1. Un rêve

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Une nuit d'encre, lourde, silencieuse.

Le château respirait doucement autour du jeune seigneur, endormi dans sa chambre glaciale, pris d'un sommeil agité. Dans son esprit, une autre réalité prenait forme, où le temps et l’espace s’entremêlaient en une spirale d’ombres mouvantes.

Il avançait dans une forêt sans fin. Charbon étaient les arbres qui s’étiraient vers le ciel, telles des griffes décharnées, leurs branches prêtes à le saisir. Le vent portait des murmures, des voix sans visage l’appelaient :

— Sigmund...

Leurs mots glissaient comme un filet d'air entre les doigts, doux mais intrusifs, s’insinuant dans sa chair. Pieds nus, il foulait un sol indéfinissable, ni terre ni pierre. Le monde hésitait à prendre une forme tangible. Chaque pas l’enfonçait davantage, mais il ne pouvait s’arrêter. Une force invisible, implacable, l’obligeait à avancer, le condamnant à cette marche sans fin.

Un battement sourd résonna, lent et profond. Les arbres tremblèrent, la vibration se propagea jusque dans son corps. Quelque part dans cette forêt, une présence immense et insaisissable vivait. Il la sentait, tapie derrière les brumes épaisses. Le sol vibra sous lui. Sigmund comprit :

le Taal s’approchait.

Et puis, il apparut. Il n'était pas une entité que l'on trouve dans les livres, mais autre chose. Ce n’était ni un être ni une forme distincte. C'était une silhouette immense, fondue dans l’obscurité mouvante. Ses yeux noirs, telles des abysses, absorbait l'air, la lumière, le temps. Sa voix grave résonna. Elle plia l’espace autour de lui :

— Je suis né avant les étoiles, façonné par l’équilibre des mondes. Sigmund, je t’ai choisi, car tu es prêt... Vois ce que tu peux devenir.

Autour de lui, la forêt se changea en cendres, le sol s’ouvrit sous ses pieds d'où jaillit une lumière blafarde. Sigmund se retrouva seul, debout sur un promontoire. Il dominait un océan d’étoiles noires.

Là, dans cet espace irréel, des silhouettes humaines apparurent : des ombres grises, indéfinies, se courbaient devant lui dans un silence absolu. Des murmures reprirent, dans un langage ancien qu'il ne comprenait pas, mais il en saisissait pourtant les essences. Ils le désignaient comme un roi, un passeur, celui qui ouvrirait le chemin.

Il baissa les yeux. Il réalisa qu’il tenait un sceptre en main. Son poids était terrifiant, il renfermait des siècles d’histoire et de pouvoir ancestraux. Sur le métal, des veines palpitaient, tel un être vivant. Une chaleur monta dans sa poitrine, mêlée à une peur sourde, une étrange exaltation. Mais, il se sentait à sa place.

Il s’apprêta à lever le sceptre lorsqu'un miroir apparut. Immense, il se dressait devant lui comme une porte entre deux mondes. Son propre reflet y était figé, mais quelque chose clochait. Il souriait mais son sourire était cruel, étranger, rien de ce qu'il était. Puis, la surface se mit à onduler. L'image s’anima, avant d'avancer une main vers lui :

— Tu veux le pouvoir, Sigmund ? Tu veux être un roi ? Laisse-moi entrer. Ensemble, nous serons invincibles.

Une sueur glacée perla sur son front. Le miroir l’attirait, irrésistible. Il tendit sa paume ouverte, tremblant, ses doigts frôlaient presque la surface. La créature recula légèrement sa main :

— La pierre est la clé... Trouve la pierre, une topaze, pure, forgée dans les feux de la vérité. Elle est la clé pour ouvrir la porte des mondes, la porte à travers laquelle je viendrai... L’âme de la pierre s’ouvrira seulement si tu la façonnes...

Puis les étoiles s’éteignirent une à une, le sol se déroba sous ses pieds ; Sigmund fut projeté hors du rêve. La lumière aveuglante avait inondé le songe. Elle devint spectrale, laissant la place aux contours figés d’un décor sans vie.

Il ouvrit les yeux d’un coup, haletant. Son souffle formait de légères volutes dans l’air glacé. Ses doigts agrippèrent compulsivement le drap rêche, cherchant un ancrage. Le silence trop réel, se trouvait seulement brisé par le crépitement des braises mourantes dans l’âtre. Tout, dans cette chambre, paraissait étrangement vif, comme si une part du rêve avait franchi les ténèbres oniriques avec lui.

Il passa une main tremblante sur son visage en sueur. Les murmures du Taal engourdissait toujours son esprit. Il baissa les yeux vers ses paumes, s’attendant presque à y voir l’empreinte du sceptre qu'il avait saisi. Mais elles étaient vides, simplement parcourues par des frissons.

Et pourtant...

Le poids spectral de cet objet fantôme pesait encore sur son âme.

Dans l’obscurité, Sigmund se redressa lentement. Son souffle s’apaisait à peine. Il posa les pieds nus sur le sol glacé. Un frisson remonta immédiatement le long de ses jambes. La chaleur oppressante du sceptre s’était glissée dans sa poitrine, pourtant ses membres tremblaient sous l’assaut du froid. L’impression de chute s’accrocha encore à lui.

L’abîme l’appelait toujours.

Il se leva lentement puis saisit une torche dont la flamme vacillait faiblement. Sa lumière timide projetait des ombres dansantes, fragiles et oppressantes. Il se tenait là, dans ce fragile équilibre entre rêve et réalité. Chaque détail de son environnement le ramenait à la terre, mais chaque battement de son cœur chuchotait que le Taal n’était pas qu’un fragment de son imagination.

Il n’était pas qu’un rêve, il était réel.

Il se dirigea vers la Grande Salle. L’immense pièce s’ouvrait devant lui, ses contours noyés dans une pénombre que les candélabres, malgré leurs flammes chancelantes, ne parvenaient qu'à repousser avec peine. Des formes discrètes hantaient les coins de la pièce. Elles vivaient et se mouvaient, attentives à chacun de ses gestes. Mais son attention fut immédiatement happée par l’objet qu’il cherchait :

Le miroir.

Majestueux, il trônait au centre de la pièce, imposant. Sa surface lisse brillait d’une lueur surnaturelle et diffusait des éclats d’or terni.

Sigmund s’avança.

Chaque pas résonnait dans l’immensité silencieuse. Une cadence solennelle s'accordait au battement rapide de son cœur. La torche qu’il tenait tremblait légèrement. Elle projetait une présence qui dansait sur les pierres usées des murs marqués par le temps. Plus il approchait, plus son souffle se raccourcissait. Une pression invisible pesait sur sa poitrine.

Le miroir l’attirait, inexorable. Il l’enfermait dans un étrange ballet d’angoisse et de fascination.

Il s’arrêta à quelques pas de l’artefact. Sa silhouette, minuscule, se reflétait dans le verre noir, pareille à une ombre égarée. Lentement, il leva les yeux.

Ce qu’il vit le glaça.

Dans le reflet, une silhouette l’attendait. Drapée dans les ténèbres, ses contours flous se fondaient dans l’obscurité. Ses yeux étaient d’une netteté troublante.

Deux abysses insondables.

Elles transperçaient le voile de l’espace. Le visage, à moitié dissimulé par un reflet, portait une expression énigmatique. Il oscillait entre l'attente et l'avidité.

Sigmund sentit son cœur se contracter. Il s’avança, un peu plus. Ses mains moites serraient la torche comme un ultime rempart contre l’obscurité. Il s'immobilisa. Il n’osait bouger davantage. Les yeux fixés sur l’apparition, il chuchota dans un souffle presque inaudible: :

— Qui es-tu ?

Aucune réponse. Mais la silhouette bougea, imperceptiblement. Un léger mouvement qui confirmait pourtant sa présence. Alors, dans un murmure, une voix s’insinua au fond de son esprit :

"La clé… Sigmund."

Le souffle court, le garçon recula. La lumière de la torche vacilla. Elle faiblit comme pour refléter son désarroi. Puis la voix reprit, plus forte cette fois. Elle s'insinuait dans son esprit, tranchante comme une lame :

— Ouvre la porte de ton monde, Sigmund. Je suis prêt à la franchir.

Une sueur glacée coula le long de sa nuque. Il balbutia :

— Pourquoi ? Pourquoi veux-tu venir ici ?

La silhouette sourit, ou peut-être n'était-ce qu'une illusion.

— Parce que ton monde m’appelle. Tes peurs, tes désirs... Tout cela, je peux le transformer. Je peux tout te donner, mais il faut me laisser entrer.

Sigmund resta figé. Il observa cette silhouette étrange qui flottait entre spectre et lumière. Puis, un frisson glacé parcourut son échine. Le miroir retrouva son calme apparent. Il ne reflétait plus que le vide derrière lui.

Il demeura immobile. Ce qu’il avait vu, ce qu'il avait ressenti n’était pas un simple rêve. Les paroles du Taal tournaient en boucle dans son esprit.

La clé, la porte des mondes, cette pierre... Il savait désormais que le Taal l’attendait.

Et qu’il ne pourrait lui échapper...

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