7.Rencontre fortuite
Il huma l’air frais de début de soirée. La proximité de la boulangerie y était peut-être pour quelque chose, mais les senteurs crépusculaires étaient particulièrement agréables aujourd’hui. Alors qu’il fermait la porte de l’immeuble derrière lui, une voix l’appela sur sa droite :
« Quel heureux hasard de te croiser là, Liam. Un belle journée qui se termine par une sortie ?
-Vous subodorez bien, monsieur Kei, répondit-il en tourant la tête. Que faites-vous dans le coin ?
-Balade pré-digestive.
-Normal, après tout, sourit le jeune homme. Votre ensemble vert émeraude vous sied à merveille.
-Merci bien. Remarque, ton éternel complet gris rend toujours aussi bien. Un petit bowling ?
-Écoutez, pourquoi pas. Je n’avais rien de prévu de toute façon. Êtes-vous venu en voiture ?
-Non, mais nous pouvons emprunter la tienne. Une jolie Traban d’un bleu délavé si je ne m’abuse.
-C’est exact. Heureusement que je suis bon conducteur.
-Pourquoi donc ?
-De ce qu’une certaine personne m’a dit de votre interprétation du code de la route, je pense qu’il vaut mieux que vous restiez passager. Et encore elle ne vous a connu qu’en fin de carrière, il paraît que vous vous étiez assagi. »
***
« Et strike.
-Pas mal, réagit le maître espion.
-C’est quand même le cinquième d’affilée.
-Une fois où j’étais particulièrement en veine, je les ai enchaînés du début à la fin de la partie. Ma fiancée en était enchantée et mon meilleur ami vert de jalousie.
-Il y avait de quoi, sourit-il en passant la main sa main sur son front. N’empêche, ça donne soif tout ça. »
William saisit son verre de scotch en attendant le retour de sa boule de bowling. Au bout de quelques secondes, la sphère noire réapparut sur le rail devant lui. Il posa sa boisson pour effectuer un nouveau lancer. Mais au moment où il lâchait, Keiji éternua. L’orbe ne partit pas comme prévu, abattit sept quilles mais n’accorda pas un sixième sans-faute au jeune homme.
« Si tu te poses la question, déclara négligemment son aîné, oui, il est possible de forcer un éternuement.
-Vous êtes une élégante enflure, avec tout le respect que je vous dois.
-Ah, on ne me l’avais jamais sortie celle-là. J’ai eu droit à traître diplômé et bâtard distingué, mais ça c’est la première fois.
-Eh bien, content qu’un jeunot comme moi fasse la culture du sexagénaire que vous êtes.
-L’art de poignarder son interlocuteur avec une classe mêlée d’insolence. J’aime assez ça chez un élève.
-Vous l’avez-vous-même mis au point, n’est-ce pas ?
-C’est exact. Voilà pourquoi j’apprécie d’autant plus. »
Alors que les deux hommes échangeaient de place, William s’asseyant sur la banquette et Keiji allant chercher sa boule écarlate, une jeune femme vint prendre place deux pistes plus loin, suivie d’un majordome. Voyant le regard interrogateur de son mentor, l’étudiant lui fit signe de lire sur ses lèvres.
« Eileen von Arenberg, dit-il sans qu’un son ne sorte de sa bouche. Princesse de son titre, plutôt réservée et solitaire. Elle est dans ma promotion mais a sauté deux classes et n’a donc que dix-huit ans.
-Source d’information probable ? » demanda-t-il toujours aussi silencieusement.
William secoua la tête.
« Négatif. Mais maintenant fais donc un strike, on s’éternise. »
Son interlocuteur répondit par un sourire, puis réalisa un lancer parfait comme pour le défier. Alors qu’il se retournait, l’orbe violette envoyée par la jeune fille envoya valser les dix quilles à son tour. À la fois étonné et amusé, il mit un effet dans le tir suivant pour rendre sa victoire encore plus éclatante. Mais à nouveau, Eileen égala sa performance avec une rigueur exemplaire. Cette fois, il fut véritablement piqué au vif.
« Bon, dépêche-toi de passer, j’ai l’impression qu’un duel épique se met en place.
-Ce n’est pas moi qui te contredirai là-dessus. Mais moi aussi j’ai envie de me mesurer à elle », murmura-t-il.
William prit sa boule couleur de jais, passa sa main dessus pour en chercher les aspérités dues aux utilisations précédentes, puis n’en trouvant pas lança élégamment le projectile. Sa course décrivit un ‘’s’’ avant de finir dans le bloc qu’il fit voler en éclat, me tout assez silencieusement. L’espion crut déceler un regard d’approbation joint à du défi dans les yeux pourpres de la demoiselle, avant que son tir droit fulgurant se solde par un strike.
« Kei ?
-Hmm ?
-Tu n’es plus seul dans la course. »
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