, tes amis sont tous des beaux gosses ! s’exclame Thomas en serrant la main d’Ah-Joo.

Ce dernier rougit. C’est là que je comprends qu’il parle anglais.

- Merci, Tom.

- Heu, en fait, je m’appelle Thomas. C’est Alice qui m’appelle Tom’.

Mon frère me fait la bise et désigne le frigo. Il y a des photos de moi à mon concert d’hier soir, ou qu’on peut retrouver sur nos pages Insta. Il y en a une de moi et Jun-Woo.

- Un jour, tu nous présenteras ton boy friend, pas vrai ? demande-t’il, taquin.

- On verra.

Papa et Maman sortent leur téléphone pour photographier mes retrouvailles avec Thomas, nous qui chahutions tout le temps avant que je devienne idole, nos parents doivent trouver ça incroyable.

- Ta chambre n’a pas changé, dit mon frère en m’attrapant le bras pour me tirer à l’étage. Vas-y, tu peux monter aussi, Ah-Joo.

Il s’incline pour remercier Thomas. Mon aîné ouvre la porte de mon ancienne chambre. Les murs sont toujours gris clair, mes posters de Blackpink et de Enhypen sont toujours là. Sur mon bureau gisent mes cahiers de cours. Je m’approche et effleure mon cahier de physique, ouvert sur une page donnant sur un exercice non fini. Si je n’étais pas partie en Corée, à l’heure qu’il est, je serai à l’université. Mon ordinateur n’a pas servi depuis plus d’un an, il est poussiéreux. Les draps de mon lit, positionnés encore comme quand je suis partie, prennent aussi la poussière. J’attrape le cadre posé sur ma table de nuit. C’est une photo de mes parents, Thomas et moi. Je souris, me rappelant cette journée. C’était quand on avait visité la statue de la Liberté.

- T’as vu, on a tout laissé comme c’était, commente Thomas.

Je me tourne vers eux, les larmes aux yeux.

- Merci, dis-je.

- C’est donc là que tu vivais ? demande Ah-Joo.

- Oui. J’ai passé dix-sept ans entre ces murs, réponds-je, le regard posé sur ma bibliothèque, contenant encore ce que je lisais avant de partir.

Je m’approche et regarde le titre du livre que j’ai commencé et que je n’ai pas fini. Mille baisers pour un garçon de Tillie Cole. Je l’ouvre à la page où j’étais, la 98. Mon marque-page représente une rue de Séoul que je connais bien désormais.

- Je… je pense que je vais le prendre en Corée, avoue-je en caressant la jolie couverture du livre.

- Vas-y. Après tout, c’est à toi, m’encourage Thomas.

- ON MANGE ! hurle Papa.

Thomas et Ah-Joo descendent en discutant de la fac de mon frère, et moi, je balaye ma chambre du regard. Je referme la porte et emprunte le même chemin que les deux garçons il y a quelques secondes.

J’avais peur que Ah-Joo soit mal à l’aise avec ma famille, mais il s’entend très bien avec eux. Ma mère insiste pour le resservir car il est beaucoup trop maigre, mais il refuse poliment, expliquant qu’une idole doit suivre un régime strict. Heureusement, mes parents ne peuvent pas voir ma silhouette mince à travers le sweat de Jun-Woo.

- Et sinon, tu fais partie de quel groupe Ah-Joo ? questionne Papa.

À part moi, personne dans ma famille ne suit l’actualité K-pop, donc ils ne savent rien de ce qui m’arrive.

- Blind Prince, répond l’idole.

Thomas hoche la tête.

- Vous êtes riches ? demande-t’il.

Je lui envoie un coup de pied sous la table et lui lance un regard méprisant.

- Thomas… c’est malpoli de demander ça, grince-je.

Mon frère hausse les épaules. Je lève les yeux au ciel.

- Vous avez fait quoi ce matin ? questionne Maman, curieuse.

- Min-Seo m’a fait visiter Central Park et la 5eme avenue, répond Ah-Joo.

Je suis perturbée par le fait d’être appelée un coup Min-Seo, un autre Alice. Et le fait qu’on m’appelle Alice me dérange plus, étrangement. Je ne suis plus habituée.

L’après-midi, après avoir remercié mes parents pour ce bon repas et que j’ai promis que je leur rendrai visite dès que je peux, on quitte ma maison. Les revoir m’a fait du bien. Voir ma maison m’a fait du bien. Rien n’a changé quand je n’étais pas là. Et j’en suis heureuse.

- Ils sont sympas, dit Ah-Joo. J’aime bien ton frère.

Il semble soulagé de pouvoir repasser au coréen.

- C’est vrai. Ils sont vraiment gentils, admets-je.

- Ton frère travaille dur. Il m’a dit qu’il étudiait les sciences.

- Oui. Il veut devenir physicien.

Ah-Joo hoche la tête.

- Il est plutôt beau, ton frère.

- Oh, tu sais. Il n’a pas toujours ressemblé à ça. Avant que je parte en Corée, il était différent.

Le Thomas de maintenant a perdu du poids et a changé de coupe. Ses cheveux blonds aux reflets roux sont ébouriffés, alors qu’ils étaient toujours bien coiffés avant. Il a gagné quelques centimètres, il doit mesurer environ un mètre quatre-vingt désormais. Je me demande s’il a une copine. Il n’a pas abordé le sujet.

Le soir, je propose à Ah-Joo d’aller voir le coucher de soleil depuis Top of the Rock. Il accepte.

- J’adore les couchers de soleil, dit-il.

Moi aussi. C’est vraiment très beau, ces nuances orangées et rosées, tandis que le soleil ressemble à un rond parfait, d’un orange feu.

Arrivés tout en haut de la tour, nous nous asseyons sur un des bancs qui donnent vers l’ouest, là où se couche le soleil. Mon téléphone vibre et je le sors. Ça faisait longtemps que je n’avais pas reçu ça.

Abcga : Eh ben, je ne sais plus quoi penser avec Min-Seo. Faudrait qu’elle choisisse un jour entre Jun-Woo et Ah-Joo.

Tajkk : C’est clair. Elle cause de la peine aux deux.

Tara_75 : Elle commence à me soûler.

Mn_Je.kpop : C’est vrai. Je déteste Min-Seo.

Atahns : Elle devrait mourir. Ah-Joo et Jun-Woo se porteraient mieux sans elle.

Les larmes me montent aux yeux. Ils voudraient vraiment que je meurs ? Mais, pourquoi ? Pourquoi ils ne comprennent pas que le seul pour moi, c’est Jun-Woo ?

- Ça va, Min-Seo ?

Non. Non, ça ne va clairement pas.

Je secoue la tête de gauche à droite.

- Non… Pourquoi j’ai l’impression que… que tout le monde veut me faire du mal… alors que je n’ai rien fait ?

Je lève des yeux pleins de larmes vers Ah-Joo. Je tire sur les manches du sweat de Jun-Woo pour recouvrir mes mains jusqu’à la moitié de mes doigts, puis je croise mes bras sur mon ventre. Ce sont deux tics que j’ai quand je suis stressée.

Mon ami me regarde, l’air peiné. Les rayons du soleil couchant donnent des reflets châtains à ses cheveux noirs. Il attrape ma main et me fixe dans les yeux.

- Avec moi, tu ne crains rien, chuchote-t’il.

J’avale ma salive qui s’est faite épaisse et hoche la tête doucement, les yeux rivés vers le sol. Je serre la main de Ah-Joo. Même si ce n’est pas Jun-Woo, ça a quelque chose de réconfortant.

Jun-Woo. Ça ne fait que trois jours que je suis partie de Corée et je reviens demain, mais il me manque terriblement. J’aurai aimé qu’il soit là pour me rassurer.

Je frissonne et resserre le sweat de Jun-Woo pour me donner l’impression qu’il est là. Mais quand je tourne la tête, c’est bien Ah-Joo, le coucher de soleil se reflétant dans ses pupilles brunes.

Annotations

Vous aimez lire Ella Rarchaert ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0